LA LEGALISATION DE LA RUPTURE CONVENTIONNELLE DU CONTRAT DE TRAVAIL : UNE MAJEURE INNOVATION EN DROIT DU TRAVAIL CONGOLAIS
I. Introduction
Le contrat du travail est une convention écrite ou verbale, par laquelle une personne, le travailleur, s’engage à fournir à une autre personne, l’employeur, un travail manuel ou autre sous la direction et l’autorité directe ou indirecte de celui-ci et moyennant rémunération.
En tant que l’une des conventions bilatérales ou synallagmatiques, le contrat du travail nait et meurt. La naissance consiste à la signature du contrat, tandis que la mort comprend la résiliation de ce dernier.
En effet, avant la révision du 15 juillet 2016, le contrat du travail conformément à l’article 61 pouvait être résilié uniquement qu’à l’initiative du salarié ou de son employeur. Par contre, la résiliation conventionnelle, mieux mutuelle, quand bien même que dans la pratique, elle était reconnue par la jurisprudence et doctrine, elle n’était pas légalement instituée dans le code du travail, notamment la loi n°015-2002 du 16 octobre 2002.
Par ailleurs, depuis l’avènement de la loi n°16/010 du 15 juillet 2016 modifiant et complétant la loi n°015-2002 portant code du travail, cette innovation a été introduite dans l’arsenal juridique congolais, spécialement aux articles 61 bis et ter dont le premier prévoit que « sans préjudice des dispositions de l’article 61 du présent code, le contrat de travail peut être également résilié d’un commun accord des parties ».
A notre entendement, ce mode de résiliation légale du contrat de travail exige une procédure spécifique qui n’est pas totalement prévue dans la loi. C’est dans cette expectative que, la présente monographie s’assigne comme objectif principal de définir la rupture conventionnelle du contrat de travail (II), déterminer le salarié qui peut bénéficier de la rupture conventionnelle (III), parler de la procédure de la rupture conventionnelle (IV), étudier l'indemnité de rupture conventionnelle ou décompte final (V), traiter de la rédaction de la convention de rupture (VI), analyser le délai de lé rétractation et l'homologation de la convention (VII), évoquer la contestation de la rupture conventionnelle devant le conseil de prud'hommes (VIII), et enfin, faire une brève conclusion (IX)..
II. Définition la rupture conventionnelle du contrat de travail
La rupture conventionnelle est un mode de résiliation du contrat de travail qui permet au travailleur ou à l'employeur de rompre d'un commun accord le contrat de travail, en convenant au préalable des conditions dans lesquelles le contrat à durée déterminée (CDD) et indéterminée (CDI) seront rompus.
III. Le travailleur qui peut bénéficier de la rupture conventionnelle
En droit congolais et à la lecture minutieuse des articles 61, 61 bis et 61 ter du code du travail (révisé), la rupture conventionnelle concernent les travailleur en CDI et CDD dans les secteurs privées. En droit comparé, Maitres GEURINOT et PAGANELLI à Nice (France), soutiennent que, en France, la rupture conventionnelle du contrat de travail n’est possible que pour les salariés en CDI et ne s'applique donc pas aux salariés en CDD, en contrat temporaire, ou aux salariés de la fonction publique.
IV. Procédure de la rupture conventionnelle
L’article 61 ter du code de travail tel que révisé le 15 juillet 2016 prévoit les rudiments de la procédure à suivre lorsque les parties au contrat souhaitent recourir à la rupture conventionnelle de leur contrat. Aux termes de cet article « la résiliation du contrat de travail est notifiée par écrit par la partie qui en prend l’initiative à l’autre partie. Lorsque la résiliation intervient à l’initiative de l’employeur, la lettre de notification en indique expressément le motif. A défaut de notification par écrite, tout acte d’une partie tendant à empêcher l’exécution de ses obligations par l’autre partie constitue une modification unilatérale d’un des éléments du contrat, équipollent à un acte de rupture. La partie qui s’en prévaut est tenue de le faire savoir, dans les huit jours, à l’autre partie, l’inspecteur du travail informé ».
Somme toute, la procédure de la rupture conventionnelle commence par une proposition faite par l'employeur ou par le salarié. Contrairement à certains pays européens (comme la France) qui admettent la proposition verbale, le droit congolais impose que la proposition soit faite par écrit.
