La veille juridique, dans le contentieux des marchés publics, donne parfois de drôles de surprises, qui sont autant d'aveux et deviennent eux mêmes des arguments propres à fonder une conviction dans le cadre de contentieux futurs dans les marchés publics.
De quoi s'agit il?
D'un simple communiqué de presse de la RATP qui
intervient dans un contexte précis:
une élection présidentielle avec un concours des meilleures idées pour la France et les français, à l'échelon franco européenne; une crise où la tentation du repli franco français existe bel et bien comme si l'Europe était une menace quand, en d'autres temps, elle a été et reste une chance.
Ce communiqué de presse commente l'arrêt de la cour d'appel d'Aix en Provence du 8 mars 2012 qui a infirmé le jugement du tribunal de commerce de Marseille rendu le 23 novembre 2011 et relatif à un marché passé entre la RATP et l'entreprise AnsaldoBreda France.
125 emplois étaient en jeu dans cette affaire; des emplois d'une entreprise sur Cannes La Bocca. L'unique client, la RATP.
Sans entrer dans le détail de l'affaire relatif à un problème d'exécution d'un marché passé entre la RATP et le groupe AnsaldoBreda ayant pour objet la rénovation des rames des lignes 13, 7 et 8 du métro parisien, on ne peut qu'être choqué de certains passages de cette affaire et la communication qui en est faite vis à vis du groupe AnsaldoBreda, une des branches de Finmeccanica, fleuron de l'industrie italienne à l'échelon mondial.
Il aurait été facile de sauver ces emplois dans un contexte électoral où les candidats, y compris l'incontournable "candidat Président", se pressent au chevet d'entreprises pour soutenir des salariés dans les tentatives de sauvetage de leurs emplois. Dans ce dossier: rien! Et cela, malgré les possibilités de règlement amiable avant qu'intervienne l'arrêt de la Cour d'appel, qui auraient pu sauver ces emplois pour plusieurs années, sur juste demande de l'Etat ou du STIF.
Mais, revenons au communiqué de presse pour avoir un début d'explication: tout d'abord la RATP dénonce le comportement de l'entreprise Ansaldobreda France dont la maison mère est italienne, coupable d'avoir fait des actions judiciaires pour faire face à la décision de la RATP de ne pas poursuivre un marché souffrant d'un retard d'exécution répété.
Cette dénonciation constitue une double interrogation: le fait que la maison mère soit italienne lui interdit-elle de suivre la procédure posée par le code des marchés et le contrat signé entre les deux entreprises, en cas de litige? Quelle autre possibilité l'entreprise AnsaldoBreda France avait elle?
La RATP poursuit en faisant la déclaration la plus incongrue qui soit, pour un avocat pour qui elle constitue une surprise, un aveu et un argument futur pour toutes les entreprises européennes qui répondront aux futurs appels d'offre de la RATP et ne seront pas retenues: " En concertation avec le STIF, la RATP a choisi d'accélérer la modernisation du métro par l'achat de matériel neuf après appels d'offres auprès de grands industriels français, notamment sur l'équipement des lignes 1, 2, 5,9 et 14 du métro parisien afin d'assurer un confort et un niveau de fiabilité optimal au bénéfice de ses clients."
Cela est choquant à plus d'un titre. Certes, dans le contexte actuel où les discours de "patriotisme industriel" laisse entendre que les solutions des problèmes que connait la France en matière d'emploi passent par le maintien de ses industries sur le territoire, on peut comprendre que la RATP ne veuille pas être à la traine...
Mais dans un contexte industriel où en réalité, les grandes entreprises françaises se sentent mieux à l'étranger quand il s'agit d'améliorer les dividendes, et où elles répondent avec succès aux appels d'offres lancés dans toute l'Europe ou même en dehors, y compris la RATP, en partenariat avec la SNCF par exemple, cela relève du seul discours et non d'une réalité vécue. Cet aveu de conduite, hors des rails, a deux conséquences immédiates.
