1. La loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans le domaine de la justice et des affaires intérieures a modifié la durée d’une mesure de protection judiciaire.
2. Un peu d’histoire. Loi du 03 janvier 1968. Sous l’empire de la loi n° 68-5 du 03 janvier 1968 portant réforme des incapables majeurs, lorsqu’un jugement plaçait une personne sous curatelle ou sous tutelle, aucune durée n’était mentionnée. La curatelle ou la tutelle durait indéfiniment, à moins que le majeur protégé, un beau jour, ne saisisse le juge des tutelles pour obtenir une mainlevée… En d’autres termes, il n’y avait pas de jugement de renouvellement dès lors qu’un jugement d’ouverture avait été prononcé. Loi du 05 mars 2007. Avec la grande loi n° 2007-308 du 05 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, le législateur avait posé qu’une personne ne pouvait être placée en curatelle ou en tutelle pour une durée supérieure à cinq ans. Cinq ans : telle était la durée maximale dont un juge des tutelles pouvait assortir un jugement de placement sous protection judiciaire. A l’expiration de ce délai, la règle de principe était que le juge des tutelles pouvait renouveler la mesure de protection (curatelle, tutelle) pour une même durée, soit cinq ans. Par exception, lorsque l’altération psychique de la personne était manifestement insusceptible de connaître une amélioration selon les données acquises de la science, le juge des tutelles pouvait alors, au vu d’un certificat médical circonstancié, renouveler la mesure pour une durée plus longue. Ainsi, les jugements de renouvellement pouvaient mentionner une durée de cinq ans, mais aussi, dès lors que l’on se situait dans le champ de l’exception, une durée de dix ans, quinze ans, vingt ans, trente ans, …
3. Durées nouvelles, nées de la loi du 16 février 2015. La loi du 16 février 2015 a apporté deux modifications au dispositif instauré par la loi du 05 mars 2007, figurant aux articles 441 et 442 du Code civil. 1/ Désormais, si la durée maximale de principe est toujours de cinq ans lors de l’ouverture d’une mesure de curatelle ou de tutelle, il est possible au juge des tutelles, dès le jugement d’ouverture, dans l’hypothèse d’une tutelle, lorsque l’état de santé exclut toute amélioration selon les données acquises de la science, de fixer une durée de dix années (et non plus de cinq). 2/ Si le juge peut renouveler la mesure pour une même durée, le renouvellement d’une curatelle ou d’une tutelle peut au vu des données acquises de la science, exclusives de toute amélioration, renouveler pour une durée plus longue, jusqu’à vingt ans.
Loi du 05/03/07 |
Loi du 16/02/15 |
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Ouverture d’une curatelle |
5 ans au maximum |
05 ans au maximum |
Renouvellemt d’une curatelle |
1/ Principe : même durée au maximum 2/ Exception (données acquises de la science) : durée supérieure possible |
1/ Principe : même durée au maximum 2/ Exception (données acquises de la science) : vingt ans au maximum |
Ouverture d’une tutelle |
5 ans au maximum |
1/ Principe : 05 ans au maximum 2/ Exception (données acquises de la science) : dix ans au maximum |
Renouvellement d’une tutelle |
1/ Principe : même durée (cinq ans au maximum) 2/ Exception (données acquises de la science) : durée supérieure possible |
1/ Principe : même durée (cinq ans au maximum) 2/ Exception (données acquises de la science) : vingt ans au maximum |
4. Analyse critique. En tant qu’avocat praticien quotidien des tutelles, et conférencier à l’Université en cette matière, plusieurs réserves s’imposent. Certes, s’il est a priori compréhensible, lorsque l’état de santé d’une personne (maladie neuro-dégénérative à un stade avancé, retard mental, etc.) est tel que les perspectives d’amélioration psychiques sont inexistantes, de permettre aux juges des tutelles de prononcer d’emblée une mesure de tutelle pour une durée de dix années, puis de renouveler une telle mesure jusqu’à vingt années, de telles durées ne permettent pas un véritable contrôle judiciaire, lequel suppose pour être effectif des auditions dans une périodicité rapprochée. Cela est d'autant plus regrettable que les justiciables ici sont des majeurs vulnérables, protégés par la loi et par le juge des tutelles. En prononçant une mesure de protection pour dix années, puis en cas de renouvellement pour vingt années, le juge des tutelles désigne concomitamment un protecteur, prioritairement choisi dans la famille, et ne le reverra pas pendant dix ans, puis pendant vingt ans. Est-ce sérieux ? Le droit des majeurs protégés s’exerce avec une infinie prudence, dans la mesure où il en est des familles comme de la nature humaine : tantôt bienveillante, tantôt hostile. En dix années – que dire en vingt années –, une lassitude, une moindre présence ou une moindre vigilance risquent de s’installer chez le tuteur. Dans le meilleur des cas. En ne rencontrant pas le juge des tutelles régulièrement, en n’échangeant pas avec lui lors d’auditions, le tuteur familial ne confronte avec aucune autorité ses inquiétudes, ses doutes, et finit par ne plus en avoir. Au-delà, il est essentiel que le juge des tutelles, à intervalles rapprochés, perçoive l’évolution des rapports de force au sein de la famille, les clans en présence – afin de pouvoir en cours de mesure décharger un membre de la famille pour en désigner un autre s’il perçoit que ce dernier est, par l’effet du temps, devenu plus apte à exercer la mesure.
Valéry MONTOURCY, Avocat au Barreau de Paris
Droit des majeurs protégés (sauvegardes de justice, curatelles, tutelles)
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