Conflit entre associés "C’est par où la sortie ?"

Publié le 19/10/2016 Vu 5 275 fois 0
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Le conflit entre associés ou actionnaires est un risque important de la société, rarement anticipé par ses fondateurs. Les statuts ne prévoyant pas de solution pour le résoudre, l’avocat peut se sentir désarmé lorsqu’un associé en conflit s’adresse à lui. Il semble en effet que la loi n’offre aucun remède à qui souhaite se retirer d’une société. L’avocat devra alors, le plus souvent, user de dispositions créées dans d’autres perspectives pour tenter de mettre un terme au blocage auquel son client fait face.

Le conflit entre associés ou actionnaires est un risque important de la société, rarement anticipé par ses

Conflit entre associés

Dans l’esprit du législateur, l’intérêt social et donc la stabilité de la société prime sur les conflits ponctuels qui se manifestent à l’occasion du vote de décisions. Tout conflit entre associés ne caractérise pas une situation de mésentente qui justifierait la nomination d’un administrateur ou la dissolution judiciaire de la société. La notion de mésentente est réservée aux situations qui se prolongent dans le temps et qui se caractérisent par une altération des relations entre associés paralysant le fonctionnement de la société au point de compromettre sa survie.

Dès lors, si malgré une mésentente incontestable au sein de la société, les organes sociaux ne sont pas empêchés de prendre des décisions de gestion et si l’activité économique n’est pas entravée ou paralysée, la dissolution de la société ne sera pas prononcée.

Le problème n’étant pas résolu pour autant, il reste théoriquement aux associés insatisfaits souhaitant quitter la société de trouver un acheteur et de se mettre d’accord avec lui sur la chose et sur le prix. Toutefois, en pratique, faute de marché existant pour les titres de sociétés non côtés, les actionnaires minoritaires dont la participation au capital ne confère aucune influence sur la gestion de la société se heurtent à de nombreuses difficultés.

En définitive, si aucune clause statutaire n’organise une possibilité de retrait de la société, l’associé se retrouve prisonnier de ses titres. Pour remédier à cette situation de blocage, aucun outil de résolution des conflits n’est prévu par le Code de commerce. Néanmoins certains des droits attachés à la qualité d’actionnaire, lorsqu’ils sont bien utilisés, peuvent permettre de renverser le rapport de force et contraindre ainsi les coassociés à accepter et même faciliter une sortie amiable de la société.

Dans ce cadre, il convient de s’abstenir de toute action qui pourrait être jugée intempestive et abusive.

Il convient donc de, au préalable, recueillir un maximum d’informations en invitant l’associé à exercer les droits dont il dispose (I.) pour ensuite éventuellement introduire une action contentieuse (II.).

I. L’exercice par l’associé de son droit à l’information

1. la convocation d’une assemblée

Dans les SARL, l’article L. 223-27 alinéa 4 du Code du commerce dispose que :

« Un ou plusieurs associés détenant, s’ils représentent au moins le dixième des associés, le dixième des parts sociales, peuvent demander la réunion d’une assemblée. Toute clause contraire est réputée non écrite  ».

Si l’assemblée ne se tient pas :

« Tout associé peut demander en justice la désignation d’un mandataire chargé de convoquer l’assemblée et de fixer son ordre du jour  ».

De même dans les SAS, à défaut de convocation par le président, l’assemblée peut être convoquée par un mandataire désigné en justice sur demande d’un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5 % du capital social .

La demande est présentée, aux frais des demandeurs, au président du tribunal de commerce statuant en référé. La société doit être appelée à l’instance tendant à la désignation du mandataire.

Le juge doit vérifier que la demande « tend bien à des fins légitimes conformes à l’intérêt social et non à la satisfaction de fins propres aux demandeurs  ». S’il fait droit à la demande, le président désigne le mandataire chargé de convoquer l’assemblée et fixe l’ordre du jour de celle-ci.

2. Le dépôt de questions écrites

Une fois, l’assemblée convoquée, l’actionnaire peut poser des questions écrites et déposer des projets de résolution.

Le Code de commerce permet aux associés de poser par écrit autant de questions qu’il estime nécessaire. Le gérant dans le cas d’une SARL, le président dans le cas d’une SAS, est tenu de répondre à ces questions au cours de l’assemblée.

Un ou plusieurs actionnaires représentant ensemble au moins 5% du capital peuvent également déposer des projets de résolution. La demande d’inscription des projets de résolution doit être envoyée au siège social au moins 25 jours avant la date de l’assemblée. Les résolutions proposées doivent obligatoirement être jointes à la convocation.

Ces dispositifs permettent aux associés d’être informés de la conduite des affaires sociales.

Dans le contexte d’un litige entre associés, cette faculté permet d’obtenir une discussion sur un point donné et, le cas échéant, d’y faire participer les autres associés.

Ils peuvent servir à alerter les dirigeants d’une impasse financière ou stratégique identifiée par le ou les auteurs.

Un associé qui craindrait de voir sa responsabilité engagée du fait du conflit pourrait aussi par ce moyen démontrer qu’il agit dans l’intérêt social.

