=> Article commenté par le FIGARO IMMOBILIER le 14 mars 2021
I) Problématique : un équilibre entre liberté d’expression et droit à l’honneur
Faire le choix d’acquérir son logement en copropriété, c’est s’engager à subir des « interactions sociales » bien plus importantes qu’en maison individuelle : il n’est donc guère surprenant que la copropriété constitue un terreau fertile au développement des litiges. Ces derniers peuvent aller jusqu’à la diffusion de lettres ou de propos blessants et vexatoires, voire stigmatisants.
Si la liberté d’expression doit toujours être protégée, elle doit être conciliée avec le droit à l’honneur des résidents.
II) Les membres du Conseil syndical : auteurs mais aussi victimes de propos diffamatoires
En premier lieu, l’analyse de la jurisprudence montre que certains conseillers syndicaux, s’estimant probablement protégés par leur statut de bénévoles, tiennent parfois des propos diffamatoires. Un exemple est fourni par l’arrêt de la Cour d’appel de Poitiers du 17 janvier 2007 (CA Poitiers, 3e ch. civ., 17 janv. 2007, n° 06/01197). Dans cette espèce, le Président du Conseil syndical avait insinué, lors de l’assemblée générale des copropriétaires, que le gardien se livrait à des actes de voyeurisme dont les victimes étaient des jeunes filles de la résidence. La cour d’appel, confirmant le jugement du Tribunal d’Instance de La Rochelle, juge que de tels propos, « jetant le discrédit » sur la personne du gardien, sont diffamatoires. En conséquence, la Cour confirme le jugement qui condamnait le Président du Conseil syndical à lui verser la somme de 3 800 € à titre de dommages intérêts.
En second lieu, certains membres du Conseil syndical peuvent aussi, à l’inverse, être la cible de propos diffamatoires. C’est ce que vient rappeler un arrêt récent de la cour d’appel de Colmar, rendu il y a quelques semaines (CA Colmar, ch. 3 a, 25 janv. 2021, n° 20/00971).
Dans cette affaire, un copropriétaire a été condamné, en première instance et en appel, pour des propos infamants visant de 2 membres du Conseil syndical. Il faut dire qu'il n'était pas allé de main morte puisqu’il avait diffusé aux autres copropriétaires de la résidence, située à Mulhouse, une lettre circulaire leur imputant d’avoir commis des infractions pénales… Jugez plutôt :
« Afin de mettre définitivement un terme aux agissements du conseil syndical, une plainte pénale avec constitution de partie civile sera déposée à l’encontre de Madame Y et de Monsieur X pour propos diffamatoires, tromperie, faux et usage de faux en écriture en assemblée envers et dans le but de nuire à certains résidents ayant eu connaissance de certains agissements non autorisés par la loi’ une plainte sera déposée contre Monsieur X pour reproduction, contrefaçon et vente illégale d’images protégées sur support vidéo’ beaucoup de résidents se posent la question comment fait Monsieur X pour acheter des appartements destinés à la vente aux enchères forcées avant même que celles-ci aient lieu. ' je pense que certaines personnes sont à jour de leurs charges de copropriété mais ils sont gênant alors on marque dans les comptes qu’ils doivent 3000, 5000 ou même plus, on fait approuver les comptes, c’est écrit alors cela est une preuve qu’ils doivent vraiment ces sommes et même si cela est faux il sera alors facile aux membres du conseil syndical de faire croire leur vérité mensongère à l’assemblée présente, qui ignore tout des manigances de ce même conseil syndical, quoi de mieux que de faire une saisie immobilière et vendre leurs appartements pour se débarrasser de ces gêneurs. Le sentiment de toute-puissance qui anime ce conseil syndical, qui pense que la multinationale les soutient et les protège leur permet de croire que quoi qu’ils fassent les faits seront étouffés par des relations peu regardantes sur cette façon de faire’ »
Le 20 décembre 2019, le tribunal de Mulhouse condamne l’auteur de cette lettre à payer 600 € de dommages-intérêts aux deux membres du Conseil syndical mis en cause. Le juge le condamne également à 400 € au titre des frais de procédure. Soit au total 1000 €.
Le copropriétaire condamné décide alors de faire appel. Mal lui en a pris. En effet, la cour d’appel de Colmar aggrave les sanctions ! Elle le condamne au total à 4000 € (2000 € de dommages et intérêts + 2000 € de frais de procédure).
Au final, l’auteur des propos diffamatoires aura déboursé 5.000 €, sans compter ses propres frais d’avocat… Ce genre d’histoire, qui révèle le plus souvent des conflits de voisinage, est malheureusement fréquent en copropriété. Ce sujet important mérite quelques explications juridiques…
III) Quelles sont les règles applicables en cas d’abus de liberté d’expression en copropriété ?
De manière peu intuitive, c’est le droit de la presse (loi du 29 juillet 1881) qui s’applique en cas de propos diffamatoires tenus en copropriété. Autrement dit, les règles sont les mêmes que si les propos avaient été tenus par un journaliste. La Cour de cassation en a ainsi décidé en 2016 (Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 3 novembre 2016, 15-17.150).
Les conséquences de ce choix jurisprudentiel sont de taille car l’application de ce droit complexe entraîne de sérieuses difficultés de mise en œuvre. La plus connue est la question du délai pour agir. Si vous estimez être victime de diffamation, c’est-à-dire, au sens de la loi de 1881, d’allégations attentatoires à votre honneur et à votre considération, vous n’avez que 3 mois pour saisir la justice, pas un jour de plus. Au-delà, il y aura prescription.
IV) Attention à la distinction diffamation publique / diffamation privée
Dans l’affaire précitée de Colmar, le copropriétaire est condamné pour diffamation non publique.
