1. Faits et procédure. Un juge des tutelles place sous tutelle une épouse et désigne, en qualité de tuteur à la personne, l’un de ses enfants – les réponses aux questionnaires adressés aux quatre enfants et à son époux étant unanimes en ce sens–, et en qualité de tuteur aux biens un M.J.P.M. Le conjoint, âgé de quatre vingt six ans, interjette cependant appel du jugement et demande à exercer la mesure de protection. Par arrêt en date du 05 juillet 2012, la cour d’appel de Caen confirme le jugement et rejette la demande de l’époux fondée sur le principe de primauté familiale (art. 449 c. civ.), aux motifs que les éléments versés aux débats démontrent l’inaptitude de l’époux à exercer la mesure de protection, de sorte que l’intérêt de la majeure protégée commande d’écarter l’époux. L’époux débouté forme un pourvoi, et par arrêt en date du 06 novembre 2013, la Cour de cassation rejette ledit pourvoi, la Cour d’appel ayant souverainement apprécié l’intérêt de la majeure protégée. L’arrêt de cassation est concis ; il est vrai que devant la Cour de cassation, le droit s’abat sur le fait ; aussi, pour comprendre l’enjeu de l’espèce, est-ce à l’analyse de l’arrêt de la cour d’appel qu’il importe de procéder.
2. La motivation de la Cour d’appel est étayée. 1) Principes généraux. La Cour d’appel rappelle les principes conditionnant l’application effective du principe de primauté familiale : « Si le choix du tuteur doit donner priorité à la famille proche, c’est à la seule condition (…) que celle-ci soit en mesure d’occuper les fonctions au mieux des intérêts de la personne protégée ; le tuteur doit donner de lui-même une image d’indépendance le mettant à l’abri des conflits familiaux et si son rôle se limite à la tutelle à la personne, il doit pouvoir démontrer une proximité affective avec le majeur protégé ; que (l’époux) ne paraît remplir aucune de ces conditions, ayant pris ses distances durant trois années par rapport à son épouse et entretenant des relations complexes avec les membres du cercle familial (…) ». 2) En l’espèce, le conjoint n’apparaissait pas à bonne distance des conflits intrafamiliaux. La Cour rappelle la position commune des parties contenue dans le questionnaire rempli par les enfants et par l’époux, pour mieux insister sur la volte-face de l’époux, la Cour se hasardant à de possibles mobiles : « ce n’est qu’ultérieurement, comprenant vraisemblablement que la gestion de la fortune dont son épouse est habile à hériter de ses parents allait lui échapper, qu’il est revenu sur sa position, invoquant notamment l’incompétence de sa fille, en matière de gestion de patrimoine ; qu’à cet égard l’argument de l’appelant, fondé sur la motivation financière des enfants du couple, pour s’opposer à sa désignation pour exercer la mesure de protection, n’apparaît pas crédible dès lors qu’aucun d’entre eux ne remet en cause la désignation de l’UDAF du Calvados en qualité de tuteur pour représenter et administrer les biens de son épouse ». La motivation de la Cour paraît sur ce point excessive, à plusieurs titres : a) nul ne peut faire grief à un père, au demeurant âgé, d’avoir changé de position entre la première instance et l’appel, et d’avoir ignoré la consistance exacte d’une mesure de tutelle. b) L’enfant devenue tutrice à la personne de sa mère n’ayant plus demandé en cause d’appel à exercer la tutelle aux biens, l’argument tiré de la motivation financière des enfants, présentés par leur père comme unis par un intérêt financier, apparaissait à première vue sans objet… Etait-ce si sûr cependant ? On peut craindre, à tort ou à raison, les agissements financiers de l’un de ses enfants, et en inférer qu’il serait contraire à l’intérêt de son épouse que cet enfant-là puisse avoir la charge de la protection de la personne, qui suppose un lien de confiance. c) En tout état de cause, dans l’hypothèse même où l’un des enfants aurait souhaité devenir tuteur aux biens, la simple assertion de leur père, liée à une supposée « motivation financière », n’aurait pas suffi à écarter ledit enfant, en l’absence de démonstration d’une faute de sa part laissant présager que sa désignation ne serait pas conforme à