1. Alors que fleurissent sur internet, et dans tous les médias, des articles consacrés à la bataille judiciaire successorale prévisible entre le conjoint et les premiers enfants de Johnny Hallyday, et à l’application du droit international privé des successions, il est possible d’avoir une approche distincte des faits, sous l’angle du droit des majeurs vulnérables, et de la capacité juridique.
La question, ouverte, consiste alors à se demander si le défunt avait pris la mesure de l’acte établi en Californie en juillet 2014. Ce qui nous amène, sans bien entendu prendre position dans ce litige pour lequel chaque jour apporte de nouvelles révélations médiatiques, et dans lequel comme toujours la vérité est distincte des bribes qui transparaissent ça ou là – à rappeler les conditions générales de validité d’un acte juridique, au-delà du cas particulier de la succession de Johnny Hallyday.
2. Il est un principe de droit constant : pour qu’un acte juridique soit valable, il est essentiel que l’intéressé en ait compris la pleine mesure. En d’autres termes, il importe que son consentement existe (3), et qu’il soit libre (4) et éclairé (5, 6).
3. Existence d’un consentement. Cette exigence suppose tout d’abord, pour tout rédacteur d’un testament, de ne pas avoir d’altération psychique au moment de l’acte (qui peut résulter d’un accident passé, ou constituer les séquelles d’une maladie), ce que l’article 414-1 du Code civil traduit en ces termes : « Pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. » Lorsque l’intéressé, au-delà du droit commun de l’article 414-1 du Code civil applicable à tous, est sous tutelle, alors il ne peut rédiger son testament qu’avec l’accord du juge des tutelles.
4. Consentement libre. Le consentement ne doit pas seulement exister, il doit être libre. Un consentement n’est libre qu’à la condition que l’auteur de l’acte ne soit pas sous la dépendance physique (violence) ou morale (peur) de quelqu’un exerçant des pressions pour contraindre l’auteur.
5. Consentement éclairé. Abus de faiblesse. Un consentement ne doit pas seulement être libre, il doit être éclairé. Régulièrement, je suis saisi de situations dans lesquelles un défunt a institué par testament une personne ayant par des manœuvres subtiles, capté l’attention et l’affection du scripteur affaibli, et obtenu un legs. L’auteur du testament est alors victime d’un dol, l’ayant conduit à se méprendre, de sorte que son consentement n’a pas été éclairé. La question de l’abus de faiblesse se pose alors.
6. Consentement éclairé. Erreur. Au-delà du cas extrême de l’abus de faiblesse, il importe que l’auteur d’un testament ait conscience de la portée de son engagement. Une personne ayant institué tel ou tel par testament, et qui ignorait la réalité et la consistance de son patrimoine, n’avait pas un consentement éclairé. Par exemple, le fait de léguer un bien qui n’existe plus au moment de la rédaction d’un testament constitue un indice sérieux d’une absence de consentement (trouble psychique) ou d’une absence de consentement éclairé (erreur sur la consistance de son patrimoine, provoqué ou non par des manœuvres…). De même, ainsi que cela a pu être jugé, un testament attribuant la quotité disponible à l’un de ses enfants au motif d’une donation passée, n’apparaît pas comme procédant d’un consentement éclairé si la donation est substantiellement inférieure à la valeur de la quotité disponible (et à plus forte raison, de la part successorale), de sorte que, en l'absence d'autres éléments extérieurs, seule une erreur est à l’origine de ce traitement différencié disproportionné, qui aurait été mécaniquement corrigé par un rapport successoral classique (un compte entre les enfants). Autrement dit, si le défunt a donné de son vivant 5 à l’un de ses deux enfants, et que, croyant avoir donné au premier enfant l’équivalent de sa part successorale, il lègue à l’autre par testament la quotité disponible, alors que son patrimoine est à son décès de 30, il apparaît que le défunt s’est mépris sur la consistance de son patrimoine, et par suite, sur la répartition entre ses enfants. Tout son raisonnement étant mathématiquement erroné, son consentement n’a pas pu être éclairé.
7. L’éclairage par le devoir de conseil. Connaître la portée de son engagement suppose également d’avoir eu conscience – donc connaissance – des conséquences juridiques de son acte, et d’avoir été informé de celles-ci par le juriste dépositaire de l’acte (notaire, avocat). Cette exigence est d’autant plus importante quand il s’agit d’un acte de disposition (vente immobilière, testament, etc.). Lorsqu’une personne aime ses enfants – et derrière eux, ses petits-enfants –, tout juriste sérieux doit œuvrer à l’équilibre familial, de sorte que si un complément de part peut s’envisager au profit d’un enfant plus jeune que les autres, cela ne peut se faire que dans une mesure raisonnable. Et les donations antérieures sont alors évidemment rapportées à la succession, pour être chiffrées et ajoutées aux biens laissés par le défunt, et constituer l’actif brut successoral qui, déduction faite du passif successoral, donnera l’actif net qui sera réparti entre conjoint et enfants.
8. La nécessaire recherche de concorde. Chaque proche d’un défunt a son propre lien avec le cher disparu. De cette reconnaissance mutuelle d’affection commune, qui constitue le dénominateur commun entre l'ensemble des héritiers, peut émerger une issue amiable équilibrée, qui seul honore la mémoire du défunt. Professions réglementées soumises à une déontologie, notaires et avocats doivent garder à l’esprit qu’ils sont les pivots d’un dénouement successoral apaisé.
Valéry MONTOURCY
Avocat au Barreau de Paris
Droit des majeurs protégés (sauvegardes de justice, curatelles, tutelles) et des successions
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