Il y a maintenant bientôt un an, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, déclarait que le « coronavirus » sera « considéré comme un cas de force majeure pour les entreprises ».
Cette déclaration, uniquement valable pour les entreprises pour l’exécution des marchés publics de l’État, a-t-elle vocation à s’appliquer aux contrats de droit privé ?
Depuis la tenue de ces propos par le ministre du Gouvernement du Premier ministre Edouard Philippe, les entreprises françaises sont tentées d’invoquer la force majeure pour se soustraire à leurs obligations contractuelles.
Cela étant, les entreprises et les particuliers sont-ils bien fondés à invoquer la COVID-19 ou « coronavirus » pour ne pas exécuter les contrats conclus ?
I – La définition de la force majeure
La force majeure est une notion parfois utilisée de manière impropre.
Depuis l’ordonnance du 10 février 2016, celle-ci est pourtant définie par l’article 1218 du Code civil aux termes duquel « il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».
Dans son second alinéa, l’article envisage les conséquences de l’inexécution et distingue selon que l’empêchement à exécuter est temporaire ou définitif.
Dans le premier cas, l’exécution de l’obligation est simplement suspendue. Aussi, les événements qui ne peuvent pas être actuellement exécutés (travaux, organisation d’événements, prestations hébergements) doivent être suspendus mais devront être exécutés dès que la situation le permettra, sauf si le retard dans l’exécution qui en résulterait justifie une résolution du contrat.
Lorsque l’empêchement est définitif, le contrat sera résolu de plein droit avec toutes les conséquences en découlant.
Pour être qualifié de force majeure, l’événement, outre qu’il doit échapper au contrôle du débiteur, c’est-à-dire être extérieur à sa personne, doit :
– être irrésistible, c’est-à-dire que le débiteur de l’obligation ne peut pas empêcher l’inexécution par la prise de mesures appropriées ;
– ne pas être raisonnablement prévisible au jour de la conclusion du contrat.
Le covid-19 ou « coronavirus » remplit-il ces critères de qualification ?
De manière générale, la jurisprudence rendue en matière d’épidémie est de nature à exclure la qualification de force majeure pour ce type d’événement. Tel fût notamment le cas de l’épidémie de Dengue de 2007 en Martinique (Cour d’appel de Nancy, 22 novembre 2010, n°09/00003). Pour les magistrats les caractères de la force majeure n’étaient en l’espèce pas établies. En effet, d’une part l’imprévisibilité n’était pas caractérisée eu égard à la présence régulière de Dengue depuis le début des années 1980 dans l’ensemble de la zone intertropicale et notamment « de l’existence de plusieurs épidémies : 24.000 cas en 2001-2002, 14.500 cas en 2005-2006 et 11.500 cas au 8 novembre 2007 » et, d’autre part, elle n’était pas irrésistible car la maladie « ne présentait pas de complications dans la majorité des cas ».
Nous pouvons également citer l’épidémie du virus du chikungunya (Cour d’appel de Basse-Terre, 17 décembre 2018, n°17/00739) pour lesquelles la qualification de force majeure a également été écartée.
Mais s’agissant du COVID-19 ou « coronavirus », et des actes administratifs qui en sont la suite, la situation semble néanmoins différente eu égard au caractère dramatique du phénomène et à son ampleur exceptionnelle.
En effet, les mesures prises par les pouvoirs publics sont sans précédents et la vitesse d’enchaînement des textes réglementaires (les arrêtés des 4, 6, 9, 13, 14 et 15 mars, et le décret du 16 mars 2020) et légaux (Loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de COVID-19) atteste du caractère imprévisible et exceptionnel de la crise que nous subions encore aujourd’hui.
De surcroit, ces différents textes sont de nature à recevoir la qualification de « fait du prince ». lequel se définit comme « la décision de l’autorité publique ayant pour conséquence de porter atteinte à l’équilibre financier de situations contractuelles » (Vocabulaire juridique, Gérard CORNU) et constitue également un obstacle insurmontable à l’exécution d’obligations conventionnelles (Cass. 1re Civ., 29 nov. 1955 : D. 1966,101). En cela, les mesures prises par le gouvernement d’Edouard Phillipe, puis celui de Jean Castex, pourraient également être constitutive d’un cas de force majeure.
Une pandémie irrésistible …
Premier élément de la qualification, l’impossibilité de faire face aux conséquences de la pandémie par des mesures « raisonnables » semble en l’espèce caractérisée. En effet, suite aux multiples décisions du gouvernement les échanges et les déplacements sont, sauf exception, impossibles depuis le 16 mars 2020.
En revanche, il est concevable de considérer que dans certaines situations le débiteur peut raisonnablement adapter son activité pour faire face aux conséquences de l’épidémie : trouver un autre fournisseur, avoir recours à un autre circuit de distribution, faire un usage plus large du télétravail. Dit autrement, en théorie un cocontractant aura toujours la possibilité de prendre les « mesures appropriées » de l’article 1218 du Code civil pour exécuter ce à quoi il s’était engagé. Dans ce cas, la qualification de force majeure sera exclue.
