Les pages jaunes sont elles un procédé de publicité et de démarchage ? NON répond la Cour de Cassation.
Nombre de professions libérales dont les professionnels de santé sont un peu désemparés lorsqu’ils reçoivent un aimable courrier de leur Ordre leur indiquant qu’ apparaitre dans les pages jaunes dans plusieurs secteurs ou rubriques serait un acte de concurrence déloyale et un moyen de publicité pour des professionnels à qui est opposé une interdiction de publicité justement.
Prenons pour exemple les chirurgiens dentistes. L’Ordre national est assez enclin a être un peu sourcilleux lorsqu’il s’agit pour un de ses adhérents de se voir citer par trois fois sur les pages jaunes d’une part et de dépasser le strict cadre géographique qui lui serait octroyé à savoir la vile du lieu d’établissement de son cabinet .
La question est alors de savoir si le fait de paraître à plusieurs reprises dans les pages jaunes serait illégal, voire abusif et contraire à la déontologique, sous entendu, ferait de l’ombre à des confrères établis dans les villes à la frontière du dit cabinet.
En bref, est ce que les pages jaunes sont un outil de publicité et de démarchage au profit de professionnels soucieux d’élargir leur clientèle au delà du pâté de maisons de leur rue voire de leur ville?
Nous aurions répondu par la négative mais ne nous basant que sur notre bon sens dans la mesure où de mémoire, notre bon vieil annuaire papier, rubrique pages jaunes qui recense, comme le fait « les pages jaunes » pour les professionnels, des numéros de téléphone, n’a jamais été qualifié de moyen de démarchage.
Mais la première chambre civile de la Cour de Cassation a rendu, le 6 décembre 2007 ( SCP MACQUART-MOULIN et BALLERET c;/ Ordre des avocats du barreau de Nevers) un arrêt assez peu remarqué mais qui nous conforte dans la solidité de notre bon sens.
En effet, la Cour a rappelé que les pages jaunes , annuaire des professionnels, est un mode de consultation de l’annuaire et ne porte pas en lui même atteinte aux obligations de discrétion, de dignité qui pèsent sur les professions libérales comme les avocats ou les médecins ou les chirurgiens dentistes, nonobstant le point de vue des Ordres qui peut être divergent avec cette position de la Haute Cour.
L’affaire était assez simple : Le conseil de l’Ordre des avocats du Barreau de Nevers avait pris des délibérations interdisant toute insertion dans l’annuaire des pages jaunes comme étant contraire aux principes essentiels de la profession. Cela faisait donc obstacle au maintien dans les pages jaunes de société d’avocat dont l’une a porté réclamation.
L’Ordre a confirmé sa décision d’interdiction en arguant que cela méconnaissait les règles déontologiques notamment lorsque l’insertion pratiquée à la demande de la société d’avocats dans l’annuaire électronique comportait un dispositif d’affichage prioritaire de la rubrique concernée par la consultation du site par le public.
Or, la recherche par internet sur les pages jaunes permet seulement de retrouver tous les professionnels inscrits gratuitement et qui apparaissent à l’écran selon le système dit du tri alpha tournant, opérant un choix aléatoire ;
Par contre les avocats ou cabinets d’avocats ayant souscrit un abonnement, bénéficient d’un avantage dans la mesure où leur annonce est prioritaire et échappe au tri aléatoire réservé à tous les avocats; un tri aléatoire étant le cas échéant réalisé entre abonnés payants ce qui n’était pas le cas en l’espèce puisque la société d’avocats en cause était seule sur le ressort de Nevers.
Or même s’ils avaient été plusieurs, le contrat d’abonnement est un service payant proposé à tous par une société commerciale, et n’est pas discriminatoire puisqu’il s’adresse à tous tant sur le plan national qu’européen. Le droit européen interdit aux avocats et à leurs organes représentatifs d’imposer des pratiques restrictives de concurrence et ce sans méconnaitre les principes déontologiques qui sont les leurs, notamment au regard de leur mission spécifiques.
Selon l’article 161 du décret du 27 novembre 1991, abrogé en 2005 , pour les avocats, et l’article R 4127-215 du code de la santé publique pour les professionnels de santé),
Pour mémoire, l'article R. 4127-215 du code de la santé publique dispose que:
« La profession dentaire ne doit pas être pratiquée comme un commerce. / Sont notamment interdits : (...) 3° Tous procédés directs ou indirects de publicité ; / 4° Les manifestations spectaculaires touchant à l'art dentaire et n'ayant pas exclusivement un but scientifique ou éducatif ... ».
De plus, l'article R 4127-225 du même code dispose que :
« sont également interdites toute publicité, toute réclame personnelle ou intéressant un tiers ou une firme quelconque ».
Cela veut dire clairement que la publicité n’est pas strictement interdite mais qu’elle n’est «permise » que dans la mesure où elle procure avec discrétion au public une nécessaire information sur le praticien ou le conseil par des moyens qui ne portent pas atteinte à la dignité de la profession.
S’agissant des Pages Jaunes, la Cour de Cassation a considéré que l’affichage prioritaire dont bénéficient des avocats qui ont souscrit un abonnement payant aux Pages Jaunes et qui a pour effet en cas de consultation de l’annuaire sur internet de faire apparaître leurs coordonnées avant celles des autres avocats abonnés du téléphone, n'était pas du démarchage ni de la concurrence déloyale puisque chacun pouvait en faire autant.
On peut bien sûr transposer le même raisonnement pour les professionnels de santé : le services des Pages Jaunes est un service accessible à tous les médecins et dentistes, soit à titre gratuit soit pour certains services, par le paiement d’abonnements eux mêmes proposés à tous sans discrimination, conformément au droit européen.
Ainsi les arguments à opposer aux Ordres sont ils à la portée des professionnels de santé à qui on reproche d'être un peu trop gestionnaire de cabinet et pas assez simples praticiens de quartier.
Faut il laisser penser que les patients ou les usagers de la justice se comporteraient comme de simples consommateurs sensibles aux sirènes publicitaires dans des domaines où justement ils manquent d'information et où les magazines de santé grand public sont pléthores?
On ne saurait donner une réponse certaine mais on peut quand même noter un double discours qui fait tout le paradoxe: celui du marché des prestations de services et celui des services qui seraient épargnés par les dits marchés tandis que les professionnels tous azimuts sont acculés à réussir ou à fermer ....boutique.
Le cas des sites internet et du vocabulaire utilisé donnera à des développements juridiques tout aussi intéressants , propres à faire des interdictions des exceptions et non pas une règle qui peut sembler à géométrie variable.