En copropriété, comment trace-t-on la frontière entre diffamation publique et diffamation non publique ? De jurisprudence constante, le caractère public est constitué lorsque les allégations sont diffusées à des tiers au groupement de personnes liées par une communauté d’intérêts que constituent les copropriétaires
Le choix des destinataires est donc essentiel et généralement la publicité est caractérisée par le fait d’avoir distribué un écrit diffamatoire à des locataires, étrangers à la communauté des copropriétaires (voir l’arrêt de la cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 7, 18 décembre 2019, n° 17/12690 à propos d’un « tract » distribué dans l’ensemble des boîtes aux lettres des résidents).
De même, un affichage visible de tous dans le hall d’une résidence ou dans le local des boites aux lettres entrainera la qualification de diffamation publique. À l’inverse, des propos tenus au sein d’une assemblée générale de copropriétaires relèvent de la diffamation « non publique », car, par définition, ils restent cantonnés au « groupe fermé » des copropriétaires (ou de leurs mandataires).
Dans l’affaire de Colmar, la diffamation est qualifiée de « non publique » car la lettre avait été adressée aux seuls copropriétaires et non à des tiers, tels que des locataires.
Cette distinction a des conséquences majeures car généralement les sanctions civiles (voire pénales) seront plus sévères en cas de diffamation publique. Mieux vaut donc, dans le doute, ne pas prendre à témoin des personnes autres que les autres copropriétaires…
V) En cas de diffamation, comment échapper à la condamnation ?
Lorsque la diffamation est caractérisée, en particulier lorsque des personnes se voient imputer des faits répréhensibles aux yeux de la loi, l’auteur des allégations peut échapper à la condamnation s’il démontre sa bonne foi ou prouve la vérité des faits incriminés. Il a donc le choix entre deux moyens de défense.
Bonne foi
L’article 35 bis de la loi de 1881 dispose que : « Toute reproduction d’une imputation qui a été jugée diffamatoire sera réputée faite de mauvaise foi, sauf preuve contraire par son auteur ». L’auteur de la diffamation peut renverser cette présomption de mauvaise foi en prouvant l’absence d’animosité personnelle et la réalisation d’une enquête préalable sérieuse. Ces deux conditions sont particulièrement importantes en copropriété. À titre d’exemple, si l’auteur présumé de diffamation est en conflit avec le copropriétaire concerné sur des sujets de voisinage, il lui sera plus difficile de combattre la présomption de mauvaise foi. De même, s’il donne crédit à des rumeurs sans avoir entendu la version du copropriétaire visé, sa bonne foi pourra difficilement être reconnue par les juges.
Exception de vérité
Dans l’affaire de Colmar, le copropriétaire auteur des propos litigieux choisit de se défendre en invoquant la vérité des faits incriminés. Autrement dit, sa défense se résume en une phrase : « les propos tenus sont infamants mais ils sont exacts, Mme le Juge ! ».
Las, le droit de la presse est complexe, on l’a dit…
Ainsi, une personne accusée d’avoir tenu des propos diffamatoires dispose de 10 jours, pas un de plus, pour réagir une fois qu’elle a reçu l’assignation en justice (article 55 de la loi du 29 juillet 1881). La cour d’appel juge logiquement que « Ne l’ayant pas fait, il ne peut être admis à exciper en cause d’appel de la vérité des faits ». En clair, il ne peut plus se défendre sur le terrain de l’exception de vérité. Dura lex sed lex…
Au demeurant, il lui aurait été difficile d’établir la preuve de vérité, comme le relèvent les juges avec malice. Voire avec un certain agacement perceptible en dépit de la rédaction sophistiquée dont la Justice a le secret :
« C’est à titre purement superfétatoire qu’il est relevé d’une part, que l’appelant ne produit qu’une copie du jugement dont il se prévaut dans laquelle les noms des parties sont floutés de sorte qu’il est impossible de se convaincre de ce que le litige en question était relatif à la copropriété litigieuse ; que d’autre part, et à supposer qu’il s’applique bien à cette copropriété, ce jugement qui rejette la demande du syndicat des copropriétaires au motif que le syndicat n’a pas produit les comptes généraux de la copropriété indispensables pour justifier des montants répartis entre les copropriétaires et démontrer l’existence de la créance, ne fait aucunement la preuve de la commission par les intimés des faits de tromperie, faux et usage de faux en écritures, reproduction contrefaçon et vente illégale d’images que Monsieur Z a imputés à ces derniers ».
CONCLUSION
Vivre en copropriété, c'est accepter de partager son territoire, ce qui amène nécessairement des prises de position et des débats parfois houleux entre voisins.
La liberté d’expression des copropriétaires s’arrête toutefois là où le droit à l’honneur des autres commence.
À cet égard, les membres du conseil syndical ne sont pas au-dessus des lois et ne doivent pas abuser de leurs fonctions. Mais ils ne sont non plus en-dessous… et sont donc protégés par la loi lorsqu’ils sont victimes de propos diffamatoires.
Il n’en demeure pas moins que le droit de la diffamation est d’une grande complexité procédurale. Ces règles, conçues pour s’appliquer aux grands médias, peuvent sembler insurmontables pour des « petits » litiges de diffamation, ce qui peut susciter bien des frustrations et donc cristalliser et pérenniser les conflits en copropriété.
Il est donc essentiel de privilégier une approche amiable, c’est-à-dire non contentieuse, des différends.
=> En savoir plus sur la diffamation en copropriété : https://www.legavox.fr/blog/mariani-lehnisch/diffamation-copropriete-liaisons-dangereuses-29776.htm