Et imprévisible… ?
Le caractère normalement imprévisible de l’épidémie va dépendre de la date de conclusion du contrat à laquelle il sera apprécié.
Aussi, les parties ayant récemment conclu un contrat, notamment après le décret n°2020-260 du 16 mars 2020, auront le plus grand mal à se prévaloir d’un cas de force majeure. En effet, en contractant après cette date les parties étaient informées de l’existence de la pandémie et de ses conséquences sur le contrat.
Avant cette date, la situation est plus complexe. Pour y répondre, il convient de déterminer la date à partir de laquelle la COVID-19 pouvait être connu comme impactant possiblement le contrat : lorsque l’épidémie a commencé en Chine ? après l’apparition des premiers cas en Italie et en France ? Lors de l’interdiction des premiers rassemblements ou seulement à compter des mesures de confinement de la population ?
Les juges trancheront selon la date et l’objet du contrat de chaque espèce.
II – L’exclusion ou l’aménagement de la force majeure par le contrat
En toute hypothèse, il importe que les parties se référent à leur contrat et notamment à la clause de force-majeure.
En effet, les dispositions légales relatives à la force majeure ne sont pas d’ordre public et il est possible d’y déroger. En application du principe de liberté contractuelle, les effets de la force majeure sur le contrat sont de manière générale prévus par ce dernier : exclusion de certains cas de la qualification de force majeure (en pratique c’est souvent le cas des crises sanitaires), obligation d’information du cocontractant, suspension du contrat et report des prestations, obligation de renégociation ou encore résolution.
Aussi, avant d’invoquer la force majeure, il conviendra de se référer aux clauses du contrat lequel règle probablement la question.
III – Les conséquences de la force majeure sur le sort du contrat
En l’absence de dispositions contractuelles particulières, la reconnaissance de la force majeure emportera résolution du contrat. Dès lors, le débiteur est délivré de ses obligations.
Cependant, l’anéantissement du contrat n’est pas sans conséquences et ouvre droit à des restitutions si le contrat a été en partie exécuté conformément aux articles 1352 et suivants du Code civil. Par exemple, le vendeur d’un contrat de fourniture de service ayant reçu un acompte devra restituer les sommes perçues.
En effet, si la force majeure exclue le paiement de dommages et intérêts et ne permets pas au débiteur ayant déjà reçu un paiement de conserver ce dernier.
IV – Dispositions particulières relatives aux contrats de vente de voyages touristiques ou de séjours
Alors que les annulations de voyages, séjours ou autres événements festifs, artistiques ou touristiques menaçaient d’exploser en début de crise, le gouvernement a prévu des solutions dérogatoires au droit commun. C’est notamment le cas du contrat de vente de voyage touristique ou de séjours qui a fait l’objet d’une ordonnance n°2020-315 du 25 mars 2020 applicable aux résolutions notifiées « entre le 1er mars 2020 et le 15 septembre 2020 » (article 1.I)
Par dérogation aux dispositions de l’article L.211-14 du Code du tourisme, lorsque ce contrat encourt la résolution à raison d’un cas de force majeure, l’organisateur ou le détaillant peut proposer, à la place du remboursement de l’intégralité des paiements effectués, un avoir.
Dans cette hypothèse, cette proposition doit parvenir au client sur un support durable au plus tard trente jours après la résolution du contrat, ou, si le contrat a été résolu avant la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance du 25 mars 2020, trente jours après la date d’entrée en vigueur de celle-ci, soit jusqu’au 25 avril 2020.
Dans un délai de trois mois suivant la notification de la résolution, le vendeur devra en outre proposer une nouvelle prestation identique ou similaire à celle initialement convenue afin que le voyageur puisse utiliser cet avoir. Cette offre sera valable pour une durée de 18 mois.
Si aucun contrat relatif à la nouvelle prestation n’est finalement conclu, il devra être procédé au remboursement de l’intégralité des paiements effectués au titre du contrat initial résolu.
A défaut pour les vendeurs de respecter les conditions prévues par l’ordonnance n°2020-315, le droit commun retrouvera application et la résolution consécutive à une force majeure emportera résolution du contrat et remboursement des acomptes payés en application des articles L.211-14 du Code du tourisme et 1218 du Code civil.
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En définitive, et contrairement à la croyance admise dans l’opinion publique selon laquelle les contrats n’auraient plus force obligatoire à raison de la crise exceptionnelle que nous traversons en raison de l’épidémie de COVID-19, il convient de préconiser la prudence et l’analyse de la documentation contractuelle avant d’invoquer cette cause exonératoire de responsabilité contractuelle.
par Mike BORNICAT, Avocat à GAP
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