Les 5 points-clés de l'étude
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L'étude complète
I) La responsabilité de l'Etat lorsque la justice est trop lente
1.1. Définitions
Aux termes de l'article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire (COJ), l’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. Cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.
- La jurisprudence définit la faute lourde comme toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.
- Un déni de justice correspond, quant à lui, à un refus d’une juridiction de statuer sur un litige qui lui est présenté ou au fait de ne procéder à aucune diligence pour instruire ou juger les affaires ; il constitue une atteinte à un droit fondamental et, s’appréciant sous l’angle d’un manquement du service public de la justice à sa mission essentielle, il englobe, par extension, tout manquement de l’État à son devoir de protection juridictionnelle de l’individu, qui comprend celui de répondre sans délai anormalement long aux requêtes des justiciables, conformément aux dispositions de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’appréciation d’un allongement excessif du délai de réponse judiciaire s’effectue de manière concrète en prenant en considération les conditions de déroulement de la procédure, la nature de l’affaire, son degré de complexité, le comportement des parties en cause, ainsi que l’intérêt qu’il peut y avoir pour l’une ou l’autre des parties à ce que le litige soit tranché rapidement.
1.2 La condamnation de l'Etat
Au regard de cette jurisprudence, l’État français est régulièrement condamné pour dépassement du délai raisonnable de jugement.
Il semble que le droit de la famille et droit du travail soient les « terres d’élection » de ces contentieux en responsabilité de l’État. À titre d’exemple, le TGI de Paris sanctionne régulièrement l’État en matière de divorce (TGI Paris, 1re ch. 1re sect., 4 nov. 2015, n° 14/15296 ; dans cette affaire un délai de 9 mois et 12 jours entre la date du dépôt de la requête en divorce et la date de l’audience de conciliation est jugé excessif). De même, dans un contentieux relevant du droit du travail, la Cour d’appel de Paris a condamné l’État au versement de 6000 € de dommages et intérêts pour un délai de jugement anormalement long (CA Paris, pôle 2 - ch. 1, 30 sept. 2020, n° 18/17589 ; dans cette espèce, le salarié avait attendu 5 ans et 7 mois avant d’avoir son jugement).
Les documents budgétaires présentés par le Ministère des Finances semblent muets sur cette question ; ainsi, le programme 166 « justice judiciaire » comporte certes des indicateurs relatifs au délai moyen de traitement des procédures civiles et pénales mais aucune information n’est fournie quant aux condamnations de l’Etat pour dépassement du délai raisonnable.
Il semble pourtant que la jurisprudence, et même l’agent judiciaire de l’Etat, qui représente l’Etat dans les contentieux en responsabilité et qui parfois négocie pour éviter l’accumulation des décisions négatives pour l’Etat, aient de fait commencé à établir un « barème d’indemnisation », en fonction des matières juridiques et des délais constatés.
II) La Médiation préférable à un "mauvais procès" ?
2.1 Une justice lente est une mauvaise justice
Si la justice « expéditive » est synonyme de mauvaise justice, nos juridictions reconnaissent sans difficulté qu’une justice lente est également condamnable.
Ainsi, le TGI de Paris estime qu' "un procès est nécessairement source d’une inquiétude pour le justiciable et une attente prolongée non justifiée induit un préjudice dû au temps d’inquiétude supplémentaire" (TGI Paris, 1re ch. 1re sect., 28 mai 2018, n° 17/09544).
De même, la Cour d’appel de Paris considère qu’une durée excessive de jugement est à l’origine pour le justiciable d’un « préjudice moral résultant du sentiment d’incertitude et d’anxiété anormalement prolongé qu’il a subi dans l’attente de voir sa situation appréciée » (CA Paris, pôle 2 - ch. 1, 6 nov. 2018, n° 17/07921).
2.2 La Médiation et autres modes amiables
La lenteur de la justice ne doit-elle pas conduire à privilégier la Médiation, ou tout autre mode amiable, beaucoup plus rapide et efficace ?
La réponse positive est évidente pour les auteurs mais il leur faut aussi admettre que négocier sous la contrainte d’un délai déraisonnable n’est pas une situation acceptable et que le développement des modes amiables ne doit pas s’opérer en compensation de l’atteinte ainsi portée au « droit au juge » qui doit demeurer un droit fondamental.
Mais utiliser davantage le mode amiable, notamment pour les litiges qui ne posent pas de problème de principe ou de nouveauté juridique à établir, peut aussi aider à préserver ce droit au juge et à le réserver à des situations qui méritent réellement l’intervention d’un juge.
Car il existe bien d’autres raisons de recourir à ces modes amiables de règlement des différends (MARD)
- Même « normalement rapide », la justice restera toujours plus lente qu’une négociation car il faudra toujours préserver le droit à l’avocat, le contradictoire et a minima le double degré de juridiction.
- Dans le cadre du droit de la famille, droit du travail mais aussi dans le cadre des conflits de voisinage, la solution judiciaire est toujours provisoire le gain d’une bataille précède parfois l'entrée dans une guerre au long cours : il est courant de dire qu'un procès fait souvent deux perdants : le vainqueur, épuisé et le vaincu, revanchard... Une médiation permet d'apporter une réponse apaisée et acceptée des parties.
- Dans ces domaines, le mode amiable permet l’élaboration de solutions complexes et créatives hors de portée du pouvoir juridictionnel.
Aux côtés des médiateurs et conciliateurs, les avocats doitvent prendre toute leur part dans ce grand chantier en organisant à la fois la prise en charge du conflit vécu par leurs clients et l’échange participatif entre confrères afin de cadrer le litige et d’isoler les cas qui méritent réellement l’intervention du juge…
Au vu de nos traditions d’avocat beau parleur, séducteur, voire « belliqueux », que réclament d’ailleurs bon nombre de clients, il s'agit-là d'un profond changement de paradigme. La révolution culturelle au sein du barreau est-elle pour demain ?
NOTE AUX LECTEURS
Vous pouvez lire notre article sur "voisinage et diffamation" qui illustre également la nécessité de recourir aux modes amiables.
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