Depuis toujours, les professionnels du secteur du tourisme sont habitués à faire face aux divers évènements pouvant affecter le bon déroulement des voyages (attentats terroristes, catastrophes naturelles, etc.) et assistent leurs voyageurs autant que faire se peut.
Or, l’ampleur de la pandémie du coronavirus plonge le monde entier dans une crise inédite tant par son ampleur que par ses effets : les transports de passagers sont annulés, les franchissements de frontières sont restreints voire impossibles bloquant des dizaines de milliers de voyageurs loin de chez eux, des aéroports sont fermés et près de trois milliards de personnes se retrouvent aujourd’hui confinées.
Il ne fait plus aucun doute qu’une telle crise s’analyse en une circonstance exceptionnelle et inévitable au sens de la directive dite « Travel » n°2015/2302 qui a été transposée dans les Etats membres de l’UE (et notamment dans notre nouveau code du tourisme), justifiant l’annulation de tous les voyages. Pour autant, cette directive n’a pas été désignée pour remédier à l’arrêt total des activités touristiques dans le monde alors que le voyageur est par principe en droit, aux termes de ladite directive, de solliciter un remboursement de tout voyage annulé, peu importe les circonstances. En revanche, dans de telles circonstances, le voyageur ne peut réclamer de dommages et intérêts.
Or l’importance des annulations du fait de la pandémie risque de mettre à mal la trésorerie des professionnels du tourisme.
Les Etats européens, comme le gouvernement français, en ont bien conscience. Ainsi, la Commission européenne rappelait dans une note du 19 mars 2020 la position du droit applicable tout en invitant à titre exceptionnel à proposer un « voucher » ou un avoir, en cas d’annulation de voyage. De nombreux pays européens ont aussitôt adopté des mesures spéciales pour suspendre l’obligation de remboursement issue de la directive et favoriser la pratique de l’avoir : c’est le cas par exemple du Royaume-Uni mais aussi de l’Italie.
La France vient de faire de même. Le gouvernement français a été autorisé par la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie du covid-19, et plus particulièrement son article 11, à prendre des mesures dans le secteur du tourisme. C’est chose faite depuis une ordonnance n°202-315 du 25 mars 2020 (publiée au JO du 26 mars 2020).
Il résulte ainsi de l’article 1er de cette ordonnance que les contrats de voyages (forfaits touristiques) ainsi que les services d’hébergement, de location de voitures et d’autres services touristiques (hors transport) faisant l’objet d’une annulation pourront donner lieu à un avoir à la place du remboursement. Cet avoir sera du même montant que la somme versée par le voyageur et devra aussi bénéficier de la garantie financière de l’article L.211-18 du code du tourisme. Il sera valable pour une durée maximale de 18 mois. Néanmoins, si le voyageur ne souscrit pas un nouveau contrat de voyage dans les 18 mois, il devra être remboursé de l’intégralité des sommes qu’il avait versées.
Pour bénéficier de ces dispositions, le contrat de voyage devra être résolu entre le 1er mars et le 15 septembre 2020 et le professionnel du tourisme disposera de 30 jours après l’annulation du voyage (ou à défaut à compter de l’entrée en vigueur de l’ordonnance) pour informer par écrit le voyageur de la mise en place d’un avoir.
En effet, l’information du voyageur est essentielle dans la directive « Travel » et le voyageur doit être clairement avisé malgré ces circonstances singulières. L’information donnée au voyageur le renseigne sur le montant de l'avoir, ainsi que sur les conditions de délai et de durée de validité.
Des conditions supplémentaires sont posées, que le professionnel devra respecter. Il précisera à son client les conditions d’utilisation de l’avoir en question au plus tard 3 mois après la résolution du contrat, et en particulier il devra indiquer que :
1° La prestation est identique ou équivalente à la prestation prévue par le contrat résolu ;
2° Son prix n'est pas supérieur à celui de la prestation prévue par ce contrat résolu, le voyageur n'étant tenu, le cas échéant, qu'au paiement correspondant au solde du prix de ce contrat ;
3° Elle ne donne lieu à aucune majoration tarifaire autre que celles que, le cas échéant, le contrat résolu prévoyait.
Ces mesures visent clairement à inciter les reports de voyages et à préserver les professionnels du tourisme, afin d’éviter de nombreuses défaillances qui pourraient au final être dévastatrices non seulement pour le secteur du tourisme mais aussi pour l’économie d’une manière générale. Elles doivent être approuvées tant que les intérêts des voyageurs sont également sauvegardés par la même occasion.
En revanche, ces mesures omettent de toute évidence un autre grand acteur du tourisme : les transporteurs de passagers et notamment les transporteurs aériens.
Les dispositions du règlement n°261/2204 continuent donc de s’appliquer et imposent de rembourser dans un délai de 7 jours les passagers dont le vol a été annulé. Il est évident que ce règlement, tout comme la directive « Travel », n’a pas été adopté pour remédier à une crise d’une telle ampleur – où quasiment tous les avions vont rester cloués au sol dans les aéroports du monde entier pendant plusieurs semaines.
Des tensions se font déjà sentir entre les acteurs du tourisme bénéficiant d’une pose dans l’application des règles consuméristes par la pratique de l’avoir et les autres restant soumis à des règles risquant de les plonger dans une situation économique plus que désastreuse. L’année 2019 avait déjà été une année noire avec des faillites retentissantes de compagnies aériennes.
La crise du covid-19 change encore la donne et rend la situation des transporteurs aériens encore plus aléatoires.
Il est temps que l’UE permette aux Etats membres de suspendre temporairement ces obligations et d’adopter des mesures similaires à celles adoptées pour les opérateurs touristiques et de voyages, par la pratique de l’avoir.
Il ne faut pas oublier que contrairement aux opérateurs de voyages qui doivent avoir souscrit à une garantie financière permettant de rembourser aux voyageurs les fonds qu’ils ont versés (article L.211-18 c. tourisme) en cas de défaillance, les transporteurs n’ont pas à justifier d’une telle garantie. Si un transporteur se retrouve en liquidation, aucune garantie ne bénéficiera aux passagers.
Les efforts actuels de l’IATA entre autres pour obtenir de telles mesures auprès de l’UE ne doivent donc pas être perçues comme une démarche lobbyiste mais sera au final favorable aux passagers en évitant des liquidations en cascade des transporteurs qui ne pourront rembourser tout le monde en même temps…
V.A.