L’absence de prise en charge de la douleur qualifiée de faute par le tribunal administratif

Publié le 28/02/2014 Vu 6 988 fois 0
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La prise en charge de la douleur est une obligation de nature à engager la responsabilité de l'établissement et/ou du praticien ; la traçabilité est une priorité. La traçabilité est garante de la continuité des soins et permet de déterminer quel a été le processus de décision d'une équipe dans la prise en charge d'un patient (traçabilité de l'évaluation, du traitement mis en place et réévaluation !).

La prise en charge de la douleur est une obligation de nature à engager la responsabilité de l'établissemen

L’absence de prise en charge de la douleur qualifiée de faute par le tribunal administratif

Il est toujours trés douloureux de voir un de ses parents ou de ses proches, trés agé(e), disparaitre sans que l'on ait pu préparer cet événement. Cela est encore plus douloureux quand on a vu cette personne disparaître dans des souffrances qui auraient pu être évitées. On a longtemps cru que c'était une fatalité jusqu'à ce que le Droit fasse la lumière sur cet aspect de la fin de vie des personnes âgées.

Voyons ce qu'il en est:

1. Les faits

Une personne âgée de 84 ans est admise aux urgences de l'hopital de B. pour une rétention urinaire aigue.

Ce patient est atteint d'un cancer du rein non opéré. Dans la soirée il décède.

Sa fille, Madame X, présente, au cours de l'hospitalisation de son père forme une réclamation au motif qu'elle ne comprend pour quelles raisons son père a tant souffert. Elle sera entendue par la commission des usagers. Celle ci suit la plaignante parce qu'au vu du dossier, elle note l'absence de prise en charge de la douleur de son père au cours de son séjour.

Madame X saisit le tribunal administratif pour faute dans la prise en charge de la douleur de son père. Elle ne remet pas en question la prise en charge des soins. Sa demande porte uniquement sur les douleurs de son père non traitées.

Le tribunal administratif et la cour d'appel retiennent une faute à la charge de l'hôpital : L'absence de tout traitement antalgique est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ».

 2. Défaut de prise en charge de la douleur et responsabilité médicale

Les faits se sont passés dans un établissement public, la demande d'indemnisation est formée devant le tribunal administratif, seul compétent pour statuer des contentieux indemnitaires lorsqu'une personne publique est en cause (l'hôpital en l'occurrence).

L'action est formée contre l'hôpital.

La saisine des tribunaux ne suffit pas, encore faut-il, prouver trois conditions cumulatives pour que la responsabilité soit retenue (communément appelée le principe de responsabilité pour faute) :

Une faute dans l'organisation, prise en charge du patient

Un dommage (corporel, moral, souffrances etc.)

Lien de causalité (la faute est la cause du dommage c'est-à-dire la carence dans la prise en charge de la douleur est à l'origine du préjudice subi)

Dans cette affaire, il est mis en avant l'absence totale de prise en charge de la douleur :

« Le centre hospitalier ne démontre ni l'impossibilité d'administrer à l'intéressé des antalgiques majeurs par voie veineuse ou sous-cutanée en raison de son âge et de sa tension artérielle, ni, dans cette hypothèse, l'absence d'utilité de l'administration par voie orale d'antalgiques mineurs ; que, compte tenu de l'état de souffrance et de la pathologie de Monsieur L, l'absence de tout traitement antalgique est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier. »

La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des usagers a définit la notion de prise en charge de la douleur. C'est savoir la prévenir, l'évaluer et la traiter.

Conformément au droit commun de la responsabilité médicale, le professionnel de santé n'est pas tenu à une obligation de résultat (disparition des douleurs) mais à une obligation de moyen (le médecin doit s'efforcer de soulager les douleurs de son patient ; article 37 du code déontologie médical.) Mais encore faut-il pouvoir justifier des soins prodigués au patient.

En l'occurrence, l'établissement hospitalier n'a pas été en mesure de rapporter la preuve d'une quelconque prise en charge. Cela pose alors une autre question qui est celle de la traçabilité des actions de l'équipe médicale.

3.  La traçabilité des soins: une exigence

Ce qui ressort de cette affaire, c'est qu' outre le fait que la prise en charge de la douleur est une obligation de nature à engager la responsabilité de l'établissement et/ou du praticien,  la traçabilité des soins est une ardente obligation.

La traçabilité est garante de la continuité des soins et permet de déterminer quel a été le processus de décision d'une équipe dans la prise en charge d'un patient (traçabilité de l'évaluation, du traitement mis en place et réévaluation !)

En l'espèce, pas de preuve ou commencement de preuve que des soins ont été apportés, responsabilité de l'établissement dans les conditions de fin de vie du père de Madame X et réparation du préjudice en ce qui la concerne.