l’intérêt de sa mère. 3) Sur l’inaptitude en l’espèce de l’époux à exercer la mesure de protection aux biens. La cour d’appel insiste ensuite sur l’inaptitude de l’époux à exercer la mesure de protection aux biens. La cour d’appel en apporte une illustration : les époux, qui ont changé de régime matrimonial en 2006 – passant de la séparation de biens à la communauté universelle – ont été « défaillants durant de longs mois dans le cadre des opérations de liquidation des successions confondues des parents de Madame » (un litige l’opposant à ses sœurs), ce que rappelle une ordonnance de référé (31 juillet 2008) produite par les enfants, la cour d’appel ajoutant : « le notaire chargé de la succession ayant été obligé de dresser un procès-verbal de carence en date du 05 juin 2008 » ; « cette défaillance, notamment de Monsieur, interpelle de la part d’une personne prétendant être en capacité de gérer le patrimoine très important qui va revenir à son épouse. » Sur ce point, l’argument de la Cour d’appel ne convaincra pas : un procès-verbal de carence peut participer d’une stratégie procédurale, d’une volonté d’aller au contentieux, d’une absence de confiance dans le notaire, etc., et ce d’autant plus que cette supposée carence – qui n’a en soi rien de fautif – n’avait duré que quelques mois, et encore, en 2008. 4) Sur l’inaptitude de l’époux, en l’espèce, à exercer la mesure de protection à la personne. La Cour considère encore que l’époux est inapte à exercer utilement la tutelle à la personne de son épouse : « Monsieur (…), âgé de 86 ans, n’apparaît pas conscient de l’état de son épouse, ni de ses besoins affectifs et matériels et est essentiellement préoccupé par les procédures qu’il a engagées contre les cohéritiers de ses beaux-parents et qu’il entend mener à terme seul » (cette dernière précision contredisant le motif précédent tiré de l’inaptitude à exercer la mesure de protection aux biens). Il est vrai que la majeure protégée était dans un état de dépendance « patente », et que les enfants s’accordaient pour que leur mère soit admise en maison de retraite, quitte à devoir participer financièrement à son hébergement.
En définitive, compte tenu du « conflit familial » rappelé, du fait que l’époux n’avait pas pris la mesure de l’état de santé intellectuelle de son épouse – peut-on à quatre vingt six ans l’en blâmer ? –, et des actions en justice à caractère patrimonial qu’il faudrait le cas échéant entreprendre, la Cour d’appel pouvait aisément confirmer la désignation d’un M.J.P.M. en qualité de tuteur aux biens, et la tutelle à la personne à l’un des enfants. En revanche, l’évocation d’une supposée inaptitude dans la gestion des biens, et d’une supposée distance affective qu’il aurait eue (selon la Cour) envers son épouse, n’était sans doute pas utile à la solution de l’arrêt.
3. Une motivation au fond convainc toujours plus ou moins : c’est ce que l’on appelle l’appréciation souveraine des juges du fond. La Cour de cassation, juge du droit et non du fait, n’a pas à y revenir. Sans doute blessé par le ton de l’arrêt, l’époux forme un pourvoi en cassation – une voie procédurale vouée à l’échec, tant il est évident qu’aucun texte de loi n’avait été violé, la cour d’appel ayant souverainement déterminé l’intérêt de la majeure protégée et l’inaptitude de l’époux aux fonctions de protecteur. L'attendu de principe est en ce sens limpide, et rappelle que le but ultime du droit des majeurs vulnérables est l’intérêt du majeur protégé, souverainement apprécié par les juges du fond :
« Attendu que la priorité accordée au conjoint de la personne protégée, par l’article 449 c. civ., pour exercer la mesure de protection, cède devant l’intérêt de cette dernière, souverainement apprécié par les juges du fond ; que dès lors, le moyen, qui reproche à la cour d’appel de en pas avoir recherché s’il n’y avait pas lieu de confier l’exercice de la tutelle à (l’époux), compte tenu des règles applicables au régime de communauté universelle, est inopérant. »
Valéry MONTOURCY
Avocat au Barreau de Paris
Droit des majeurs vulnérables (sauvegardes, curatelles, tutelles)
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