Au cours de l'exécution du contrat de travail, l'employeur peut, pour différentes raisons, souhaiter modifier les conditions d'emploi du salarié. La mesure envisagée est soumise à un régime différent selon qu'elle entraîne une modification du contrat de travail ou un simple changement des conditions de travail du salarié.
Il n’y a pas de définition légale de la modification du contrat de travail, c’est la jurisprudence qui a précisé la notion en distinguant les modifications du contrat qui nécessitent l'accord du salarié des simples changements des conditions de travail qui s'imposent à lui.
Le caractère contractuel d'une modification s'apprécie en fonction non seulement des stipulations contractuelles mais aussi en considération des éléments par nature « essentielle » à tout contrat de travail. Il s’agit notamment des fonctions du salarié, de sa qualification, et de sa rémunération ; la durée du travail et le lieu, qui peuvent dans certains cas être considérés comme des éléments essentiels du contrat. C’est ce que nous allons
I- Les éléments entrainant la modification du contrat de travail
1- La modification de la rémunération
La rémunération est un élément essentiel du contrat qui ne peut pas être modifié, ni dans son montant ni dans sa structure, sans l'accord du salarié (Cass. soc. 3-3-1998 n° 95-43.274 ; 3-7-2001 n° 99-42.761).
La modification prise en compte concerne le montant de la rémunération, le taux horaire, ou encore le taux de commission.
En règle générale, cette modification est prise en compte lorsqu’elle est caractérisée par une baisse de la rémunération du salarié.
La Cour de cassation va plus loin. Elle précise que « le mode de rémunération d'un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans son accord, peu important que l'employeur prétende que le nouveau mode serait plus avantageux » ( Cass. soc., 28 janv. 1998, n° 95-40.275).
Ainsi, ce serait aussi le cas si la modification ne porte que sur la partie variable du salaire (Cass. soc. 16-2-1999 n° 96-45.013; 8-1-2002 n° 99-44.467), et ne réduit pas la rémunération globale de l’intéressé.
La jurisprudence a admis que lorsque l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction modifie un aspect de la relation contractuelle, qui emporte des conséquences sur le montant de la rémunération variable, il doit requérir l’accord du salarié. C’est le cas notamment :
- à propos d’une réorganisation du service (Cass. soc. 13 mars 2013, n° 11-27.715) .
La Cour de cassation a en effet jugé que « la réorganisation du service opérée par l'employeur était de nature à affecter la rémunération variable du salarié sans qu'il justifie avoir assorti cette réorganisation d'une garantie du maintien du montant du salaire […],que cette réorganisation emportait une modification du contrat de travail »
- ou de la modification d’une zone de prospection d’un commercial (Cass. soc. 10 avril 2013, n°12.10193).
« la limitation de la zone géographique de prospection d'un commercial, qui est de nature à amoindrir son potentiel commercial et à influer par suite sur le montant de la partie variable de sa rémunération, assise sur le « chiffre d'affaires généré » selon les termes du contrat, est constitutive d'une modification du contrat de travail, nécessitant l'accord du salarié ».
La question de la rémunération du salarié prend également en compte celle des frais professionnels ou des avantages en nature. La Cour de cassation a eu à trancher dans de nombreux cas des différends sur la question.
Il a été ainsi admis que constitue une modification du contrat de travail soumise à l’accord préalable du salarié notamment:
- le retrait de l'usage du véhicule de l'entreprise mis à la disposition du salarié ( Cass. soc., 7 mars 2012, n° 10-19.143),
- la réduction d'une indemnité kilométrique contractuelle ( Cass. soc., 3 mars 1993, n° 89-41.504).
Plus récemment, elle a précisé que la suppression unilatérale par l'employeur d'un avantage en nature, qui constitue un élément de rémunération, caractérise un manquement contractuel justifiant l'allocation de dommages-intérêts ( Cass. soc., 4 févr. 2015, n° 13-24.151).
Sur la modification de la structure du salaire, il a été précisé qu’un nouvel accord collectif prévoyant une garantie de maintien de salaire, ne permet pas à l'employeur de diminuer unilatéralement le taux horaire contractuel du salaire (Cass. soc. 3-7-2001 n° 99-40.641). De même, une prime conventionnelle ne saurait être intégrée dans la rémunération contractuelle du salarié sans son accord (Cass. soc. 23 oct. 2001, n°99-43153).
2- Le temps de travail
Le temps de travail est un élément essentiel du contrat. Toutefois, une nuance doit être faite entre la modification qui relève du pouvoir de direction de l’employeur, de l’organisation du temps du travail, de celle qui requiert l’accord du salarié.
En principe, l'employeur ne peut modifier, sans l'accord du salarié, la durée du travail telle que mentionnée au contrat (Cass. soc. 20 octobre 1998 n° 96-40.614 ; 30 mars 2011 n° 09-70.853). L’employeur ne pourra pas modifier le contrat en présence d’horaires contractualisés.
L’employeur peut fixer une nouvelle répartition des horaires de travail au sein de la journée.
