En droit cambiaire, « les personnes actionnées en vertu de la lettre de change ne peuvent pas opposer au porteur les exceptions fondées sur leurs rapports personnels avec le tireur ou avec les porteurs antérieurs, à moins que le porteur, en acquérant la lettre, n’ait agi sciemment au détriment du débiteur »[1] : C’est la règle dite de l’inopposabilité des exceptions. Les personnes engagées en tant que signataires d’un effet de commerce ne peuvent donc pas opposer au porteur de bonne foi les exceptions fondées sur leurs rapports personnels avec les précédents signataires.
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I- Quel est le fondement de cette règle?
la règle de l'inopposabilité des exceptions dérogeant au droit commun(a) est issue de l’endossement translatif (b).
a-L’inopposabilité des exceptions : une règle dérogeant au droit commun.
La règle de l’inopposabilité des exceptions est différente de celle appliquée en matière de cession de créance. En effet, en droit civil plutôt que de garantir la solvabilité, le cédant garantie l’existence de la créance et le débiteur pour sa part conserve contre le cessionnaire de la dite créance toutes les exceptions qu’il pouvait opposer au cédant. C’est en d’autres termes l’application de la très célèbre règle civiliste « Nemo plus juris ad alium transfere potest quam ipse habet ». Autrement dit, nul ne peut transférer à autrui plus de droit que l’on en possède soi-même.
La situation en droit cambiaire est bien différente. Pour la simple raison que la personne appelée à payer (tiré ou autre signataire) ne pourra pas invoquer contre le demandeur au paiement les exceptions que cette personne avait contre un autre signataire. C’est justement en cela que ce principe est dérogatoire au droit commun.
Cette règle trouve également son fondement dans l’endossement translatif.
b-L’inopposabilité des exceptions : une règle issue de l’endossement translatif.
L’endossement translatif[2] produit des effets bien plus forts que la simple cession de créance. Parmi ces effets il y’a sans doute la règle de l’inopposabilité des exceptions. En effet, contrairement au droit commun où les règles relatives à la cession de créance sont tournés vers le transfert de la titularité de la créance, les règles régissant l’émission des effets de commerce ont quant à elles vocation à assurer la circulation du titre et, il y’a purge des exceptions à chaque transmission du titre. Pour s’en convaincre, lorsque la traite n’a pas circulé le tiré accepteur peut opposer les exceptions du simple fait que le tireur est resté propriétaire de la traite.
Bien plus, seul le porteur légitime et de bonne foi est en réalité fondé à se prévaloir de cette règle. Suivant l’article L 511-11 du code de commerce, le porteur légitime est celui qui est en mesure de se prévaloir d’une chaine ininterrompue d’endossement translatif régulier. C’est dire que le porteur qui aurait acquis la lettre de change, par exemple, par un autre procède autre que l’endossement notamment par le biais d’une cession de créance de droit commun pourrait se voir opposer fort heureusement les mêmes exceptions que celles opposables au cédant.
L’endossement a donc un effet particulier, il purge les vices de la créance cambiaire.
II- Quelle est la portée de cette règle?
La portée de la règle de l'inopposabilité des exceptions varie suivant que l'on est face aux exceptions dites toujours opposables (A) ou face au porteur de la mauvaise foi(B).
A- Les exceptions dites toujours opposables.
Si par principe, toutes les excetions tirées du rapport fondamentale ( défaut de provision, clause de nullité...) sont inopposables au porteur, certaines exceptions au contraire lui sont toujours opposables. Il s'agit notamment des exceptions personnelles c’est-à-dire celles qui trouvent leur source dans le rapport fondamental qui se noue entre le porteur et le signataire actionné en paiement. A cela s’ajoute traditionnellement trois autres séries d’exceptions opposables à savoir l’incapacité du tiré , ensuite des vices apparents de l’effet de commerce qui sont déduits des mentions obligatoires [3]devant figurer dans le titre et enfin du vice de consentement. Toute personne actionnée en vertu de l’acquittement du montant d’un effet de commerce peut opposer au porteur l’exception déduite du vice ou en l’absence du consentement.
B-Le sort du porteur de mauvaise foi.
L’article L 511-12 du code de commerce en posant le principe de l’inopposabilité des exceptions ne vise en réalité qu’à protéger le porteur de bonne foi et non de mauvaise foi. Qu’est alors un porteur de mauvaise de foi ? Cette notion a en effet évolué en droit cambiaire au fil des années. Au début, la loi interprétait la mauvaise foi comme en droit commun. Elle s’apparentait alors à la connaissance de l’exception par le porteur (personne physique ou morale). Ce dernier devait alors avoir eu conscience de l’existence de celle-ci en consentant à l’endossement du titre à son profit. Etait donc de mauvaise foi le bénéficiaire qui savait par exemple que le fournisseur n’avait pas livré.
Jusqu’ici, la connaissance de l’existence de l’exception suffit à caractériser la mauvaise foi mais très vite la situation va changer. La jurisprudence et la doctrine ont commencé à l’assimiler à la fraude. Or la fraude suppose en droit, l’intention de nuire et alors le tiré devait démontrer l’intention de nuire ce qui est quasi-impossible.
Il fallait donc attendre l’arrêt «Worms de 1956 » pour voir une solution intermédiaire se dessiner. Alors, plus que la connaissance de l’exception et moins que l’intention frauduleuse il fallait avoir eu conscience de causer un dommage définitif aux autres bénéficiaires en acceptant la traite. Par conséquent, la seule négligence ou même l’imprudence d’un créancier cambiaire n’est pas assimilable à la mauvaise foi[4].
Demeurant à votre disposition pour toutes précisions.
ESSIE TRESOR WELCOME.
Etudiant chercheur à la faculté de droit de Brazzaville(UMNG).