Il n’est aujourd’hui plus besoin de faire état de la réussite économique des plateformes Internet (improprement parfois) dites collaboratives particulièrement dans le secteur du tourisme : que ce soit dans le logement (Airbnb, Abritel, etc.) mais aussi dans le transport en voiture (Uber, Blablacar, Ouicar, etc.).
Le succès de ces plateformes, souvent pionnières en la matière, a donné des idées pour se déplacer dans les airs et sur l’eau à moindre frais !
En effet, de nouvelles plateformes ont vu le jour ces dernières années afin de mettre en place des services de "coavionnage" ou de "conavigation", sur le modèle existant du covoiturage voire aussi d’intermédiation des services de location.
Cependant, la règlementation particulière du transport aérien comme la règlementation nautique paraissent peu propices à un développement aussi florissant que pour le covoiturage.
Le « non-mais » de la DGAC sur le coavionnage
La question du coavionnage a été portée devant la DGAC. Celle-ci a alors décidé de mettre en place à la fin 2015 un groupe de travail avec tous les acteurs du monde aéronautique.
De quoi s’agit-il ? De manière tout à fait équivalente au covoiturage, le coavionnage consiste pour un pilote d’un petit avion privé à mettre à disposition du public, par l’intermédiaire d’une plateforme Internet, les places libres à bord gratuitement ou en partageant les frais.
La DGAC s’est montrée très réservée face à ce nouveau phénomène.
Rappelons qu’un pilote d’un petit avion privé est autorisé à prendre à bord lors d’un vol privé ou de loisir, et en partageant éventuellement les frais, uniquement ses proches (famille/amis).
Dès lors, du point de vue de la DGAC, le coavionnage est assimilé plutôt à un transport de passagers.
A ce titre, la DGAC souligne que l’activité de transport est soumise à des règles strictes et contraignantes : détention d’une licence de pilote professionnel + détention d’un certificat de transporteur aérien + obligation d’assurance + suivi des procédures d’exploitation (entretien et équipement de l’aéronef, etc.). Il en va aussi et surtout de la sécurité des personnes transportées, puisque le régime de la responsabilité diffère en principe selon que le transport est assuré par un pilote privé dans le cadre d’un vol privé ou de loisir gratuit ou par un pilote professionnel dans le cadre d’un transport aérien.
C’est pourquoi, les conclusions du groupe de travail animé par la DGAC du 16 janvier 2016 sont aussi sévères en la matière et viennent entacher grandement l’envol de ces plateformes naissantes.
Il a été proposé d’encadrer les plateformes de coavionnage en leur imposant de se doter d’une part d’un certificat de transport aérien et d’autre part d’une licence d’exploitation. Autant dire que ces plateformes auront a priori peu de chance de se développer en France dans ces conditions.
Incertitude actuelle sur la co-navigation
Le partage dans le monde de la plaisance revêt quant à lui de multiples aspects. On y retrouve un équivalent du covoiturage proprement dit où le propriétaire du bateau (voilier ou bateau à moteur) partage la vie à bord avec des équipiers pour une contrepartie financière modeste (en général le partage des frais). Ce phénomène peut également recouvrir la location du bateau – avec le propriétaire restant à bord (comme skipper) ou non.
Tout comme le partage d’un mode de transport dans les airs, le partage d’un bateau n’est pas sans poser de difficultés.
En effet, par exemple, s’agissant de bateaux de plaisance, leur location est encadrée – et ce d’autant plus pour les professionnels de la location qui doivent en principe être immatriculés et assurés spécialement.
A ce jour, il n’y a pas réellement eu de consultation dans le monde nautique sur ce phénomène de conavigation. Cela ne signifie pas pour autant que cette activité est d’office admise et licite !
Il convient donc en attendant de se montrer extrêmement prudent et d’une part de vérifier que l’équipier ou le locataire sera bien couvert par une assurance et d’autre part que la contrepartie n’excède pas un simple partage de frais.
Un réel besoin d’encadrement de l’économie du partage ?
Comme dans tous les schémas déjà proposés « d’uberisation de l’économie », il n’existe à ce jour aucun cadre juridique.
Il faut donc innover à défaut de pouvoir faire rentrer ces pratiques dans des concepts juridiques non adaptés en attendant une position législative définitive en la matière… qui peine à arriver.
Bien évidemment, ici la protection ainsi que la sécurité du passager embarqué – qu’il soit en voiture, en avion ou en bateau, sont primordiales et doivent être sauvegardées. En matière de covoiturage ou de location de voitures privées, on a notamment vu une adaptation des contrats d’assurance. Si cela est souhaitable également pour le coavionnage ou la conavigation, cela ne sera toutefois pas suffisant. Il conviendra de définir la relation juridique découlant du partage du moyen de transport ainsi que la capacité du « transporteur-partageur ».
Comme pour tous les autres schémas de l’économie collaborative, le recours au coavionnage ou à la conavigation doit conserver sa réelle dimension de partage. Or, si l’on observe les autres activités développées dans le cadre de la nouvelle économie (location de meublées, covoiturage, etc.) on observe une tendance à la professionnalisation de ce partage !
Rappelons que le covoiturage n’est licite que si le transport est gratuit ou limité au partage des frais et si le déplacement correspond à celui du conducteur. Il faudra alors assurer la même règle dans les autres modes de transport.
De plus, ce partage ne doit pas se faire au mépris des règles sur la concurrence ou la fiscalité.
Et c’est bien là aussi tout l’enjeu de la future législation attendue suite au rapport Terrasse remis au Premier Ministre en février dernier (Cf. notre actualité « Tourisme collaboratif – de nouvelles règles du jeu en vue? »: http://va-avocat.fr/tourisme-collaboratif-de-nouvelles-regles-du-jeu-en-vue/).
Ainsi, s’agissant du coavionnage (pour le moment très peu développé) comme de la conavigation (qui connaît déjà un grand succès sur nos côtes) il reste essentiel de veiller à ce que le partage des déplacements par voie aérienne, maritime ou fluviale ne devienne pas, pour certains, une activité de transport déguisée, à l’instar d’UberPop... qui a été purement et simplement déclarée illicite.
Conclusion
On navigue pour le moment entre volonté d’encadrer les plateformes collaboratives et souhait d’éviter tout frein à leur développement qui semble prometteur en ces temps de crise.
En réalité, ces plateformes font déjà partie de nos nouveaux modes de consommation. Une législation sera donc la bienvenue pour appréhender en France ces pratiques tant du côté de la palteforme Internet que de celui des « partageurs ».
Seulement, n’oublions pas que les plateformes ou parfois les « partageurs », peuvent aussi se trouver à l’étranger. Une harmonisation globale si elle est souhaitable pourra être difficilement atteignable à l'heure actuelle.
V.A.