Le statut de travailleur indépendant d’un coursier à vélo n’a pas fait long feu devant la Cour de Cassation (Cass. Soc. 28 novembre 2018, n°17-20079).
C’est la première fois que la haute juridiction rendait une décision portant sur la qualification du contrat liant un coursier et une plateforme numérique.
La société Take Eat Easy exploitait une plateforme numérique afin de mettre en relation les restaurateurs, leurs clients souhaitant se faire livrer un repas et des coursiers à vélo.
Les juges du fond avaient dans cette affaire refuser de requalifier la relation contractuelle entre la plateforme et un coursier, en contrat de travail au motif que celui-ci n’était lié à la plateforme par aucun lien d’exclusivité, ni clause de non-concurrence et demeurait libre de déterminer les plages horaires auxquelles il souhaitait travailler.
La Cour de Cassation casse l’arrêt d’appel au visa de l’article L.8221-6 II du code du travail lequel dispose :
I.-Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription :
1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d'allocations familiales ;
2° Les personnes physiques inscrites au registre des entreprises de transport routier de personnes, qui exercent une activité de transport scolaire prévu par l'article L. 214-18 du code de l'éducation ou de transport à la demande conformément à l'article 29 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs ;
3° Les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés ;
II.-L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.
Dans ce cas, la dissimulation d'emploi salarié est établie si le donneur d'ordre s'est soustrait intentionnellement par ce moyen à l'accomplissement des obligations incombant à l'employeur mentionnées à l'article L. 8221-5.
Le donneur d'ordre qui a fait l'objet d'une condamnation pénale pour travail dissimulé en application du présent II est tenu au paiement des cotisations et contributions sociales à la charge des employeurs, calculées sur les sommes versées aux personnes mentionnées au I au titre de la période pour laquelle la dissimulation d'emploi salarié a été établie.
C’est donc l’existence d’un lien de subordination entre la plateforme et le coursier qui doit être déterminant.
Elle rappelle tout d’abord que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ; que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
Elle constate ensuite qu’en l’espèce la plateforme pouvait suivre en temps réel la position du coursier et comptabiliser ainsi les kilomètres parcourus. Elle ne se bornait pas à une simple mise en relation des restaurateurs avec des coursiers.
Mais surtout la plateforme avait un pouvoir de sanction vis-à-vis du coursier via un système de « bonus-malus ».
Pour la Cour de Cassation, cela caractérise l’existence d’un pouvoir de direction et de contrôle de l’exécution de la prestation du coursier. L’on est bien en présence d’un lien de subordination, d’où la requalification en contrat de travail.
=> Cette décision va certainement remettre en question les relations entre livreurs et certaines plateformes.
V.A.