Les questions écrites et dépôt de projets de résolution permettent dans le cadre du conflit de :

  • caractériser la mise en péril de l’intérêt social
  • réunir des éléments de preuve de la faute des dirigeants sociaux.

3. L’expertise de gestion

Un ou plusieurs associés représentant au moins le dixième du capital social peuvent soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, demander en justice la désignation d’un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion (art. L 223-37, al. 1 du Code de commerce).

La demande d’expertise ne saurait porter sur la gestion de la société dans son ensemble ni sur la régularité des comptes sociaux, mais seulement sur une ou plusieurs opérations de gestion déterminées. A cet égard, les opérations qui relèvent de la compétence d’une assemblée ne peuvent être assimilées à des actes de gestion.

Par contre, les associés minoritaires peuvent valablement demander une expertise sur des conventions réglementées.

Le tribunal ne juge pas les opérations critiquées, il doit seulement apprécier s’il y a lieu ou non de faire droit à la nomination sollicitée.

Selon la Cour de cassation :

«  la recevabilité de la demande d’expertise n’est pas subordonnée à la preuve que les organes sociaux aient méconnu l’intérêt de la société et détourné leurs pouvoirs de sa finalité puisque la mesure d’information et de contrôle organisée par l’article 226 de la loi du 24 juillet 1966 tend justement à l’établissement de cette preuve  ».

La demande doit néanmoins revêtir un caractère sérieux.

Elle est portée devant le Président du tribunal de commerce statuant en référé. Seule la société doit être assignée. Il n’y a pas lieu de mettre en cause le président (ou le gérant) à titre personnel ou les actionnaires majoritaire.

S’il considère la demande justifiée, le Président du tribunal détermine la mission et les pouvoirs des experts.

Le ou les experts peuvent procéder à toutes recherches utiles auprès des tiers, fournisseurs ou clients de la société en cause, dans la mesure où l’opération de gestion critiquée se rapporte à des transactions réalisées avec ces tiers .

L’expertise se déroule comme une expertise judiciaire. Toutes les opérations doivent se faire en présence des parties. L’entrave à la mission des experts est pénalement sanctionnée.

L’expertise pourrait mettre en évidence des fautes de gestion du gérant et éventuellement des abus de biens sociaux.

En général, les dirigeant sociaux craignent l’immixtion de l’expert dans les affaires de la société et sont alors plus enclins à négocier avec l’associé désireux de quitter la société.

II. L’exercice par l’associé d’une action contentieuse

1. L’injonction de communiquer et la désignation d’un mandataire ad’hoc

Il arrive assez souvent que certains documents et actes n’aient pas été communiqués et/ou déposés au greffe en violation d’une disposition du Code de commerce. Les actionnaires disposent alors d’une procédure d’injonction pour obtenir l’exécution forcée de la communication à laquelle ils ont droit.

L’article L 238-1 du Code de commerce permet, en effet, à toute personne intéressée qui n’obtient pas des dirigeants communication des documents énumérés par les articles L 225-115 et L 225-116 de demander au président du tribunal de commerce, statuant en référé, d’enjoindre sous astreinte aux intéressés de procéder à cette communication ou de désigner un mandataire chargé d’y procéder.

Le président du tribunal rend une ordonnance contradictoire sans avoir à constater que les conditions normalement requises pour statuer en référé - urgence et absence de contestation sérieuse - sont remplies. La compétence spéciale attribuée au président « se suffit à elle-même, sans qu’il soit nécessaire que les conditions générales de la procédure de référé soient réunies ».

L’existence de la procédure spécifique d’injonction instituée par l’article L 238-1 du Code de commerce ne fait pas obstacle à l’exercice d’une action sur le fondement des dispositions de droit commun de l’article 873 du Code de procédure civile.

Cet article permet au président du tribunal de commerce, même en présence d’une contestation sérieuse, de prescrire en référé les mesures conservatoires qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; dans le cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

Dans un cas où une SA n’avait pas déposé ses comptes annuels au greffe, a été déclarée recevable l’action formée par un créancier de la société et tendant à obtenir, selon la procédure de droit commun qu’il soit mis fin à ce trouble manifestement illicite par la publication desdits comptes .

L’article L 238-1 du Code de commerce peut s’avérer particulièrement utile lorsque l’avocat constate que, les actes relatifs à une augmentation de capital n’ont pas été communiqués et/ou déposés.

Lorsque l’assemblée des actionnaires délègue aux organes de direction la décision de fixer les modalités de l’augmentation de capital, un rapport doit être communiqué aux actionnaires et le procès verbal de l’assemblée générale extraordinaire qui a délégué sa compétence doit être déposé au greffe, en application des dispositions de l’article R 123-107 du Code de Commerce.

A défaut de respecter ces formalités, l’actionnaire peut mettre en œuvre la procédure d’injonction de l’article L. 238-1 du Code de commerce.

2. La révocation judiciaire du dirigeant social

Dans les SARL, le gérant est révocable par les tribunaux pour cause légitime, à la demande de tout associé .

Le fait pour le gérant de ne pas communiquer les documents comptables réclamés à plusieurs reprises par les associés et transférer le siège social sans consultation et vote préalable des associés .

