Les faits :
M. X, né le 7 août 1939, a été placé sous tutelle aux biens et à la personne de l'association AOGPE, mandataire judiciaire à la protection des majeurs.
Son épouse a fait appel de cette décision.
La Cour d'Appel, après avoir constaté le dévouement de Mme X à l'égard de son époux, a infirmé le jugement et l'a désignée tutrice à la personne. Toutefois, la Cour d'Appel a confirmé le jugement et maintenu la tutelle aux biens confiée au MJPM en raison de conflits familiaux.
Selon la Cour d'Appel, même si rien ne pouvait être reproché à l'épouse quant à la tenue du budget, il convenait de désigner un tiers en qualité de tuteur aux biens, en raison des dissensions familiales existantes et pour que la situation n'apparaisse pas équivoque aux proches.
Mme X a contesté cette décision de maintien de la tutelle aux biens au profit d'un tiers et s'est pourvue en cassation.
Ce que dit la Cour de Cassation :
La Cour de Cassation a cassé l'arrêt de la Cour d'Appel et jugé que la tutelle tant à la personne qu'aux biens de Monsieur X devait être confiée à son épouse.
1) une application stricte du principe de primauté familiale
L'article 449 du Code Civil énonce que :
"A défaut de désignation faite en application de l'article 448, le juge nomme, comme curateur ou tuteur, le conjoint de la personne protégée, le partenaire avec qui elle a conclu un pacte civil de solidarité ou son concubin, à moins que la vie commune ait cessé entre eux ou qu'une autre cause empêche de lui confier la mesure.
A défaut de nomination faite en application de l'alinéa précédent et sous la dernière réserve qui y est mentionnée, le juge désigne un parent, un allié ou une personne résidant avec le majeur protégé ou entretenant avec lui des liens étroits et stables.
Le juge prend en considération les sentiments exprimés par celui-ci, ses relations habituelles, l'intérêt porté à son égard et les recommandations éventuelles de ses parents et alliés ainsi que de son entourage."
La Cour de Cassation a censuré la Cour d'Appel parce que celle-ci, bien que reconnaissant que Mme X s'occupait admirablement de la personne de son époux, n'a pas suffisamment expliqué en quoi lui confier également la gestion du budget compromettait les intérêts de son époux.
Certes, s'il est vrai que les conflits familiaux peuvent être de nature à affecter une gestion sereine de la personne et des biens du majeur protégé, il n'en demeure pas moins que le juge des tutelles ne peut pas se contenter d'un tel constat. Il faut en outre que ces conflits interfèrent directement sur la gestion du patrimoine du majeur.
C'est ce que rappelle la Cour de Cassation dans ce cas d'espèce, que l'on rencontre fréquemment en pratique.
Bien souvent, et notamment dans le cas de familles recomposées et de remariage, les conflits existent entre le conjoint du majeur et les enfants et/ou frères et soeurs de celui-ci.
La crainte parfois légitime est que le conjoint dilapide le patrimoine et réduise ainsi l'héritage à venir d'enfants d'un premier lit.
On peut comprendre que le choix d'un tiers pour gérer le patrimoine soit davantage une mesure de prévention afin d'éviter des conflits à venir ou des actes contraires aux intérêts du majeur protégé.
Toutefois, pour écarter le conjoint du majeur de la gestion de son patrimoine, il ne faut pas se contenter d'un risque éventuel, mais de prouver par des faits précis que le conjoint a d'ores et déjà commis des actes contraires aux intérêts du majeur protégé ou que son comportement est de nature à nuire aux intérêts du majeur.
D'autant que la tutelle permet justement d'assurer une protection du patrimoine du majeur puisque tous les actes importants (actes de disposition) effectués sur son patrimoine par le tuteur font nécessairement l'objet d'un contrôle du juge et sont soumis à son autorisation préalable.
C'est ce que vient rappeler la Cour de Cassation en invitant les juges des tutelles à ne pas céder trop facilement devant l'existence de conflits étrangers à la gestion du patrimoine pour botter en touche et désigner un tiers.
Elle leur demande de vérifier que, même en présence de conflits, la désignation du conjoint serait contraire aux intérêts du majeur protégé. Les juges doivent donc faire une application stricte de l'article 449 alinéa 3 du Code Civil et procéder à toute mesure d'investigation pour s'assurer que le choix du tuteur doit nécessairement se porter sur un tiers professionnel.
2) de la difficulté de désigner un tiers professionnel tuteur en présence du conjoint du majeur
Cet arrêt de la Cour de Cassation rappelle également qu'avant d'écarter un conjoint de la prise en charge d'une mesure de protection, le juge des tutelles doit être sûr de son choix lourd de conséquences.
En effet, introduire un tiers dans une relation de couple pose inévitablement des problèmes pratiques évidents.
Il faut désolidariser les comptes bancaires, les décisions importantes du couple sont prises à 3 ce qui constitue une immixtion mal vécue par le conjoint du majeur, dans la vie privée du couple, surtout si ce couple est marié depuis longtemps.
J'ai eu à défendre une femme de 80 ans dont le mari, atteint de la maladie d'Alzheimer, a été placé sous tutelle à la demande de leur fille unique. Cette dernière, âgée de 60 ans, en conflit avec sa mère depuis des années, lui reprochait de ne pas l'aider financièrement.
La fille de ma cliente a obtenu du juge des tutelles la désignation d'un mandataire extérieur aux motifs que le conflit existant avec sa mère aurait une incidence sur la gestion, par celle-ci, du patrimoine de son époux, aujourd'hui invalide et incapable de prendre la moindre décision.
Elle avait invoqué que sa mère ferait tout pour dilapider le patrimoine du couple afin de ne laisser aucun héritage à leur décès.
Le juge des tutelles a considéré que ce conflit entre la mère et la fille justifiait la désignation d'un tiers afin d'éviter que l'épouse ne dilapide le patrimoine du couple, sans qu'aucune preuve ne soit rapportée par la fille...
Nous avons fait appel de la décision et avons obtenu l'infirmation du jugement: ma cliente a été rétablie dans ses droits et désignée en qualité de tutrice à la personne et aux biens de son époux.
Nous avons démontré que le couple marié depuis 60 ans avait toute sa vie gérer ensemble son patrimoine et l'avait fructifié. Ma cliente étant comptable de formation et gérait admirablement les comptes, depuis la maladie de son mari, et les avaient fait fructifier.
Aucun risque de dilapidation du patrimoine n'était donc avéré et en tout état de cause, ma cliente qui ne remettait pas en question la mesure de tutelle qui était justifiée, devrait , si elle devenait tutrice, demander l'autorisation du juge des tutelles pour tous les actes de dispositions envisagés. Ainsi, sa fille n'avait aucune inquiétude à se faire sur la préservation de son héritage.
La Cour d'Appel de Versailles a motivé sa décision ainsi :
" Considérant qu'il n'est pas contestable qu'il existe une mésentente entre Mme X (fille de ma cliente) et Mme Y (ma cliente), ce fait est à lui seul insuffisant pour faire obstacle à la désignation de l'appelante en qualité de tutrice de son époux.
Considérant, ainsi au regard de ces éléments et de la durée du mariage, qu'il y a lieu de désigner Madame Y, en qualité de tutrice de son époux".
Cet arrêt est conforme à  la jurisprudence de la Cour de Cassation, en ce que l'atteinte à l'intérêt du majeur protégé n'étant pas prouvée, et ce malgré l'existence de conflits familiaux, le conjoint du majeur doit être désigné tuteur en application des dispositions de l'article 449 du Code Civil.
Thierry Rouzies