Faits et procédure. Un juge des tutelles prononce le placement sous tutelle d’un jeune homme handicapé mental et désigne en qualité de tuteur, non son père qui le demandait, mais une association tutélaire, tant pour la tutelle aux biens que pour la tutelle à la personne. Le père interjette appel du jugement. Le 13 décembre 2012, la Cour d’appel d’Amiens confirme le jugement ayant écarté le père de l’exercice de la mesure de protection de son fils, aux motifs que « celui-ci est confronté à la précarité et à d’importants problèmes de santé ayant nécessité son hospitalisation et la mise en place d’un accueil temporaire de son fils, de sorte qu’il n’est pas en mesure d’apporter à ce dernier une aide pour la gestion de sa situation budgétaire et financière. » Un pourvoi en cassation est formé, et par arrêt en date du 28 mai 2014, la Cour de cassation casse partiellement l’arrêt de la cour d’appel, aux termes de l’attendu de principe suivant, tout en renvoyant devant la cour d’appel de Douai pour que l’affaire soit réexaminée :
« Qu’en statuant ainsi, sans s’expliquer sur les raisons pour lesquelles elle ne désignait pas [le père] en qualité de tuteur à la personne, alors qu’elle constatait, d’une part, qu’il avait toujours vécu avec le majeur protégé, avec lequel il était uni par une affection sincère et réciproque, d’autre part, qu’il était disposé à collaborer avec l’association tutélaire de l’Aisne, la cour d’appel a privé sa décision de base légale. »
Observations. 1. Manque de base légale de l’arrêt d’appel. Cet arrêt de la Cour de cassation, rendu au visa des articles 447 al. 3 et 449 du Code civil, sera pleinement approuvé : en refusant au père d’exercer la fonction de tuteur à la personne de son fils, mais en ne motivant sa décision que par des éléments portant sur la tutelle aux biens, l’arrêt d’appel manquait de base légale. En effet, une situation de précarité économique traversée par un parent ne saurait, en soi, le disqualifier pour exercer la tutelle à la personne de son fils. Il en est de même d’une hospitalisation passée du père. Et ce d’autant plus que la cour d’appel avait constaté que le père et le fils avaient toujours vécu ensemble, qu’ils étaient unis par une affection sincère et réciproque, et que le père était disposé à collaborer avec l’association tutélaire dès lors qu’il ne serait pas séparé de son fils – un souhait légitime. Dès lors, la Cour de cassation sanctionne la cour d’appel pour avoir écarté la tutelle familiale à la personne, sans explication. C’est donc le défaut de motivation de l’arrêt d’appel, sur ce point, qui est condamné. Conformément à la procédure, la Cour de Cassation renvoie l’affaire devant la cour d’appel de Douai pour que les débats soient ré-ouverts, concernant le choix du tuteur à la personne.
2. Tutelle aux biens et tutelle à la personne. Pour mémoire, l’article 447 al. 3 c. civ. permet au juge des tutelles (et en appel, à la cour d’appel), d’une part, de désigner dans l’intérêt d’un majeur vulnérable plusieurs protecteurs (curateurs, tuteurs), d’autre part, de diviser la mesure de protection entre un curateur ou tuteur chargé de la protection de la personne, et un autre, chargé de la gestion du patrimoine. L’article 449 posant le principe de primauté familiale, ainsi que l’ordre des désignations familiales : la personne avec laquelle le majeur protégé partage sa vie sentimentale (conjoint, partenaire, concubin) ; à défaut, un parent, un allié ou une personne proche du majeur vulnérable. Ainsi, toute mesure de protection présente deux composantes : la protection de la personne du majeur vulnérable et la protection de ses biens. Si le juge des tutelles peut bien évidemment désigner un seul tuteur chargé du tout, comme en l’espèce, il ne peut, en cas de demande familiale d’exercice de la tutelle, la refuser pour le tout qu’à la condition de justifier que la candidature familiale dessert l’intérêt du majeur protégé, tant au regard de la protection de ses biens qu’à l’aune de celle de sa personne. Ce que la cour d’appel n’avait ici pas fait.
3. Appréciation souveraine des juges du fond, concernant l’aptitude à exercer la fonction de tuteur. Les juges du fond (juges des tutelles et cours d’appel) ont l’obligation de motiver leurs décisions ; cependant, dès lors qu’ils motivent leurs décisions, leur appréciation est libre – elle est dite souveraine –, et ne peut pas être remise en cause par la Cour de cassation, sauf dans l’hypothèse relativement rare de la dénaturation . En l’espèce, la cour d’appel avait estimé que « les difficultés [du père] dans la gestion de son propre budget », et le fait de se retrouver en situation de « précarité », faisaient obstacle à ce qu’il ait la charge de la protection des biens de son fils. Il s’agit là d’une appréciation souveraine de la cour d’appel, qui ne peut être remise en question par la Cour de cassation. Au demeurant, il est légitime d’exiger du candidat à la tutelle aux biens qu’il soit irréprochable dans la gestion de ses propres deniers avant de prétendre assister ou représenter utilement un majeur vulnérable dans la gestion de ses biens. Il convient seulement de rappeler que les difficultés économiques d’un membre de la famille (le fait d’être au chômage, un revers économique) ne peuvent suffire pour lui refuser d’exercer également la tutelle aux biens de son enfant. Dans la recherche de l’intérêt du majeur protégé, principe cardinal de la matière, ce qui compte est l’aptitude du candidat à l’exercice de la mesure – son honnêteté étant présumée –, et son affection envers le majeur vulnérable – que le principe de primauté familiale présuppose.
Valéry Montourcy, Avocat au Barreau de Paris
Spécialisé en Droit des majeurs vulnérables
Courriel : secretariat@montourcy-avocats.fr
Téléphone : 01 45 72 02 52
(1) La cour d’appel de Douai disposant d’une chambre spécialisée, dénommée Chambre de la protection juridique des majeurs et des mineurs.
(2) En l’absence de précision dans le jugement, le curateur ou le tuteur est investi des deux missions.
(3) Motiver, terme juridique, signifie justifier, donner des raisons en fait et en droit.
(4) La dénaturation étant une erreur manifeste dans l’appréciation d’un fait. Pour une illustration, voir l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 30 avril 2014 (Civ. 1ère, 30 avr. 2014, pourvoi n° 12-28887) et notre commentaire paru dans la revue juridique spécialisée A.J. Famille (Juill.-août 2014, pp. 437-438).