Il n'est pas question de somme qui réparerait la douleur de madame X à voir les douleurs de son père; les sommes sont dérisoires mais c'est la sanction d'une négligence dans les sons apportés à des personnes agées sous prétexte qu'elles sont trés agées et que les priorités seraient ailleurs...

4. L'arrêt

CAA de Bordeaux- 3e Chambre

Mme Marie D L.N

03BX01900- 13 juin 2006

  • Vu la requête enregistrée au greffe de la cour le 9 septembre2003 sous le n°03BX01900, présentée pour Mme Marie D., celle-ci demande à la cour :

- D'annuler le jugement du tribunal administratif de Saint- Denis de la Réunion en date du 21 mai 2003 en tant qu'il a limité à 1 euro le montant de l'indemnité que le centre hospitalier a été condamné à lui verser en réparation du préjudice moral qu'elle a subi en raison des conditions de prise en charge de son père au service des urgences le 24 novembre 2001 ;

- de condamner le centre hospitalier à lui verser une indemnité de 15 245 euros ainsi qu'une somme de 1 525 euros en application de l'article L 761-1 du code de justice administrative ;

  • Vu l'ensemble des pièces du dossier ;
  • Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement convoquées à l'audience ;

Considérant que Monsieur L., alors âgé de 87 ans, atteint depuis deux ans d'un cancer du rein non opéré et présentant une rétention aiguë d'urine, a été admis le 24 novembre2001 vers 8 heures 30 au service des urgences du centre hospitalier ; qu'à la suite de deux tentatives infructueuses de sondage, une échographie a été réalisée à 11 heures donnant lieu à un compte rendu vers 12 heures 30 ; que l'interne a tenté de joindre au téléphone l'urologue du centre hospitalier départemental F G., et, dans l'attente d'un rappel par celui-ci, a décidé d'un nouveau sondage qui a été pratiqué avec succès à 15 heures ; que l'intéressé a été transféré au centre hospitalier départemental à 17 heures 30, après que le chirurgien viscéral de ce centre eut, en l'absence de l'urologue, donné son accord à 15 heures 30 ; qu'il est décédé dans ce centre vers 18 heures 30 ;

Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction, et que Mme D.L. ne soutient d'ailleurs pas, que le décès de son père serait imputable à un éventuel retard dans sa prise en charge au service des urgences ou à une éventuelle inadaptation de celle-ci ; qu'elle n'est donc, en tout état de cause, pas fondée à demander que le centre hospitalier soit déclaré responsable du préjudice moral qu'elle a subi à raison du décès de son père ;

Considérant, en revanche, que la commission de conciliation du centre hospitalier, qui s'est réunie le 10 janvier 2002 et dont les constatations de fait ne sont pas contestées par les parties, a considéré qu'aucun antalgique n'avait été administré à M. L. ; que le centre hospitalier ne démontre ni l'impossibilité d'administrer à l'intéressé des antalgiques majeurs par voie veineuse ou sous-cutanée en raison de son âge et de sa tension artérielle, ni, dans cette hypothèse, l'absence d'utilité de l'administration par voie orale d'antalgiques mineurs ; que, compte tenu de l'état de souffrance et de la pathologie de M. L, l'absence de tout traitement antalgique est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ; que cette faute a aggravé les souffrances physiques subies par M. L. avant son décès ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral que sa fille, présente au service des urgences, a elle-même subi à raison des circonstances précitées ayant entouré le décès de son père, en condamnant le centre hospitalier à lui verser une indemnité de 1 500 euros ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme D. L. est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion a limité à 1 euro le montant de l'indemnité mise à la charge du centre hospitalier ; qu'il y a lieu de porter à 1 500 euros le montant de cette condamnation ; qu'à supposer que le centre hospitalier ait entendu, par la voie de l'appel incident, demander l'annulation du jugement attaqué, il y a lieu également de rejeter ses conclusions en ce sens ;

Sur l'application de l'article L 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, dans les circonstances de l'affaire, il y a lieu de condamner le centre hospitalier à verser à Mme D. L. une somme de 1 300 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE

Article 1 er : Le montant de l'indemnité mise, par le jugement du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion du21 mai 2003, à la charge du centre hospitalier en réparation du préjudice moral subi par Mme L. est porté à 1 500 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Saint- Denis de la Réunion en date du 21 mai 2003 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le centre hospitalier versera à Mme L. une somme de 1 300 euros en application de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Les conclusions présentées par la voie de l'appel incident par le centre hospitalier sont rejetées.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du16 mai 2006 :

- le rapport de Mme Fabien, premier conseiller,

- et les conclusions de Mme Jayat, commissaire du gouvernement

M. Madec, Présiden

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