En notre humble avis, la procédure doit être poursuivie par l'organisation d'un ou plusieurs entretiens entre le travailleur et son employeur. L'organisation d'un entretien au moins est inévitable. Les conditions de convocation à l'entretien sont librement fixées par les parties (date, heure et lieu). Les parties peuvent se faire assister des avocats ou syndicat lors de l'entretien mais doivent le préciser à l'autre partie préalablement à la tenue de l'entretien.
La loi impose que lorsque la résiliation conventionnelle intervient à l’initiative de l’employeur, la lettre de notification de ce dernier en indique expressis verbis le motif.
Dans la pratique, pendant le temps d’entretiens, les parties doivent obligatoirement faire allusion à certaines conditions relatives à la rupture, dont notamment la date, la résiliation avec ou sans préavis, le montant d’indemnité (décompte final) que l’employeur doit verser au salarié.
Dans tout le moins, le travailleur ou l'employeur peut contester les termes de la tractation, sans donner la raison et sans que cela puisse lui être reproché par la suite.
V. L'indemnité (solde de tout compte) de la rupture conventionnelle
La rupture conventionnelle étant un mode de résiliation du contrat de travail, le travailleur doit bénéficier d’une indemnité spécifique de rupture, appelé en droit congolais le décompte final et qui ne peut être inférieure au décompte final légalement prévu en cas de licenciement du salarié par l’employeur.
Il sied ici de distinguer entre le décompte final dans un CDI et le décompte final dans un CDD. Pour ne pas abonder sur cette notion qui fera l’objet du prochain article, notez qu’en principe, la résiliation d’un CDD n’occasionne pas le paiement du décompte final. Mais ce dernier peut être payé à titre exceptionnel, dans la mesure où à l’arrivée normale du terme, le salarié, après avoir exécuté son travail, est censé en avoir reçu la contrepartie. A défaut, le salarié reçoit de l’employeur toutes les sommes dues au titre d’arriérés de salaire ou autres primes et avantages. C’est en cela réside le décompte final dont les éléments seront composés de la rémunération due y compris l’indemnité de congé annuel et des autres droits acquis aussi bien légalement que conventionnellement. Toutes ces sommes rentent naturellement dans le cadre des dispositions de l’article 100 du code du travail.
Pour le CDI, le paiement d’un décompte final est obligatoire, qui est calculé en fonction de l’ancienneté, du congé annuel, du logement, de la rémunération et du préavis. Certains juristes articulent que, il est possible de calculer facilement le montant du décompte final d’une manière conventionnelle.
Néanmoins, Il n’est pas exclu la possibilité prévue dans certaines conventions collectives fixant un décompte final (indemnité) supérieur au décompte légal de licenciement. Mais aussi, le décompte final de la rupture conventionnelle peut être négocié à la hausse entre le travailleur et l’employeur.
VI. Conception de la convention de rupture et délai de rétractation
En tant qu’une convention (contrat) des parties qui se conviennent de mettre fin à leur engagement mutuel, il est vivement recommandé aux parties la rédaction d’une convention (un document) qui doit nécessairement indiquer le montant du décompte final (indemnités), y compris la date de la rupture. La convention à mon humble avis, doit être rédigée en trois exemplaires, dont un pour l’employeur, un pour le travailleur et l’autre pour l’inspecteur du travail du ressort.
S’agissant du délai de rétractation, il convient de souligner que, le droit congolais n’a pas prévu un délai suivant lequel une partie puisse se rétracter dans cette rupture conventionnelle (renoncer). Nous confiant au droit comparé, nous épousons l’hypothèse du droit français selon laquelle, le salarié et l’employeur ont un délai de 15 jours pour se rétracter (refuser) de la rupture conventionnelle. Ce délai doit débuter à courir le jour qui suit la date de la signature de la convention et si le dernier jour du délai tombe un samedi, un dimanche ou un jour férié, il est prolongé jusqu'au jour suivant.
VII. L’homologation de la convention
La rupture conventionnelle est l’apanage exclusif de l’employeur et le salarié, c’est pourquoi, la convention étant un acte sous seing privé, son opposabilité à l’égard des tiers et de l’Etat est conditionnée par homologation auprès des personnes attitrées.
A notre humble avis, la convention doit d’abord passer par l’inspecteur du travail du ressort pour l’apposition de son visa. En droit, la convention de rupture constitue et/ou a la même valeur qu’un procès-verbal de conciliation.
En conséquence, l’article 301 du code du travail prévoit que « en cas de conciliation, la partie la plus diligente fait apposer la formule exécutoire sur le procès-verbal auprès du Président du Tribunal de travail compétent. Le Président du Tribunal de travail compétent est celui dans le ressort duquel le procès-verbal de conciliation est signé ».
