Le droit d'échelle aussi nommé « tour d'échelle » est une servitude qui peut être établie par voie amiable, conventionnelle ou par autorisation judiciaire en cas de désaccord. Elle consiste dans le droit pour le voisin d'une propriété, située en limite séparative très proche, de disposer d'un accès temporaire à cette dernière pour effectuer les travaux nécessaires à la conservation de sa propre propriété. La délivrance d'un permis de construire un bâtiment en limite séparative, s'il peut rendre nécessaire l'usage de cette pratique, ne dispense pas du respect des conditions d'institution de ce droit résultant des règles du droit civil.
I) Les critères fixés par la jurisprudence
Le « tour d’échelle » est une notion de droit immobilier particulièrement importante sur le plan pratique, bien qu’absente du code civil.
Dans le silence de la loi, la jurisprudence a dégagé certains critères pour les modes d'établissement de cette servitude : les travaux doivent avoir un caractère indispensable et permettre le maintien en bon état de conservation d'une construction existante ; l'accès chez le voisin suppose que toute tentative pour effectuer les travaux de chez soi, même au prix d'une dépense supplémentaire, se révèle impossible ; les modalités de passage, la marge d'empiétement et le temps d'intervention doivent être aussi restreints que possible, le juge pouvant en définir les limites. Le propriétaire voisin est en droit d'obtenir des dédommagements au titre des détériorations éventuelles et des troubles de jouissance inhérents au chantier.
II) Le tour d’échelle, un droit longtemps réservé aux travaux ou d’entretien de bâtiments existants
En réponse au Sénateur Jean-Louis MASSON, le ministère des Transports, de l'Équipement, du Tourisme et de la Mer, indique le 28 février 2008 que « la jurisprudence, considérant la servitude comme un droit portant atteinte à la propriété, paraît la réserver aux seules réparations sur des constructions existantes, et refuser de l'appliquer pour l'édification de constructions nouvelles. »
Il doit donc s'agir de travaux de réparations ou d’entretiens.
Trois arrêts de cour d’appel peuvent ainsi être cités :
CA Nancy, 2e ch., 14 juin 2018, n° 17/02060 :
« Attendu que le tour d’échelle se définit comme un droit d’accès temporaire et limité au fonds voisin pour effectuer des travaux indispensables à la conservation d’une construction existante s’il est impossible pour le propriétaire d’effectuer ces travaux depuis chez lui, même au prix d’une dépense supplémentaire ;
Que le bénéfice de ce droit ne peut en revanche être accordé pour une construction nouvelle ».
CA Versailles, 14e ch., 5 nov. 2008, n° 08/03113 :
« Considérant que s’il ne peut être exigé aucune application d’une quelconque servitude dite de tour d’échelle, s’agissant d’une construction nouvelle à terminer et non de réparations à faire sur une construction existante ; le juge des référés peut autoriser un propriétaire à pénétrer sur un fonds voisin dès lors que la réalisation de travaux indispensables est impossible sans passer sur le terrain voisin et que le refus de laisser pénétrer peut dégénérer en abus de droit ».
CA Paris, 28 févr. 2013, n° 11/23295 :
« Considérant que si la notion de « tour d’échelle » n’est pas définie par le code civil, il s’agit d’une servitude temporaire tendant à obtenir l’autorisation de passer sur le fonds d’un voisin pour faire des réparations, laquelle autorisation peut être amiable, conventionnelle ou accordée par voie judiciaire en cas de désaccord ; que sa mise en œuvre est régie par la nécessité d’effectuer les travaux de réparation ou d’entretien d’un bien qui sont impossibles depuis son fonds propre ».
III) Le tour d’échelle est-il désormais applicable aux constructions nouvelles ?
L’arrêt de la Cour de cassation du 12 novembre 2020 paraît étendre la solution aux travaux neufs (Cass. 3e civ., 12 nov. 2020, n° 19-22.106).
Dans cet arrêt, une société, propriétaire d’un terrain contigu à celui appartenant à une SCI, avait obtenu un permis de construire l’autorisant à édifier un immeuble en limite de sa propriété. Soutenant que la pose et l’isolation des fondations de l’immeuble nécessitaient la réalisation de travaux de terrassement sur la parcelle voisine, la société a assigné la SCI en autorisation de tour d’échelle.
Dans son pourvoi formé contre la cour d’appel qui avait refusé de faire droit à sa demande, la demanderesse insistait sur le permis de construire délivré et sur la possibilité pour la juridiction de procéder à l’évaluation du préjudice subi par le propriétaire voisin.
La Cour de cassation rejette l’argumentation et retient que : « La cour d’appel a souverainement retenu, d’une part, que, l’environnement urbain étant peu dense et la société SC […] disposant d’un terrain étendu lui permettant de modifier l’implantation de son immeuble en retrait de la limite séparative, la réalisation de son projet ne rendait pas indispensable une intervention sur le terrain voisin et, d’autre part, que les travaux envisagés, qui impliquaient la démolition d’un mur, le creusement d’une tranchée de 2,70 mètres de profondeur et de 3 mètres de large tout le long du chemin d’accès à la parcelle voisine et la privation de l’usage de son parking pendant au moins six semaines, étaient de nature à porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété de la SCI […] ».
Selon la Haute juridiction, la demande d’autorisation de tour d’échelle devait être rejetée au motif que le demandeur à ce droit d’accès ne remplissait pas les deux conditions nécessaires pour l’octroi du droit d’échelle, à savoir :
- le caractère indispensable des travaux,
- et l’impossibilité de les réaliser autrement qu’en accédant au terrain voisin.
La Cour de cassation fait donc application du principe de proportionnalité mais ne pose pas le principe selon lequel le tour d’échelle serait exclusivement réservé à des travaux de réparations ou d’entretien sur un bâti déjà existant.
=> Le droit d’échelle paraît donc désormais s'appliquer à des travaux d’édification d’une construction nouvelle.