L'affaire commentée qui a été portée devant la CJUE (CJUE, C-578/19, 18 mars 2021), a fait l'objet d'une longue procédure devant les juridictions britanniques. Elle avait éjà été évoquée dans ce blog (https://www.legavox.fr/blog/maitre-valerie-augros/responsabilite-professionnels-tourisme-recherchee-agression-26607.htm).
Les faits rapportés sont malheureux et peu communs. Un couple avait réservé un voyage à forfait au Sri Lanka. Or, au cours de son séjour, la femme a été victime d'un viol de la part d'un homme s'étant présenté comme un garde de l'hôtel. Une plainte a été déposée aux services de police sur place. Mais à son retour, la responsabilité du voyagiste, Kuoni, a également été recherchée.
La cour d’appel britannique (X v Kuoni Travel Ltd [2018] EWCA civ 938) a décidé de rejeter la demande d'indemnisation de la victime au motif que les « agissements » du salarié de l’hôtel ne faisaient pas partie des prestations convenues au contrat touristique. Pour la cour, le fait que le salarié en question était électricien pour l’hôtel, il n’exécutait aucune des prestations pour les clients, mais seulement pour l’hôtel… L’organisateur de voyage n’est responsable que de la mauvaise exécution d’un prestataire – ici un hôtel – mais pas des employés du prestataire. L’argumentation de la cour à ce titre pourra paraître courte du point de vue français, alors que le voyageur est en droit de s’attendre à être en sécurité pendant son voyage. Mais la cour a admis comme défense que l’agression était en l’occurrence imprévisible pour rejeter la responsabilité du tour opérateur.
Portée devant la Supreme Court au Royaume-Uni, l'affaire a fait l'objet d'une question préjudicielle devant la CJUE.
La Cour de justice de l'UE précise d'abord que la circonstance qu’un employé d’un prestataire de services ne puisse pas lui-même être considéré comme un prestataire de services dans le cadre de l’application du régime de responsabilité contractuelle institué à l’article 5 de la directive 90/314 n’exclut pas que les actes ou les omissions de cet employé puissent être assimilés, pour les besoins de ce régime, à ceux du prestataire de services qui l’emploie.
Ce faisant, la cour balaie le raisonnement du juge britannique. En effet, pour la cour de justice, cette inexécution ou cette mauvaise exécution du contrat de voyages à forfait, bien qu’ayant sa source dans des faits commis par des employés se trouvant sous le contrôle d’un prestataire de services, est de nature à engager la responsabilité de l’organisateur conformément à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 90/314, alors applicable aux faits.
La cour poursuit ensuite sur la possibilité pour l'organisateur de voyages de s'exonérer de sa responsabilité. Pour mémoire, il peut s'exonérer notamment si cette inexécution ou cette mauvaise exécution est imputable à un cas de force majeure, à la faute du voyageur ou à celle d’un autre prestataire de services, ou encore à un événement que l’organisateur ou le prestataire de services, avec toute la diligence nécessaire, ne pouvait pas prévoir ou surmonter. Elle rappelle à juste titre qu'il faut interpréter strictement les cas d'exonération. Ainsi, l’événement imprévisible ou insurmontable visé ici se distingue du cas de force majeure.
La cour en déduit: dès lors que les actes ou les omissions d’un employé d’un prestataire de services lors de l’exécution d’obligations résultant d’un contrat de voyage à forfait entraînant une inexécution ou une mauvaise exécution desdites obligations de l’organisateur à l’égard du consommateur relèvent de cette sphère de contrôle, ces actes ou ces omissions ne peuvent être considérés comme des événements insurmontables ou imprévisibles, au sens de l’article 5, paragraphe 2, troisième tiret, de la directive 90/314. Autrement dit, la cour exclut la possibilité pour l'organisateur de voyage de s'exonérer de sa responsabilité dès lors que les manquements au contrat de voyages résultent de faits imputables aux employés du prestataire de service qu'il s'est substitué, à savoir ici l'hôtel.
V. Augros.