Le jeu vidéo suscite toujours autant d’émois juridiques…
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Alors que le Tribunal de grande instance de Paris a rendu récemment une décision qualifiant le jeu vidéo d’œuvre de collaboration dans une affaire opposant un ancien salarié compositeur de musiques à son employeur, éditeur de jeux vidéo, le député Patrice Martin-Lalande remettait le 21 décembre 2011 au Gouvernement son rapport sur le régime juridique du jeu vidéo en droit d’auteur.
Autant dire que le jeu vidéo est au centre de toutes les attentions juridiques !
Il est intéressant de revenir sur cette jurisprudence (1er article) à la lumière de ce rapport parlementaire (2d article).
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Décision du TGI de Paris du 30.09.2011
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Outre la problématique de la qualification juridique du jeu vidéo, c’est sur la question de la titularité des droits d’auteur portant sur les musiques composées par un ancien salarié de l’éditeur de jeux vidéo, que le Tribunal de grande instance de Paris a eu à se prononcer dans sa décision rendue le 30.09.2011.  (TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 30 sept. 2011, Julien F. c/ Sté Prizee.com)
Cette affaire opposait en effet un salarié à la société Prizee.com, plateforme de jeux en ligne. Le salarié composait les musiques des jeux en ligne, en qualité de sound designer. Après son licenciement, l’ancien salarié a constaté que les musiques étaient également compilées dans un CD et téléchargeables sur Internet. Or il n’avait pas autorisé cette utilisation et n’avait pas cédé ses droits d’exploitation à son ex-employeur. L’ancien salarié a donc assigné la société Prizee.com en contrefaçon.
Sur la qualification des jeux vidéo en ligne
Le tribunal est tout d’abord amené à trancher sur la qualification juridique des jeux vidéo. Œuvre collective ou œuvre de collaboration ?
Le tribunal relève que certains éléments penchent en faveur de la qualification d’œuvre collective sens de l’article L 113-2 du code de la propriété intellectuelle « puisque les œuvres musicales ont été divulguées sous le nom de la société Prizee, réalisées par un salarié et impliquent une contribution personnelle de chaque auteur. »
Cependant, il écarte cette qualification au motif que la société Prizee.com ne démontre pas qu’elle a donné des instructions et, contrairement à ce qu’elle soutient, la musique ne se fond pas dans l’ensemble que constitue le jeu vidéo, puisqu’on peut l’écouter sans jouer, ainsi que l’établit d’ailleurs la commercialisation par la société Prizee.com d’un CD contenant les créations musicales.Â
Par conséquent, les jeux en ligne constituent une œuvre de collaboration au sens de l’article L.113-2 du code de la propriété intellectuelle.
Ce jugement confirme la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation du 25 juin 2009 dans son arrêt Cryo qui avait refusé de réduire les œuvres multimédias à la seule dimension logicielle ou audiovisuelle. La Cour avait opté pour une qualification distributive des droits sur les différents éléments des jeux vidéo. La Cour d’appel de Paris a également jugé en ce sens dans un arrêt récent du 26 septembre 2011 (CA Paris, 26 septembre 2011, Pôle 5, Chambre 12, SARL AAKRO PURE TRONIC et a. c/ NINTENDO.)
Dès lors, la musique des jeux fait elle-même partie d’une œuvre de collaboration audiovisuelle à laquelle le salarié a collaboré. Les musiques ne peuvent donc pas être exploitées sans l’autorisation de leur auteur, quand bien même celui-ci serait salarié.
Sur la protection de la musique des jeux en ligne par le droit d’auteur
Pour déterminer si ces musiques sont protégeables au titre du droit d’auteur, le tribunal statue ensuite sur l’originalité de celles-ci.
L’article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. Selon l’article L.112-1 du même code, ce droit est conféré à l’auteur de toute œuvre de l’esprit, quels qu’en soit le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination et en particulier (5°) les compositions musicales avec ou sans parole.
Les créations musicales méritent la protection dans la mesure où il y a eu un travail de création intellectuelle. Peu importe qu’elles aient été réalisées par des techniques informatiques. L’œuvre musicale pour des jeux vidéo est donc soumise au droit d’auteur. Le tribunal s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence à ce sujet.
Dès lors, le salarié compositeur bénéficie également du statut d’auteur, ce qui lui donne une place particulière dans l’entreprise. En effet, l’employeur ne peut exploiter les œuvres réalisées par ses salariés sans avoir obtenu au préalable une cession des droits d’exploitation en bonne et due forme. Le code de la propriété intellectuelle encadre strictement ces cessions.
Sur la contrefaçon par l’ancien employeur
A défaut de cession des droits, l’employeur s’expose à être sanctionné pour contrefaçon, comme cela a été le cas dans cette affaire.
Aux termes de l’article L.122-4 du code de la propriété intellectuelle, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite, et il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.
La société Prizee.com ne conteste pas avoir représenté et reproduit, sans le consentement du salarié les œuvres musicales, que ce soit sur le site internet dont elle est titulaire, à l’occasion de conférences de presse, dans le restaurant qu’elle exploite et par l’exploitation des titres figurant sur la compilation Prizee Music. Le tribunal relève en effet qu’aucune pièce ne justifie d’une cession des droits sur l’exploitation des œuvres alors que dans le cadre d’une œuvre de collaboration, cette cession est impérative.
Le tribunal conclut que la société Prizee.com a commis des actes de contrefaçon.
La société Prizee.com a été condamnée à verser 50 000 € au musicien en réparation de son préjudice subi suite à la violation de ses droits patrimoniaux.