Ainsi donc, après l’écoulement du délai de 15 jours de rétraction (que les parties doivent observer), la convention rédigée en privé par le travailleur et l’employeur, doit passer d’abord par l’inspection du travail du ressort pour un visa, et ensuite, les parties ou l’une d’entre elle la plus diligente, initie une requête auprès du Président du Tribunal de travail ou Tribunal de Grande Instance là où le premier n’est pas installé, afin d’obtenir la formule exécutoire sur la convention. Là, cette convention devient authentique, et par conséquent, a la même valeur qu’un jugement coulé en force des choses jugées.
VIII. Contestation de la rupture conventionnelle devant le Tribunal de Travail ou Tribunal de Grande Instance
En tant qu’un litige individuel du travail, la contestation relative à la rupture conventionnelle ne peut être portée devant le juge du travail qu’après l’observance de l’article 298 du code du travail qui prône la phase de conciliation préalable et qui dispose que « les litiges individuels ne sont pas recevables devant le tribunal du travail s’ils n’ont été préalablement soumis à la procédure de conciliation, à l’initiative de l’une des parties, devant l’inspecteur du travail du ressort ».
C’est après l’observation des articles 300 à 301 et en cas d’échec, qu’un procès-verbal de non conciliation sera établit par l’inspecteur du travail et dûment signé par les parties et/ou un procès-verbal de carence et suivant l’article 302, le litige (contestation) peut être soumis au tribunal du travail.
Les parties saisissent le Tribunal du travail, par contre, là où ce dernier n’est pas installé, c’est le Tribunal de Grande Instance du ressort de l’inspection du travail qui a établi le procès-verbal, qui est compétent pour juger cette contestation, conformément à l’article 45 de la loi n°016-2002 du 16 octobre 2002 création, organisation et fonctionnement des tribunaux du travail et l’article 151 de la loi n°13/011-B du 13 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judicaires disposant que « là où ne sont pas encore installés les tribunaux de paix, les tribunaux de commerce et les tribunaux du travail, les tribunaux de grande instance sont compétents pour connaître en premier ressort des matières qui relèvent normalement de la compétence de ces juridictions ».
IX. Conclusion
La rupture conventionnelle du contrat de travail présente beaucoup d’avantages pour le salarié dont notamment une indemnité de rupture (à titre de décompte final pour le CDI) qui est égal aux indemnités légales ou conventionnelles, contrairement au cas d’une démission. Aussi, le travailleur a droit à son certificat de fin de service et de sa carte d’Immatriculation à la CNSS. Elle également est importante pour l’employeur s’agissant de la procédure administrative qui est moins lourde et plus rapide que celle relative au licenciement et le risque des conflits judiciaires évidemment atténué.
En définitive, il est vivement conseillé aux employeurs et leurs salariés de recourir fréquemment à ce mode de rupture du contrat du travail qui imprime des avantages importants.
X. Références
1. Loi n°015-2002 du 16 octobre 2002 telle que modifiée et complétée par la loi n°16/010 du 15 juillet 2002 portant code du travail.
2. Loi n°016-2002 du 16 octobre 2002 portant création, organisation et fonctionnement des tribunaux du travail.
3. La loi n°13/011-B du 13 avril 2013 portant organisation, fonctionnement et compétences des juridictions de l’ordre judicaires.
4. Décret du 30 juillet 1888 relatif aux contrats ou obligations conventionnelles.
5. KATUALA KABA KASHALA, Le nouveau code du travail congolais annoté, 5ème édition, Ed. Batena Ntambua, Kinshasa, Septembre 2005.
6. KUMBU KI NGIMBI (J-M.), Droit du travail, Kinshasa, 2010.
7. KUMBU-KI-NGIMBI, Droit du travail, Manuel d'enseignement, Kinshasa, Janvier 2010.
8. KAZEKELE MBELE (E.), Droit du travail et de la sécurité sociale, UTIC, G2 informatique, 2015-2016.
9. NAMAYELE Ben BATHWA, Cours de droit du travail, L1 Droit, UNIMBA, 2016-2017.
10. MAYOKA (J.), La cessation du contrat de travail à durée indéterminée en droit congolais : causes et conséquences, Mémoire de licence en droit, UNIMBA, 2018.
---------
Maitre Edmond MBOKOLO ELIMA
Avocat
Assistant
Chercheur à l'Université de Kinshasa
tél.+243822522855