Le droit d'alerte économique n'étant pas circonscrit à la prévention des difficultés économiques, le comité peut l'exercer si il a connaissance de faits pouvant affecter de manière préoccupante la situation de l'entreprise. (Cass. soc. 18 janvier 2011 n° 10-30.126 (n° 196 FS-PB), Sté Air Liquide c/ CCE de la société Air Liquide)
En l’espèce, la société Air Liquide, membre d'un groupe de dimension mondiale, avait acquis une société d'ingénierie allemande, dans le cadre d'une stratégie de croissance externe, complémentaire des activités de la société en matière d'hydrogène, et devant permettre la constitution d'un groupe d'ingénierie de 2 800 personnes.
Inquiet des conséquences de cette acquisition quant au maintien de l'activité hydrogène et de l'activité ingénierie déjà exercées sur un site de la société, son comité central d’entreprise avait demandé des explications à la direction. Les explications fournies ne le satisfaisant pas, ce comité avait déclenché la procédure d’alerte prévue par les articles L 2323-78 et suivants du Code du travail ; procédure dont le bien fondé a été confirmé par les juges du fond et la Cour de cassation.
Finalité du droit d’alerte
Selon le pourvoi formé par la société, le droit d’alerte aurait pour seul objet la prévention des difficultés économiques de l'entreprise afin d'éviter l'ouverture d'une procédure collective tendant à leur règlement.
Pourtant, il a déjà été admis que le comité d'entreprise pouvait agir pour d'autres raisons, telle la fermeture d'un laboratoire entraînant des suppressions d'emplois et remettant en cause les objectifs et les missions d'une caisse régionale d'assurance maladie (Cass. soc. 19 février 2002 n° 00-14.776 : RJS 5/02 n° 590), sans compter la possibilité d'élargir la mission de l'expert aux faits de nature à confirmer la situation économique préoccupante de l'entreprise dès lors qu'ils sont la suite nécessaire de ceux qui ont motivé l'exercice du droit d'alerte (voir par exemple : Cass. soc. 11 mars 2003 n°01-13.434 - Cass. soc. 29 septembre 2009 n° 08-15.035).
L’arrêt du 18 janvier 2011 retient la même conception du droit d'alerte en admettant son exercice en présence d'une réorganisation de l'entreprise portant sur son activité ingénierie au niveau mondial de nature à affecter sa situation (sans y accoler l'adjectif « économique ») et alors qu'il résultait des faits que le comité était préoccupé des conséquences du projet, notamment en termes d'emploi. De ce point de vue, le droit d'alerte du comité d'entreprise ne se confond pas avec celui du commissaire aux comptes.
Appréciation du caractère préoccupant
De quelle marge d’appréciation dispose le comité dans l'appréciation du caractère préoccupant des faits qui motivent son droit d'alerte ?
En l’espèce, la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir estimé que le comité n’avait pas abusé de son droit d’alerte, dès lors qu’ils avaient relevé, d’une part, que la réorganisation en cause était de nature à affecter la situation de l'entreprise, et, d’autre part, que les réponses de la direction aux questions du comité étaient contradictoires, insuffisantes ou incohérentes.
En recourant à la notion d'abus, l'arrêt du 18 janvier 2011 apporte, semble-t-il pour la première fois, une réponse plus claire à la question essentielle du pouvoir d’appréciation du comité sur le caractère préoccupant des faits à l’origine de son alerte.
Certes, la notion d'abus ne permet pas de savoir a priori de façon certaine, et en toute hypothèse, si tel ou tel exercice du droit d'alerte est régulier ou non, mais elle confère au droit d'alerte une sorte de présomption de régularité qu'il appartiendra à l'employeur de combattre le cas échéant.
Cette introduction de l'abus est d'autant plus remarquable qu'elle n'était pas indispensable en l'espèce dès lors que le comité d'entreprise avait établi que les réponses de la direction à ses questions avaient été contradictoires, insuffisantes ou incohérentes.
En effet, le refus de répondre ou l’insuffisance des réponses de l’employeur suffit à justifier l’exercice du droit d’alerte (en ce sens : Cass. soc. 8 mars 1995 n° 91-16.002).
Source : Editions Francis Lefebvre