Les points clés de l'étude
Les feuilles de présence aux assemblées générales des copropriétaires sont des documents stratégiques que certains syndics refusent de remettre aux copropriétaires, au motif que la transmission des adresses personnelles des copropriétaires serait contraire au Règlement général sur la protection des données (RGPD). Ce refus est illégal puisque la communication des feuilles de présence par le syndic répond à une obligation réglementaire qui lui incombe en application des articles 17 et 33 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967.
L'étude complète
Les feuilles de présence aux assemblées générales (AG), documents en apparence techniques, sont en réalité au cœur d’« enjeux de pouvoirs » au sein des copropriétés. Elles constituent en effet, au-delà leur fonction première de contrôle de la régularité de l’AG, à la fois un outil de connaissance des adresses personnelles des copropriétaires et d’analyse des « alliances » qui peuvent se jouer au sein de la copropriété.
Pour l’ensemble de ces raisons, certains syndics se refusent à remettre ce document et notamment, depuis 2018, s’appuient sur le nouveau Règlement général sur la protection des données (RGPD) pour justifier ce refus. Pourtant le cadre juridique est clair et il vient d’ailleurs de recevoir une confirmation significative par une réponse ministérielle en date du 1er octobre 2020 (réponse du Ministère de la Justice à une question posée par le Sénateur Yves Détraigne).
En application de l'article 33 du décret de 1967, le syndic a l’obligation de délivrer à tout copropriétaire des copies des procès-verbaux et des annexes des assemblées générales. Or, la feuille de présence constitue une annexe du procès-verbal, conformément à l'article 17 du décret précité. Tout copropriétaire peut donc en obtenir, y compris en référé, la communication sous astreinte (TGI Paris, réf., 9 mars 2017, n° 17/51492). Aucune disposition n'autorise le syndic à apprécier l'utilité ou la légitimité de la communication demandée, ni à se prévaloir d'une éventuelle expiration du délai accordé aux copropriétaires pour contester les décisions de l'assemblée générale (Cour de cassation - Troisième chambre civile 18 décembre 2001 / n° 00-14.110 et 28 février 2006 / n° 05-12.992).
Le RGPD ne saurait faire échec à ce droit d'accès. Ce règlement communautaire, entré en vigueur le 25 mai 2018 [1], prévoit en effet qu’un traitement de données est licite, et ne nécessite donc pas le consentement préalable des personnes concernées, si « le traitement est nécessaire au respect d’une obligation légale à laquelle le responsable du traitement est soumis ». Ces dispositions existaient déjà dans le droit positif avant le RGPD et pour cause : la loi « informatique et liberté » a largement inspiré la rédaction du RGPD.
Doit donc continuer à s’appliquer la jurisprudence antérieure au RGPD selon laquelle le syndic ne peut pas refuser de délivrer copie de la feuille de présence en arguant du respect de la vie privée (CA Chambéry, 1ère ch., 24 avr. 2008, SAS Urbania Tarentaise c/ SCI E. Edelweiss ; CA Rennes, 6 juin 2013, n° 11/07662 ; TGI Paris, réf., 9 mars 2017, n° 17/51492). Cette jurisprudence vient d’être confirmée par la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, ch. 1-2, 6 juin 2019, n° 18/07585).
De même, le respect de la vie privée ne saurait justifier la communication d'une feuille de présence tronquée, toute clause contraire du règlement de copropriété devant être réputée non écrite (Cour d'appel de Paris, 21 mai 2014, n° 12/17364).
Enfin, cette feuille est émargée au cours de l’assemblée par tout copropriétaire présent ou par son mandataire ; il est constant qu’elle peut être « librement consultée durant l’assemblée » et « que chacun peut donc prendre connaissance du domicile des autres copropriétaires » (Cour d'appel de Paris, 1ère chambre, section A, 24 mars 1987, n° RG 86/13859 et TGI Paris, 8e ch. 1ère sect., 22 sept. 2009, n° 08/11131). En obtenant copie de la feuille de présence, un copropriétaire a ainsi connaissance d’une information à la disposition de tous les copropriétaires ou de leurs mandataires pendant l’assemblée ; le même raisonnement s’applique aux pouvoirs demandés.
CONCLUSION
La réponse précitée du Ministère de la Justice apparait donc pleinement justifiée : le RGPD ne saurait faire échec à l’établissement, à la conservation et à la communication des feuilles de présence dès lors que ces documents répondent à une obligation réglementaire qui incombe au syndic. Interrogée par les auteurs de cet article, la CNIL, gardienne et interprète du RGPD, a d’ailleurs confirmé cette position qui rappelle que, malgré ses spécificités, un syndicat de copropriétaires obéit à une logique démocratique qui implique une liberté du vote mais aussi la possibilité d’influer sur le vote. Les copropriétaires sont liés par une communauté d’intérêts ; en l’absence d’agora et de media permettant la mise en œuvre d’une « campagne électorale », la communication de certaines données personnelles des copropriétaires doit donc être possible et le RGPD ne saurait y faire obstacle.
[1] Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil
NOTES POUR LES LES LECTEURS
- Cet article a été publié sous une version approfondie dans le numéro de décembre 2020 de la revue DALLOZ AJDI (Actualité juridique du droit immobilier). Cette revue de référence, dont le rédacteur en chef est le professeur Yves ROUQUET, propose des études et commentaires sur l'évolution juridique, économique et fiscale de l'immobilier.
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