Repas chez l’habitant : les risques du métier…

Publié le 22/02/2018 Vu 7 215 fois 0
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La Cour d’appel de Paris valide une mesure d’instruction ordonnée au domicile d’un particulier visé par une action en concurrence déloyale qui propose dans son habitation des repas à titre onéreux.

La Cour d’appel de Paris valide une mesure d’instruction ordonnée au domicile d’un particulier visé pa

Repas chez l’habitant : les risques du métier…

De nombreuses plateformes Internet se sont développées ces dernières années permettant des échanges de services entre particuliers (logement, transport, etc.). Le repas chez l’habitant constitue l’un d’eux. Dans ce cas, la plateforme met en relation des particuliers : l’hôte préparant un dîner pour d’autres personnes.

Comme dans les autres secteurs (proposées par des plateformes désormais célèbres : Airbnb, Booking, Blablacar, etc.) les repas entre particuliers ont un certain succès. L’hôte partage ainsi sa table et fait découvrir ses talents de cuisinier amateur à quelques personnes pour un soir. Partage et convivialité sont de mise. Cette découverte se monnaye néanmoins contre quelques dizaines d’euros tout au plus, cette contrepartie financière devant toutefois se limiter aux frais exposés par l’hôte pour la préparation du repas.

Une telle contrepartie ne saurait donc devenir une rémunération, auquel cas l’hôte deviendrait un restaurateur… avec les charges et normes qui s’appliquent à tout restaurateur (licences, normes d’hygiène et d’accueil, déclarations fiscales et sociales…).

L’hôte doit donc veiller à ne pas franchir une certaine ligne, au risque de se voir poursuivi pour concurrence déloyale. C’était le cas dans une affaire portée devant la Cour d’appel de Paris (CA Paris 18 janvier 2018, n°17/14697).

Une femme avait passé diverses annonces sur des plateformes (dont Voulezvousdîner.com et VizEat) proposant des dîners à son domicile pour un prix variant de 96 à 132 euros. Le Synhorcat (un syndicat représentant des professionnels du secteurs des hôtels, cafés et restaurants) estimait qu’une telle activité constituait une concurrence déloyale, l’hôte ne supportant aucune des charges et normes des professionnels mais s’octroyant un bénéfice manifeste. Le syndicat avait demandé au Président du Tribunal de Commerce de Paris d’autoriser un huissier à établir un constat au domicile de cette personne.

L’ordonnance du Président désignait à cette fin un huissier de justice afin d’établir le constat sollicité. Compte tenu du lieu du constat – au domicile de « l’hôte » – l’ordonnance précisait la mission de l’huissier avec minutie : horaire (la mission devait se terminer au plus tard à 23 heures), lieu (seules certaines pièces du domicile étaient accessibles), possibilité d’enregistrement, questions à poser à l’hôte, etc.

Les opérations de constat ont finalement été réalisées par l’huissier désigné par le Président. Mais l’hôte, ayant sans doute peu apprécié le procédé, a décidé de demander au Président du Tribunal de Commerce la rétractation de son ordonnance. Celui-ci l’a débouté de ses demandes. Un appel a alors été interjeté.

La Cour d’appel a rendu une décision particulièrement intéressante.

Prestations de restauration : un acte de commerce relevant de la juridiction consulaire

Dans un premier temps, la Cour a confirmé que le Président du Tribunal de Commerce était bien compétent pour ordonner la mesure d’instruction contestée (mission de constat).

« L’hôte » avait en effet soulevé le fait que seul le juge civil (tribunal d’instance) aurait dû ordonner une telle mesure. La Cour d’appel n’a pas suivi cette argumentation. Au contraire, elle a considéré que le Président du Tribunal de Commerce était compétent pour ordonner une mesure d’instruction lorsque ce même tribunal est amené par la suite à statuer sur le fond du litige. En l’espèce, le juge compétent au fond était bien la juridiction consulaire, puisque seule cette juridiction est compétente pour entendre des litiges portant sur un acte de commerce.

La Cour énonce à cet égard que les prestations de restauration dans un but lucratif constituent l’accomplissement d’un acte de commerce au sens de l’article 110-1 du code de commerce. Les tarifs proposés par l’hôte (entre 96 et 132 euros) sont dignes des tarifs que l’on trouve dans les grands restaurants et non ceux pratiqués entre particuliers… dénotant ainsi le but lucratif de l’opération en cause.

Constat d’huissier au domicile : une mission équilibrée et appropriée

La Cour a noté que la mission de l’huissier devait se dérouler au domicile de « l’hôte ».

Par principe en droit français le domicile est (quasi) inviolable, et les exceptions permettant à des tiers d’y pénétrer notamment après 21 heures sont particulièrement limitées.

La Cour en a déduit que compte tenu de l’activité de l’hôte et de l’intérêt légitime du syndicat, il était nécessaire pour l’huissier de justice de se rendre au domicile de l’hôte pour effectuer son constat. Elle relevait que le Président avait pris soin dans son ordonnance d’encadrer strictement la mission de l’huissier aux seules fins du constat.

La Cour constatait en conséquence que l’ordonnance contestée avait fait un équilibre juste et approprié des intérêts des parties en présence en limitant le droit d'accès de l'huissier dans l'habitation de Mme Z aux seules pièces nécessaires à la réalisation du dîner et en lui impartissant d'achever sa mission à 23h00 au plus tard.

C’est pourquoi, la Cour d’appel confirmait la légalité de l’ordonnance du Président du Tribunal de Commerce de Paris et partant la mesure d’instruction effectuée par l’huissier.

►   L’économie collaborative est venue bouleverser les pratiques de consommation à tel point que les opérateurs traditionnels contestent – le plus souvent de manière légitime – la concurrence déloyale faite par ces nouveaux acteurs. Pour autant, les particuliers acteurs de cette nouvelle économie ne peuvent s’affranchir totalement des règles comme des charges supportées par les acteurs dits traditionnels, dès lors qu’ils en tirent un profit certain (au-delà des frais exposés). La présente décision révèle de surcroît que les juridictions se montrent désormais sensibles aux demandes des opérateurs traditionnels cherchant à établir la preuve d’actes déloyaux menés sous couvert de l’économie de partage…

V.A.

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