Question de droit
Municipales : l'arrêté anti-tracts sur le marché de Rabastens est-il légal?
Cécile de Sèze, publié le 06/02/2020 à 07:00 , mis à jour à 15:07
À Rabastens, dans le Tarn, les candidats aux élections municipales n'ont plus le droit de tracter sur le marché depuis la mise en place d'un arrêté du maire LREM de la ville. (illustration)
Ces arrêtés se multiplient souvent à l'approche d'une échéance électorale, d'autant plus lorsqu'il s'agit des municipales.
A l'aube des élections municipales, c'est une pratique courante. L'arrêté municipal qui interdit la distribution de tracts aux militants sur la voie publique, sur les marchés, aux abords du métro ou des écoles, est routinier, et pourtant, pas forcément légal... ni illégal.
Alors que les élections municipales arrivent à grands pas en France, le premier tour étant fixé au 15 mars prochain, le maire LREM de la commune de Rabastens, dans le Tarn, Pierre Verdier, a pris un arrêté le 30 janvier dernier allant dans ce sens, mis à jour le 4 février. Il interdit la distribution de tracts "sur l'ensemble du périmètre du marché [...] tous les samedis matin de 8 heures à 14 heures".
Le maire, qui rappelle qu'il n'est pas candidat à sa succession, précise à L'Express qu'il a signé ce texte après avoir consulté les responsables des listes qui se présentent aux municipales, et que "ça n'a choqué personne à ce moment-là".
L'arrêté municipal contre la distribution de tracts à Rabastens dans le Tarn.
Mairie de Rabastens
"Il y a une dizaine de jours, commerçants et Rabastinois [habitants de Rabastens, ndlr] se sont plaints des perturbations provoquées par les attroupements autour de certains candidats aux municipales faisant campagne", justifie sur Facebook la mairie.
Le texte précise par ailleurs que l'édile a proposé aux militants "de tenir des stands sur le marché pour faire campagne s'ils le souhaitaient, sans pour autant perturber l'activité commerciale", "afin de permettre aux uns et aux autres de rencontrer les électeurs".
"Mon but n'est pas d'empêcher la campagne", martèle-t-il, ajoutant qu'il a deux priorités : "que les gens puissent faire campagne", et que "le marché puisse se dérouler dans le calme". Mais les candidats des autres partis estiment, dans un reportage de France 3, que cette interdiction "n'est pas faire preuve d'un esprit très démocratique". Cet arrêté est-il pour autant illégal ?
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La distribution de tracs en période électorale
Il n'existe pas de droit absolu de tracter. En période normale, il faut en faire la demande à la mairie, ce qui est souvent possible par mail. Une réclamation "pas souvent refusée", car cela "est une expression politique fondamentale dans notre pays", explique à L'Express l'avocate Muriel Bodin, spécialiste du droit électoral.
Le droit varie à l'approche d'élections. L'avocate rappelle alors que depuis avril 2011, la loi autorise la distribution de tracts lors de ces périodes, sans besoin d'autorisation préalable. Cette période s'ouvre six mois avant les élections, donc dans le cas présent, depuis octobre 2019.
Toutefois, elle précise qu'il peut y avoir un règlement interne aux marchés interdisant la distribution de tracts, par exemple si cela gêne les commerçants. Mais rien empêche de faire son travail de militant "en dehors du marché", rappelle-t-elle. En ce qui concerne la ville du Tarn, le maire admet que rien n'est prévu sur cette question dans le règlement du marché (renouvelé en décembre dernier), car "on n'y a pas pensé".
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La question floue du trouble à l'ordre public
D'autre part, Muriel Bodin rappelle que les maires ont "des pouvoirs de police propres qui leur permettent de prendre des mesures pour limiter les troubles à l'ordre public", et estime que "certains en abusent". Car ledit trouble dépend en fait de l'appréciation des édiles.
Dans ses motivations, le maire de Rabastens juge que le tractage militant pourrait causer des troubles à l'ordre public et ainsi occasionner "la gêne et le conflit". En effet, si des militants de partis opposés se croisent, cela pourrait mener à de possibles affrontements.
Mais cet arrêté préventif ne tient pas la route, selon l'avocate. "A ma connaissance, tous les arrêtés de ce genre ont été jugés illégaux par le juge administratif, car le trouble à l'ordre public n'est pas justifié, surtout quand il est préventif, car il ne se réfère pas à un trouble manifeste ou imminent, cela peut être considéré comme un préjudice aux libertés", ajoute Muriel Bodin. Il pourrait alors faire l'objet d'un recours devant le tribunal administratif, qui, d'après elle, le jugerait certainement illégal.
Pierre Verdier concède que son arrêté "n'est pas parfait", et qu'il a "été pris dans l'urgence", mais selon lui, c'est un "non-événement à Rabastens". Il ne croit pas une seconde que les têtes de listes iront saisir le tribunal administratif.
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Une pratique courante à la veille d'élections
Si le maire se défend de faire obstruction au bon déroulement de la campagne, Muriel Bodin affirme que cette pratique se multiplie à l'approche des municipales et qu'elle est même "banale", provoquant la plupart du temps des recours en référé pour savoir s'ils sont légaux ou pas.
D'ailleurs, le 3 février dernier, la ville de Levallois-Perret a également pris un arrêté interdisant la distribution de tracts, cette fois devant les écoles, après des plaintes des parents d'élèves, selon la maire Isabelle Balkany.
La présidentielle n'est pas non plus épargnée. En 2017, La République du centre faisait ainsi état d'une polémique après que des militants La France insoumise se sont vus interdire la distribution de tracts sur les marchés de la ville de Gien, dans le département du Loiret.