Dans cette affaire qui a opposé pendant plus de huit années la compagnie aérienne low cost Ryanair à l’agence de voyages en ligne Opodo, la haute juridiction (Cass. Com. 10 février 2015 n°12-26023) a reconnu à Opodo la possibilité de commercialiser sur son propre site, les vols Ryanair.
C’est une solution qui aura le mérite de réjouir les agences de voyages en ligne désirant commercialiser des billets de compagnie aériennes sans nécessairement obtenir au préalable leur accord. Néanmoins, il ne s’agit pas non plus d’un blanc-seing pour les agences de proposer un tel service de manière inconsidérée.
La compagnie Ryanair avait tenté de faire interdire une telle commercialisation en invoquant successivement trois fondements, à savoir la protection de sa base de données (i), ses marques (ii) et la responsabilité civile notamment pour parasitisme (iii).
(i) Base de données : Echec dans la démonstration d’un investissement substantiel
Pour mémoire, les bases de données bénéficient d’une protection sui generis. Ce droit sui generis vise à assurer la protection de l’investissement consenti pour la création et la gestion d’une base de données. Peu importe que les données elles-mêmes soient protégées, ou non, par le droit d’auteur.
Ainsi aux termes de l’article L.341-1 du Code de la propriété intellectuelle : « le producteur d’une base de données, entendu comme la personne qui prend l’initiative et le risque des investissements correspondants, bénéficie d’une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel. »
Or, dans la présente affaire, la Cour de Cassation observe que la Cour d’appel de Paris a souverainement apprécié le fait que Ryanair ne démontrait pas que sa base de données était le résultat d’un investissement substantiel. S’il s’agit bien d’une base de données en ce qu’elle réunit et organise les informations sur les vols, les horaires, les disponibilités et les tarifs de telle manière à être aisément consultées par les internautes, elle n’en bénéficie pas pour autant d’une protection sui generis.
Par ailleurs, la Cour en profite pour préciser qu’il importe peu que la base de données en question soit dédiée à l’activité principale de la compagnie aérienne. En cela, la haute juridiction confirme ne pas vouloir suivre la théorie dite du spin-off. Cette théorie, développée devant certaines juridictions européennes, a pour finalité d’écarter de la protection spéciale la base de données dès lors que cette base était liée à l’activité économique de son producteur.
En conséquence, Ryanair ayant échoué à démontrer le caractère protégeable de sa base de données, il était alors permis à Opodo de se référer aux données de cette base lors des requêtes de ses propres clients et de les extraire et les communiquer pour vendre les billets.
Soulignons que Ryanair a déjà tenté de trouver une parade en modifiant les conditions d’utilisation de son site (maintenant publiées en langue française accessibles dès sa première page) lesquelles interdisent expressément l’extraction de ses données à des fins commerciales. La question se pose désormais de l’opposabilité et la validité de ces dispositions…
(ii) Marque : Absence d’atteinte aux droits
Ryanair s’est également prévalue de l’atteinte à ses marques communautaires. Elle estimait que Opodo contrefaisait ses marques en les publiant et en les utilisant sur son site.
Or, la haute juridiction approuve la Cour d’appel de Paris d’avoir constaté que Opodo avait fait un usage licite des marques en question.
En effet, elle précise que « la société Opodo n’a pas fait usage des signes litigieux pour vendre elle-même des services désignés par les marques, mais seulement pour désigner, de manière nécessaire, les services de transport aérien de la société Ryanair qu’elle proposait au consommateur » et que « les signes sont reproduits, sans qu’il y ait confusion sur l’origine des services ni atteinte au droit de marque de cette société, à titre d’information sur le nom de la compagnie ».
A cet égard, il est obligatoire pour les agences de voyages de préciser le nom de la compagnie aérienne qui opère le vol. Cela résulte de l’article R.322-4 du Code de l’aviation civile. Et l’article L.713-6 b) du Code de la propriété intellectuelle permet quant à lui l’utilisation d’un signe comme référence nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, à condition qu’il n’y ait pas de confusion dans l’origine du produit ou service.
Ainsi Opodo pouvait valablement utiliser les signes litigieux dès lors que l’agence en ligne se contentait de désigner la compagnie aérienne assurant les vols vendus sur son site.
(iii) Responsabilité civile : Absence de parasitisme et de concurrence déloyale
Ryanair indiquait encore que Opodo avait commis des fautes civiles à son préjudice. Elle précisait qu’elle entendait maîtriser la distribution de ses services de transport par ses seuls canaux de distribution et s’opposait ainsi à l’intervention d’une agence de voyages. En commercialisant les services de transport de la compagnie, Opodo désorganisait et parasitait ses activités selon Ryanair.
Pourtant, la Cour de Cassation a estimé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur ce moyen.
La Cour d’appel de Paris avait pour sa part relevé que Ryanair ne pouvait unilatéralement interdire à l’agence Opodo de proposer des billets d’avion à la vente, et ce en application du principe de la liberté du commerce et de l’industrie, dès lors que l’agence se soumettait bien aux prescriptions légales sur les agences de voyages.
En outre, elle avait observé que Ryanair n’était aucunement privée de revenus, puisque Opodo intervenait en qualité d’intermédiaire dans la vente de ces billets d’avion.
Enfin la Cour d’appel constatait qu’aucun acte de parasitisme ne pouvait être reproché à Opodo. L’agence ne détournait aucun client au détriment de Ryanair.
En conclusion, c’est la liberté du commerce qui est ainsi mise en avant. Néanmoins, cela ne signifie pas pour autant que les droits de propriété intellectuelle (droit sui generis sur les bases de données, droit des marques) sont dénués de protection. Il y aura toujours des balises que les agences en ligne, placées dans des situations similaires, devront respecter.