A titre liminaire, rappelons qu’une œuvre graphique est protégée par le droit d’auteur (art. L. 112-2 8°du Code de la Propriété Intellectuelle), puisque le droit d’auteur protège toutes les œuvres de l’esprit « quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination » (art. L 112-1 du CPI).
Rappelons également que pour qu’une création soit protégée par le droit d’auteur, le code de la propriété intellectuelle exige que cette œuvre soit originale. Cette œuvre doit donc refléter l’expression de la personnalité de son auteur, du graphiste.
S’agissant d’œuvres graphiques, la majorité des litiges portent sur la qualification juridique d’une telle Å“uvre, sur la personne titulaire des droits d’auteur et enfin sur l’étendue des droits cédés.Â
Dans cet article, nous nous attacherons à comprendre les enjeux liés à la qualification juridique d’une telle œuvre à l'élaboration de laquelle plusieurs contributeurs ont participé.
En effet, les relations juridiques se complexifient lorsque coexistent plusieurs créateurs dans le processus d’élaboration d’une œuvre graphique, notamment d’un magazine et qu’il est difficile de déterminer la qualification juridique de l’œuvre ainsi que l’éventuelle qualité d’auteur des contributeurs.
Selon les hypothèses, l’œuvre graphique peut être qualifiée:
- soit d’œuvre complexe: dans cette hypothèse l’œuvre réutilise une Å“uvre existante,Â
- soit d’œuvre de collaboration: plusieurs personnes ont contribué à la création de l’œuvre commune; les différents auteurs sont alors copropriétaires de l’œuvre crée;Â
- ou encore d’œuvre collective qui selon l’article L . 113-2 al.3 du CPI est « une œuvre crée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et en son nom ». Dans la majorité des cas, c’est donc l’entreprise qui sera titulaire des droits d’auteur sur l’œuvre collective.
Un jugement récent est venu apporter des précisions sur la qualification juridique d’une œuvre graphique réalisée pour l’élaboration d‘un magazine, en l’espèce le magazine de mode Causette, où plusieurs contributeurs sont intervenus pour son élaboration et sa conception.
Intéressons nous donc à ce jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Paris le 4 décembre 2014.Â
Les faits de l’espèce sont simples. Un graphiste indépendant a contribué pendant plus de cinq ans à la conception graphique et à la direction artistique d’un magazine  sous le statut de travailleur indépendant et ce, aux termes d’un contrat d’entreprise.Â
Pour l’élaboration de ce magazine, le graphiste travaillait aux côtés d’illustrateurs, de maquettistes, de photographes sous l’impulsion et la supervision du directeur de publication.
A la suite de la rupture de son contrat de collaboration avec le magazine, le graphiste a reproché au magazine de continuer à exploiter ses créations dont il prétendait être l’auteur et ce, sans son autorisation.
Parallèlement et afin de faire connaître son travail, ce graphiste a décidé de poster sur son blog 36 articles du magazine sur lesquels il était intervenu.
Le graphiste a alors assigné le magazine en contrefaçon de droits d’auteur pour avoir reproduit et représenter sans autorisation les créations graphiques composant la maquette de certains numéros litigieux du magazine .
Pour sa défense, le magazine invoquait notamment l’absence de qualité d’auteur du graphiste et à titre reconventionnel, sollicitait la condamnation du graphiste pour avoir reproduit sur son blog les 36 extraits litigieux.
Dans un jugement en date du  4 décembre 2014, le Tribunal de Grande Instance de Paris a condamné pour contrefaçon l’ex-graphiste du magazine ; les magistrats ayant considéré que cette diffusion d’articles sur son blog, sans autorisation du magazine - titulaire des droits sur l’œuvre collective - était illicite.
Ce jugement est intéressant car il est venu définir la qualification d’une telle œuvre graphique crée pour un magazine.
Au regard des faits de l’espèce et après avoir rappelé les dispositions de l’article L 113-2 du code de propriété intellectuelle qui définit l’œuvre collective, le Tribunal a jugé que « L’élaboration du magazine Causette doit être qualifiée d’œuvre collective car la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble de l’œuvre ».
Par conséquent, c’est le magazine Causette qui est titulaire des droits d’auteur sur les magazines litigieux puisqu’une œuvre collective « est un instrument qui vient récompenser l’investisseur qui est à l’origine de la création de l’œuvre (…) Le rôle de la personne morale doit être prépondérant à tous les stades de la création et de la diffusion de l‘œuvre. Elle doit avoir l‘initiative de la création de l‘œuvre (…) le processus de création est vertical: la personne morale encadre la liberté de création des auteurs et a un rôle de direction, exercé par l‘intermédiaire de ses préposés. Mais l‘œuvre doit ensuite être diffusée et exploitée sous sa houlette. »
Logiquement, le Tribunal a ensuite considéré que les reproductions par le graphiste lui même de ses contributions sur son propre blog étaient constitutives d’actes de contrefaçon puisque seul le magazine était titulaire des droits patrimoniaux sur ces  contributions litigieuses.
L’article L. 122-2 du Code de la propriété intellectuelle dispose en effet que « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans consentement de l’auteur ou de ses ayants droit est illicite ».
La reproduction de ses propres contributions étaient donc illicites. Le graphiste a été condamné à verser au magazine à ce titre une somme de 2 500 €.Â
Les œuvres crées par un graphiste indépendant pour un magazine et sous l’impulsion du directeur de publication ne lui appartiennent donc pas. Le graphiste devra donc rester vigilant de l’usage qu’il entend faire de ses contributions.
Il est donc indispensable que les relations contractuelles, la qualification juridique de l’œuvre crée et les différentes exploitations de l’œuvre soient clairement définies en amont entre les parties (même si le juge peut requalifier l‘œuvre), afin que l’usage postérieur de cette œuvre ne soit pas source de litige.
Béatrice COHEN
Avocat au Barreau de Paris
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