La seule borne possible est l’atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie personnelle et familiale ou à son droit au repos (Cass. soc. 3-11-2011 n° 10-14.702 : RJS 1/12 n° 10).
En règle générale, l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction ne doit pas agir dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle.
En règle générale, ne constitue pas une simple répartition des horaires mais une modification du contrat de travail :
- le passage d’un horaire fixe à un horaire variable (Cass. soc. 14 novembre 2000 n° 98-43.218, 24 janvier 2007, n° 05-42.688, 8 juillet 2008 n° 06-45.769),
- d'un horaire continu à un horaire discontinu (Cass. soc. 18 décembre 2000 n° 98-42.885; 3 novembre 2011 n° 10-30.033),
- d'un horaire de jour à un horaire de nuit (Cass. soc. 5 juin 2001, 98-44.781 et n° 98-44.782; 18 juin 2002 n° 00-44.134), ou inversement.
3- La mobilité géographique
En principe, la mention du lieu de travail dans le contrat de travail a une simple valeur informative à moins qu'il ne soit stipulé par une clause claire et précise que le salarié exécutera son travail exclusivement dans ce lieu ( Cass. soc., 3 juin 2003, n° 01-43.573).
En présence d’une proposition de l’employeur, il importe de vérifier si le contrat comporte ou non une clause de mobilité géographique et si oui, est-elle rédiger de manière précise ?
Lorsque le contrat de travail du salarié ne contient pas de clause de mobilité, la mutation du salarié ne constitue une modification de son contrat de travail que si le nouveau lieu de travail se situe dans un secteur géographique différent.
Ainsi, constitue un simple changement des conditions de travail s'imposant au salarié le changement de lieu de travail, même si ce lieu figure dans le contrat pour :
Ø Le déplacement occasionnel ou passager lorsque l’emploi est par nature itinérant.
Ø La mutation du salarié dans le même secteur géographique sauf en présence d’une clause du contrat qui précise un lieu de travail exclusif.
Ø La mise en œuvre d’une clause de mobilité sauf si elle est mise en œuvre de mauvaise foi, avec une légèreté blâmable.
A contrario, le changement du lieu de travail hors du secteur géographique (en l’absence de clause de mobilité), ou encore le fait d’imposer au salarié de travailler à domicile est une modification du contrat de travail du salarié.
Le juge appelé à se prononcer sur le changement de secteur géographique prend en compte plusieurs éléments comme par exemple l’accessibilité au site, le temps de trajet…pour apprécier la situation.
L'employeur ne peut imposer au salarié d'établir sa résidence dans le département de son nouveau lieu de travail (Cass. soc. 15 mai 2007 n° 06-41.277).
4- La modification de la qualification et de la fonction du salarié
Dans le cadre de son pouvoir de direction, l'employeur peut faire évoluer les tâches effectuées par le salarié. Le salarié n’a aucun droit reconnu à effectuer toujours les mêmes tâches. Mais il peut exiger que les tâches qui lui sont confiées soient en rapport avec sa qualification.
Ainsi, dès lors que sa qualification ne s’en trouve pas modifiée, l’employeur peut légitimement lui confier de nouvelles tâches, lui en retirer ou l’affecter à un poste ou dans un autre service.
Cette nouvelle affectation ne doit pas s’accompagner de la perte d’avantages salariaux (Cass. soc. 22 mars-2006 n° 04-47.749) ou d’une baisse de responsabilités conduisant à vider le poste de sa substance (Cass. soc. 26 juin 2010 n° 08-44.995).
Il en va de même lorsque la modification des attributions du salarié conduit à modifier sa qualification.
Les fonctions prises en compte pour déterminer si le changement constitue ou non une modification du contrat de travail sont les fonctions réellement exercées et non celles mentionnées dans le contrat (Cass. soc. 17 janvier 2006, n°04-43228).
5- L’insertion d’une nouvelle clause contractuelle
L’insertion de nouvelles clauses dans le contrat de travail requiert l’accord du salarié.
C’est le cas notamment des clauses de non concurrence, des clauses de mobilité ou encore d’exclusivité.
Le cas de l’usage d’entreprise
Un usage d'entreprise est une pratique instaurée par l'employeur qui se traduit par l'attribution d'un avantage au profit de ses salariés (par exemple, versement d'un 13e mois ou d'une prime de pénibilité ou le bénéfice d'un congé supplémentaire).
L'usage d'entreprise est un avantage régulier accordé librement par un employeur à ses salariés, sans que le code du travail ou une convention ou un accord collectif ne l’impose.
Les avantages consentis aux salariés en vertu d'un usage d'entreprise ne sont pas incorporés au contrat de travail.
L'employeur est en droit de les supprimer, unilatéralement, à condition :
- D’informer les institutions représentatives du personnel tel que le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel,
- D’informer individuellement chaque salarié concerné par lettre simple ou recommandée (un affichage ou la diffusion d'une note interne ne suffit pas),
- De respecter un délai de prévenance suffisant.
