La surveillance par géolocalisation est une pratique policière de plus en plus courante. La raison est simple : contrairement aux « filatures », elle a le mérite de ne pas immobiliser des moyens en personnels et en matériel.
Deux techniques de géolocalisation peuvent être répertoriées.
La technique dite du « suivi dynamique » d’une part qui permet, au moyen d’un terminal de télécommunication, de localiser un téléphone mobile, ainsi que la technique d’apposition d’une balise sur un objet ou moyen de transport, permettant de localiser “en temps réel“, la position d’une personne qui le détient ou dans lequel elle se trouve.
Bien que la géolocalisation ne soit pas une technique nouvelle, les technologies utilisées le sont (téléphones cellulaires, smartphones couplés au GPS). Et les services de police judiciaire y ont recours dans le cadre de commission d’infractions opaques et complexes, pour surveiller les faits et gestes de suspects, notamment en matière de criminalité organisée.
Tout l’enjeu dans l’emploi de ces techniques « intrusives » réside donc dans l’impérieuse nécessité de concilier les intérêts d’une enquête policière ou d’une instruction et le respect de la vie privée des personnes mises en causes.
C’est d’ailleurs sous cet autel que la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a adopté, par l’arrêt Uzun c./ Allemagne, le 2 septembre 2010, une position claire sur la question en définissant précisément les conditions de validité de cette forme de surveillance – celle-ci devant respecter les critères de nécessité et de proportionnalité posés par l’article 8,§2 de la Convention : http://bit.ly/1oAHMRa.
La législation française est demeurée relativement discrète sur cette question, notamment sur les modalités de mise en œuvre de cette surveillance. Quels types de méthodes ? Dans quelles circonstances? Sous le contrôle de qui ?
Suite à deux arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 22 octobre 2013 ayant estimé que « la technique de « géolocalisation » constituait une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessitait qu’elle soit exécutée sous le contrôle d’un juge » (http://bit.ly/1lNlubg), la loi du 28 mars 2014 est intervenue pour clarifier la situation.
FACE AU SILENCE LÉGISLATIF, LES JUGES CRIMINELS SONT INTERVENUS…
Face au silence de la législation française en la matière, les deux arrêts de la chambre criminelle du 22 octobre 2013 ont comblé (temporairement) ce vide juridique.
Les deux décisions en question traitaient de deux affaires distinctes, l’une relative à une enquête ouverte pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte terroriste, la seconde concernant un trafic de stupéfiants. Dans les deux cas, les enquêteurs de police judiciaire avaient saisi les opérateurs téléphoniques des personnes suspectées pour tenter de constituer des éléments à charge contre eux, à la demande du procureur de la République.
Les personnes mises en examen dans cette affaire avaient, en réponse, présenté des requêtes devant la chambre de l’instruction aux fins d’annulation des actes de la procédure.
Ces requêtes rejetées, elles avaient alors formé un pourvoi en cassation invoquant notamment le droit à obtenir l’annulation des mesures de surveillance par géolocalisation autorisées par le procureur de la république.
En cassation, et dans les deux cas d’espèce, les Hauts magistrats ont annulé les procédures, estimant que le recours à la géolocalisation constituait une ingérence grave dans la vie privée des personnes, et devait être impérativement autorisée par un juge indépendant.
Ce qui est soulevé dans ces décisions, c’est bien entendu le problème de l’indépendance des magistrats du parquet, trop intimement liés au pouvoir exécutif, dans le cadre de ces techniques de géolocalisation « en temps réel ».
Ces décisions de la Cour de cassation ont dès lors eu pour conséquence l’arrêt des opérations visées jusqu’à la loi du 28 mars 2014 – une contrainte procédurale jugée particulièrement lourde par les officiers de police judiciaire.
JUSQU’À LA LOI DU 28 MARS 2014
Cette jurisprudence a donc incité le législateur à adopter un cadre règlementaire pour éviter de nouvelles condamnations de la France par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
La loi du 28 mars 2014 a ainsi crée les articles 230-2 à 230-44 du Code de procédure pénale.
Deux modes opératoires sont envisagés : la filature d'une personne à travers son téléphone portable, et celui de la pose d'une puce sur son véhicule.
Le texte prévoit que la géolocalisation n’est désormais possible qu’en cas d’investigations concernant un crime ou un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement.
Au cours de l’enquête, elle doit être autorisée par une décision écrite du procureur de la République, pour une durée initiale de 15 jours, qui pourra être prolongée, par le juge des libertés et de la détention, pour une durée d’un mois renouvelable.
Au cours de l’instruction, elle doit être autorisée par une décision écrite du juge d’instruction, pour une durée de 4 mois renouvelable.
Dans toutes les hypothèses, seul le juge des libertés ou de la détention ou le juge d’instruction pourra, sous réserve que l’infraction soit passible d’une peine d’au moins 5 ans d’emprisonnement, autoriser l’introduction dans un domicile pour la pose d’un dispositif de géolocalisation.
En cas d’urgence, notamment de risque d’atteinte grave aux personnes ou aux biens, un officier de police judiciaire peut décider d’une géolocalisation, sous réserve d’une autorisation a posteriori du procureur de la République.
Jérôme GOUDARD
Avocat à la Cour
www.avocatgoudard.com