Dans un arrêt en date du 23 septembre 2013, la cour d’appel de Paris a condamné Sephora à fermer ses portes à 21 heures afin de respecter les règles relatives au travail de nuit. Cette décision nous permet de revenir sur les dispositions relatives au travail de nuit.
I- Le contexte
Sephora, dans son enseigne parisienne des Champs-Élysées, avait pour habitude de fermer à minuit la semaine, et une heure du matin le week-end. Des salariés travaillaient de ce fait régulièrement la nuit.
Des syndicats avaient donc saisi le TGI de Paris en référé, puis la cour d’appel de Paris afin qu’il soit mis un terme à cette situation.
Face à la Cour, Sephora a avancé différents arguments afin de justifier l’ouverture nocturne. Elle soutenait en effet, que le recours au travail de nuit est exceptionnel ( seul environ 4100 salariés de son réseau commercial travaillent après 21 heures). Par ailleurs, elle soutenait que le travail de nuit s’effectue sur la base du volontariat et donne droit à une majoration de salaire en un repos compensateur. En outre, les salariés sont raccompagnés en taxi à leur domicile à partir de minuit. Afin, elle justifiait cette situation par les contraintes de fonctionnement de l’établissement des Champs- Élysées, et par le fait qu’il participait à l’attrait touristique de la zone.
La cour d’appel a rappelé dans un premier temps les dispositions de l’article L3122-32 du Code du travail, « le recours au travail de nuit est exceptionnel », « qu’il prend en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et est justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité publics ».
Elle contredit les arguments avancés de Sephora dans le dispositif suivant :
« Mais considérant que le caractère exceptionnel visé à l’article L3122-32 du Code du travail ne se définit pas par rapport aux effectifs de la société, mais qu’il s’apprécie au regard du secteur d’activité pour lequel le travail de nuit est inhérent ou pour lequel il n’existe pas d’autres possibilités d’aménagement du temps de travail, ce qui n’est pas le cas des commerces de parfumerie comme celui de la société Sephora laquelle n’établit pas que les difficultés alléguées nécessitent que son établissement soit ouvert à la clientèle de nuit et qu’il soit dérogé au mode d’organisation normale du travail de son personnel ».
En l’occurrence, il n’y a aucune nécessité d’assurer la continuité du service économique au sens de l’article L3122-32 du Code du travail. Le caractère exceptionnel ne s’apprécie pas par rapport au nombre de salariés.
La cour d’appel rappelle par ailleurs, que le fait que les salariés soient volontaires ne remet pas en cause l’obligation d’ordre de protection de santé et de sécurité.
Par ailleurs, concernant les possibilités d’aménagement, aucun élément ne permet d’établir qu’il n’existe pas d’autre possibilité d’aménagement du temps de travail pour les salariés.
La Cour remarque, enfin, qu’aucun accord n’a été négocié ou conclut pour la mise en place du travail de nuit, alors que le Code du travail l'impose.
Cette décision rendue par la cour d’appel de Paris nous donne l’occasion de revenir sur les dispositions relatives au travail de nuit.
II- Rappel des dispositions de la loi sur le travail de nuit
1-Champ d’application du travail de nuit
L’article L3122-29 alinéa 1 en pose le principe : « Tout travail entre 21 heures et 6 heures est considéré comme travail de nuit».
Le deuxième alinéa prévoit qu’ : « Une autre période de neuf heures consécutives, comprise entre 21 heures et 7 heures incluant, en tout état de cause, l'intervalle compris entre 24 heures et 5 heures, peut être substituée à la période mentionnée au premier alinéa par une convention ou un accord collectif de travail étendu ou un accord d'entreprise ou d'établissement».
L’article L3122-29 alinéa 3 apporte une autre précision : « A défaut d'accord et lorsque les caractéristiques particulières de l'activité de l'entreprise le justifient, cette substitution peut être autorisée par l'inspecteur du travail après consultation des délégués syndicaux et avis du comité d'entreprise ou des délégués du personnel s'il en existe. ».
En principe, la durée quotidienne de travail effectué par un travailleur de nuit ne peut exceder 8 heures. Il peut déroger à cette durée dans la limite de 12 heures.
Est considéré comme travailleur de nuit, tout travailleur qui accomplit au moins deux fois par semaine, selon son horaire de travail habituel, au moins trois heures de son temps de travail quotidien au cours de la période considérée comme travail de nuit dans son entreprise ( Article L3122-31 du code du travail).
Est de même considéré comme travailleur de nuit, celui qui accomplit au cours d’une période de référence, un nombre minimal d’heures de nuit durant la période comme telle dans son entreprise.
2-Condition de mise en ½uvre
- Le travail de nuit doit être à caractère exceptionnel et prendre en compte les impératifs de la protection de santé et de la sécurité des travailleurs.
- Le recours au travail de nuit doit être justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services de l’utilité sociale.
- La mise en place du travail de nuit nécessite un accord collectif ou une autorisation de l’inspecteur du travail.
- Les travailleurs de nuit doivent nécessairement bénéficier d’un repos compensateur (Article L3122-39 du code du travail).
- Le travailleur de nuit bénéficie avant son affectation sur un poste de nuit et à intervalles réguliers d'une durée ne pouvant excéder six mois par la suite, d'une surveillance médicale particulière ( Article L3122-42 du Code du travail).
3-Les contraintes du travail de nuit et les conditions de retour au travail de jour
Le salarié peut demander son affectation sur un poste de jour lorsque le travail de nuit est incompatible avec des obligations familiales impérieuses, notamment avec la garde d'un enfant ou la prise en charge d'une personne dépendante ( Article L3122-44 du Code du travail).
Le travailleur de nuit, lorsque son état de santé, constaté par le médecin du travail, l'exige, est transféré à titre définitif ou temporaire sur un poste de jour correspondant à sa qualification et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé ( Article L3122-45 du Code du travail) .
L'employeur ne peut prononcer la rupture du contrat de travail du travailleur de nuit du fait de son inaptitude au poste comportant le travail de nuit. Il doit justifier par écrit, soit de l'impossibilité dans laquelle il se trouve de proposer un poste de jour correspondant à sa qualification et aussi comparable que possible, soit du refus du salarié d'accepter le poste proposé dans les mêmes conditions que l'emploi précédemment occupé (Article L3122-45 du Code du travail).