En cas de non-respect de ces règles, l’usage d’entreprise continue à s’appliquer. Les salariés peuvent réclamer son maintien à l’employeur.
La dénonciation de l’usage d’entreprise par l’employeur ne constitue donc pas une modification du contrat de travail du salarié.
II- Procédure de mise en oeuvre et conséquences
1- Le préalable : l’accord du salarié
Toute modification du contrat de travail, pour quelque cause que ce soit est subordonnée à l’accord clair et non équivoque du ou des salariés concernés.
En cas de refus du salarié, l'employeur peut, soit renoncer à la modification envisagée soit, le cas échéant, licencier le salarié.
NB : Afin de prévenir un éventuel contentieux, il est fortement recommandé à l’employeur de formaliser par la rédaction d'un avenant, l'acceptation de la modification par le salarié.
L'employeur qui prend la décision de licencier le ou les salariés ayant refusé la proposition de modification, doit pouvoir justifier d'un juste motif de licenciement, celui-ci ne pouvant être le refus de la modification.
Lorsque l’employeur envisage de mettre en œuvre cette modification, la procédure diffère selon que la modification envisagée repose ou non sur un motif économique.
2- La modification repose sur un motif économique
L’employeur peut proposer une modification d’un élément essentiel du contrat de travail du fait de difficultés économiques ou suite à des mutations technologiques. C’est l’hypothèse du licenciement économique (article L. 1233-3 du Code du travail).
La modification du contrat de travail dans cette situation doit respecter le formalisme prescrit par la loi (article L 1222-6 du Code du travail).
La loi prévoit que :
- Une information par lettre recommandée avec accusé de réception
- La lettre doit informer le salarié qu’il dispose d’un délai d’un mois à compter de la réception pour faire connaître son refus. Le délai est de quinze jours si l’entreprise est en liquidation judiciaire ou en redressement.
- A défaut de réponse dans le délai d’un mois ou de quinze jours, le salarié est réputé avoir accepté la modification proposée.
L’employeur qui licencie le salarié doit respecter la procédure de licenciement pour motif économique.
3- La modification opérée pour un motif disciplinaire
L’employeur ne peut imposer au salarié une modification de son contrat de travail pour le sanctionner.
L'employeur qui notifie au salarié une sanction qui emporte une modification du contrat de travail, il doit l'informer de sa faculté d'accepter ou de refuser cette modification.
La cour de cassation a ainsi jugée que : « Mais attendu que lorsque l'employeur notifie au salarié une sanction emportant modification du contrat de travail il doit informer l'intéressé de sa faculté d'accepter ou refuser cette modification » (Cass. soc. 28 avril 2011 n° 09-70.619).
En cas de refus du salarié, l'employeur peut, dans le cadre de son pouvoir disciplinaire, prononcer une autre sanction, au lieu et place de la sanction refusée. L'employeur se fonde sur les mêmes faits que ceux à l'origine de la sanction refusée.
Cependant, s’il envisage de licencier le salarié, le motif invoqué doit être suffisamment grave pour justifier le licenciement.
4- Les autres cas de modifications
Sauf disposition conventionnelle contraire, lorsque l’employeur envisage de modifier le contrat du salarié, il n’est soumis à aucune règle de forme.
Il est tenu toutefois de laisser au salarié un délai suffisant pour faire connaître son acceptation ou son refus. L'administration préconise le respect d'un délai de 15 jours (Inst. 30-7-1993).
Il a été ainsi jugé qu’avait agi avec une précipitation fautive, l’employeur ayant laissé 24 heures à un salarié pour accepter son nouveau poste alors que l’intéressé avait demandé un délai de réflexion de 10 jours (Cass. soc. 21 juillet 1986, n°84-41577).
Toutefois, il ne peut résulter du silence du salarié ni un refus ni une acceptation. En effet, la modification de tout contrat ne peut s’imposer à l’une des parties, elle doit faire l’objet d’un accord exprès, en vertu de l’article 1134 du code civil qui consacre le principe de la force obligatoire des contrats.
L’acceptation de la modification entraîne une novation du contrat de travail, sauf si la modification est présentée comme provisoire. Les parties ne peuvent donc pas revenir aux conditions antérieures.
Le salarié à qui l’employeur impose une modification de son contrat de travail, nonobstant son accord a la possibilité de saisir le Conseil de Prud’hommes pour :
- Prendre acte de la rupture de son contrat de travail pour faire produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- Demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur, qui devrait produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- Exiger la poursuite du contrat de travail aux conditions non modifiées
Il ressort qu’en définitive, la problématique relative à la modification du contrat de travail est très complexe, et recouvre des situations différentes qui ne peuvent être abordés dans l’intégralité dans ce cadre de la présente analyse. Au-delà, de l’aspect contractuel et de la force obligatoire des contrats, chaque situation dépendra de circonstances d’espèces soumise à l’appréciation du juge en cas de contentieux.
Par Me Sarah Garcia
Venez découvrir notre nouveau Blog Juridique en doit du travail.
Email : sgarcia.avocat@gmail.com
Suivez-nous sur : @GarciaAvocat