En cas d’urgence, la révocation judiciaire du gérant peut être décidée par le Président du tribunal de commerce du lieu du siège social, statuant en référé.

Dans les SAS, la révocation du président est prévue par les statuts « ad nutum » ou pour « juste motif » et en général, décidé par la collectivité des associés. Or, la révocation est devenue considérablement compliquée si le dirigeant dont la révocation est envisagée est un associé majoritaire ou s’il dispose d’une minorité de blocage.

Avant, il était généralement admis que, dans les cas où un associé était visé par une décision prise collectivement, l’associé concerné ne pouvait pas prendre part au vote.

Cette exclusion statuaire n’est désormais pas possible.

La Cour de cassation a posé pour principe qu’il résulte des dispositions de l’article 1844, al. 1 du Code civil que « tout associé a le droit de participer aux décisions collectives et de voter et que les statuts ne peuvent déroger à ces dispositions que dans les cas prévus par la loi » .

3. L’action en responsabilité pour non-respect des règles relatives aux conventions réglementées

Les conventions intervenues directement ou par personnes interposées entre la société et les dirigeants sociaux ou associés doivent, en principe, être soumises au contrôle des associés .

Ces conventions sont soumises à l’autorisation préalable des associés sur présentation d’un rapport spécial émanant de l’organe de gestion. Le non-respect de ce formalisme entraîne la responsabilité du gérant ou du président et, s’il y a lieu, de l’associé contractant.

L’action en responsabilité doit être intentée dans un délai de trois ans à compter de la conclusion de la convention ou, si elle a été dissimulée, de sa révélation à l’assemblée générale.
Cependant l’avocat se heurte, en pratique, à un problème d’identification des conventions réglementées.

En effet, aucune disposition législative ou réglementaire n’impose aux gérants ou associés de déclarer les intérêts détenus dans d’autres sociétés.

Les gérants et associés ne pouvant être contraints de révéler les participations qu’ils détiennent dans d’autres sociétés, l’avocat ne sera pas en mesure d’identifier les conventions passées par la société qui devaient soumises au contrôle des associés.

4. L’action en responsabilité des dirigeants sociaux

A l’instar de tous les justiciables, les dirigeants sociaux engagent leur responsabilité civile lorsque par leurs agissements, ils causent un dommage à la société ou à un associé.

La responsabilité des dirigeants sociaux implique toujours une faute, un dommage et un lien de causalité.

Le dirigeant contracte une obligation de moyens par laquelle il s’engage à tout mettre en œuvre pour parvenir au résultat escompté mais sans le garantir, le déficit de la situation sociale ne permet pas de présumer sa faute de gestion.

Pour engager sa responsabilité, la faute doit donc être impérativement démontrée.

Or, dans la plupart des cas, la responsabilité est invoquée dans le cadre de la gestion, la faute de gestion constitue le type de faute le plus malaisé à mettre en évidence.

Étant donné la prise de risque qu’implique la conduite des affaires sociales, la qualification de faute de gestion suppose une appréciation sur le comportement requis de la part d’un dirigeant, au regard des circonstances de fait.

La jurisprudence semble parfois restrictive au motif que les tribunaux ne sont pas juges de l’opportunité des décisions de gestion. Les difficultés de preuve sont donc accrues dans le cadre de la faute de gestion.

L’autre obstacle de l’action en responsabilité des organes de gestion concerne la preuve du dommage.

En l’absence de préjudice propre, l’actionnaire ne peut mettre en œuvre que l’action sociale « ut singuli » qui tend à la réparation du dommage subi par la société.

L’associé sera souvent découragé d’exercer, sur ses fonds propres, une action dont le résultat n’est pas garanti et qui, en cas de succès, aboutira à l’indemnisation du seul préjudice de la société.

Pour exercer l’action individuelle, l’associé doit établir l’existence d’un préjudice propre, distinct de celui subi par la société.

Or, de jurisprudence constante, l’associé ne peut pas agir en justice pour demander l’indemnisation de la perte de valeur de ses titres lorsque ce préjudice n’est que le corollaire du préjudice subi par la société.

Dans le même sens, un associé ne peut pas valablement agir en justice pour demander réparation du préjudice résultant de la perte de valeur de ses parts sociales due à la faute d’un tiers à l’égard de la société ; ce préjudice ayant été jugé comme le corollaire de celui causé à la société .

En définitive, l’actionnaire qui met en œuvre l’action en responsabilité ou, de manière générale, introduit une action contentieuse se heurte à de nombreux obstacles. Sans compter qu’en droit des sociétés, les actions sont soumises à une courte prescription de trois ans, de sorte que les actions tendant à faire constater les irrégularités de la vie sociale peuvent être déjà prescrites.

Il est donc vivement conseillé de prendre conseil auprès d’un avocat pour élaborer la stratégie de sortie. Celui-ci peut d’ailleurs proposer, avant d’envisager un retrait de la société, le recours à l’un des modes extrajudiciaire de règlement des litiges, notamment la médiation qui convient bien à la matière. La procédure de médiation étant entièrement confidentielle, elle ne sera pas dévoilée même si l’affaire devait finir devant les tribunaux.

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