1. Faits et procédure. Un homme, placé sous curatelle renforcée en juin 2009, sollicite du Juge des tutelles du Tribunal d’Instance de Paris (15ème arr.) l’autorisation de se marier avec Madame Z. Par ordonnance en date du 24 juin 2010, le Juge des tutelles rejette la demande. Sur appel du curatélaire, par arrêt en date du 06 septembre 2011, la Cour d’appel de Paris confirme l’ordonnance, aux motifs que le majeur protégé n’est pas en mesure d’appréhender les conséquences de ce mariage sur sa personne et sur ses intérêts. Contestant l’arrêt de la Cour d’appel, le curatélaire forme un pourvoi, que par arrêt en date du 05 décembre 2012 (pourvoi n° 11-25158) la Cour de cassation rejettera.
2. Texte de loi applicable. L’article 460 al. 1 du Code civil, relatif au mariage d’une personne en curatelle, dispose : « Le mariage d’une personne en curatelle n’est permis qu’avec l’autorisation du curateur ou, à défaut, celle du juge. »
Bien que personnelle, la décision de se marier ne constitue donc pas un acte « strictement personnel » au sens de l’article 458 c. civ., dispensant la majeur protégé d’être assisté ou représenté à cet acte. Au contraire, conscient des risques bien compris d’abus de faiblesse pouvant être commis à l’occasion du mariage d’un majeur protégé, le législateur a souhaité, dans l’intérêt du majeur protégé, par essence vulnérable, imposer, d’une part, la vérification préalable par le curateur de la clarté du consentement et de la conformité du projet matrimonial à l’intérêt du majeur protégé, d’autre part, en cas de refus du curateur, le contrôle de ces deux impératifs (consentement libre et éclairé) par le juge des tutelles (saisi par le majeur protégé).
3. L’argumentation du pourvoi. Devant la Cour de cassation, le pourvoi développe plusieurs arguments, peu convaincants. Retenons-en trois.
- Premier argument. L’autorisation du curateur ou à défaut, du juge des tutelles, serait « contraire au principe constitutionnel de la liberté du mariage, acte strictement personnel », et sollicite la transmission d’une QPC au Conseil constitutionnel.
Une QPC formulée en termes voisins ayant été transmise au Conseil constitutionnel dans une autre affaire, et le Conseil constitutionnel s’étant prononcé en faveur de la conformité, cet argument devenait caduc (1). Au demeurant, sans surprise mais non sans éclat, par décision en date du 29 juin 2012, le Conseil constitutionnel a estimé que l’article 460 c. civ. était conforme au bloc de constitutionnalité (art. 2 et 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789), les limitations apportées à la liberté du mariage, composante de la liberté personnelle, étant justifiées par l’intérêt général, sans qu’aucune atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi ne soit caractérisée. Et pour cause : la vulnérabilité du majeur protégé justifie, par essence, une protection accrue, et l’absence d’atteinte disproportionnée à cette liberté tient encore à la possibilité pour le majeur protégé de contester devant le juge des tutelles (puis devant les autres degrés de juridiction) le refus initial du curateur.
- Deuxième argument. Se plaçant sous un tout autre terrain, le pourvoi soutient qu’il suffit que le juge vérifie la réalité du consentement du majeur, ce consentement ne devrait pas être « plus particulièrement éclairé que pour tout autre candidat au mariage, quant aux conséquences sur sa personne et sur son patrimoine ». En d’autres termes, le pourvoi insinue l’idée qu’une personne n’étant pas placée sous protection judiciaire ne connaîtrait pas vraiment les tenants et les aboutissants personnels et patrimoniaux du mariage, de sorte que rien ne devrait permettre d’exiger davantage de connaissances du majeur protégé.
L’argument relevait du sophisme. Au-delà du fait qu’une personne qui se marie connaît les engagements des époux et les conséquences d’un mariage (de sorte que la prémisse de ce deuxième argument était fausse), l’argument évacue ce qui fait l’essence du droit des majeurs vulnérables : la nécessité pour le majeur protégé de donner un consentement éclairé à l'acte, sa capacité à comprendre les droits, devoirs et liens de droit liés au mariage. L’éventuelle insouciance des mariés qui ne sont pas sous un régime de protection, par rapport aux conséquences du mariage importe peu : sans pouvoir bien entendu en donner les détails, ils les ont à l’esprit. Avoir conscience ne signifie pas nécessairement connaître. Or, c’est bien de conscience qu’il s’agit ici, non de connaissance.
- Troisième argument. Le pourvoi soutient qu’en ayant « exprimé la volonté de conclure un contrat de mariage de séparation de biens », la démonstration de la conscience suffisante du majeur protégé, quant aux conséquences patrimoniales du mariage, serait faite.
L’argument ne pouvait sérieusement prospérer. L’objet de l’affaire ne portait pas sur l’opportunité d’un contrat de mariage – acte patrimonial et non personnel –, mais sur l’aptitude du majeur protégé à consentir valablement à un projet matrimonial, acte personnel.
4. La décision de la Cour de cassation. L’attendu de principe de la Cour de cassation est lumineux :
« Mais attendu que, par décision n° 2012-260 QPC du 28 juin 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution l’article 460 du code civil ; que faisant application de ce texte, la cour d’appel, après avoir analysé tant les certificat établis par le médecin psychiatre qui a examiné Monsieur X que les autres éléments d’appréciation versés aux débats, a estimé, en considération de l’évolution psychopathologique des troubles présentés par l’intéressé et de sa perte de maîtrise des réalités financières, que celui-ci n’était pas en mesure de donner un consentement éclairé au mariage. »
La motivation de la Cour d’appel, à l’appui de sa décision confirmant l’ordonnance du juge des tutelles ayant refusé de donner au majeur en curatelle renforcée l’autorisation de se marier, reposait principalement sur la teneur des certificats médicaux produits aux débats, qui établissaient une perte de maîtrise du réel faisant obstacle à l’obtention d’un consentement éclairé. Le rejet du pourvoi était inévitable.
En conclusion, le refus du curateur, puis du juge des tutelles, d’autoriser le mariage d’un majeur protégé, est fondé lorsqu’il est motivé par l’absence de consentement au projet matrimonial, en raison d’une altération médicalement constatée.
Valéry MONTOURCY
Avocat au Barreau de Paris
Courriel : secretariat@montourcy-avocats.fr
(1) Voir sur ce point le commentaire de Thierry Rouziès : http://www.legavox.fr/blog/la-tutelle-et-vous/liberte-mariage-majeurs-proteges-9536.htm#.U3m-odJ_tcg