Ainsi avouée la préférence nationale par la RATP, toute entreprise européenne, y compris et bien entendu d'abord le groupe italien AnsaldoBreda, peut désormais attaquer avec de bonnes chances de succès, le résultat des appels d'offres lancés par la RATP.
Enfin, laisser entendre que seul le matériel français assurerait un niveau de confort et de fiabilité optimale est laisser peser la suspicion sur les savoirs faire étrangers. Or, on ne peut passer sous silence que les industriels français s'appuient aussi sur des savoirs faire européens ou étrangers, y compris italien pour valoriser leurs produits
On sourira bien sûr à cette détermination de façade mais on restera vigilant à ce que les règles de mise en concurrence, dans le cadre des appels d'offres européens, soient respectées sauf à ce que la France soit, une nouvelle fois, condamnée pour violation du principe de concurrence.
On rappellera que ce principe, au coeur des débats européens, est né dans les années 1950, avec la signature du Traité de Paris relatif à la communauté européenne du Charbon et de l'acier qui interdit toute pratique discriminatoire de nature à fausser la concurrence parmi les six pays signataires, dont la France et l'Italie.
Le souci, alors, était de partager la gestion des matières premières pour permettre une reconstruction pacifique de l'Europe, ruinée par le second conflit mondial. Le principe de concurrence devait et doit encore permettre de garantir un accès égal aux ressources de base.
Cette règle est à la base de l'intégration européenne. C'est aussi une autre façon de protéger les intérêts des consommateurs afin d'atteindre une efficacité `économique, un progrès technique et se défendre contre les abus de position dominante comme le sont actuellement la position de la SNCF ou d'autres entreprises nationales.
La politique européenne de concurrence est mise en cause ces dernières années: on la suspecte de ne pas permettre des politiques industrielles nationales ambitieuses, de détruire les services publics nationaux. Rappelons qu'une politique nationale industrielle ou autre, mais ambitieuse passe obligatoirement par le dépassement des frontières, sauf à débrancher tous les réseaux qui existent, ferroviaire, eau ou électricité. Et que des services publics européens sont en cours de construction, notamment ferroviaire.
En France, les champions nationaux comme Alstom, Renault ou la SNCF, sont mis à l'honneur en évacuant soigneusement le fait qu'elles mènent des politiques industrielles d'envergure hors des frontières et en partenariat rapproché, parfois avec les entreprises étrangères qui, vu de l’intérieur, se "presseraient férocement à nos frontières" et qui apportent leur savoir faire au même titre que les entreprises françaises apportent les leurs hors de nos frontières.
Souscrire aux humeurs convenues de repli national sous prétexte de contexte électoral en oubliant que si deux générations successives vivent en paix, c'est grâce à l'Europe et à ces règles mises en place dans ce cadre, y compris les règles de concurrence loyale, c'est une faute.
C'est une faute que l'on peut pardonner à des candidats en manque d'ambition et en recherche de voix par imitation de certains populismes sans vision, mais c'est une faute que n'on ne peut ni passer sous silence ni oublier s'agissant d'une entreprise comme la RATP, fleuron de nos transports publics mais surtout entreprise historique qui a pourtant bien une stratégie à l'international, que ce soit à Manchester ou à Alger.
On peut se poser la question désormais de la loyauté de la RATP dans l'examen des réponses à ses appels d'offres et de la loyauté qu'elle peut attendre dans le cadre de ses réponses aux appels d'offres dans d'autres pays européens.
Comme quoi, communiquer n'est pas toujours la meilleure solution même quand on croit avoir gagné un procès. Sans doute, dans le contexte actuel, un bon accord, non souhaité par la RATP, permettant un transfert de savoir faire et qualification, avec maintien des emplois à Cannes, aurait été une bien meilleure communication que la production d'un appel au "Produisons français" calamiteux dans ses effets à longs termes.