À l’heure où le « vivre ensemble » suscite des débats passionnés au sein de notre société, nous avons voulu étudier cette notion dans les ensembles immobiliers placés sous le régime de la copropriété. Ces ensembles sont soumis à plusieurs « injonctions paradoxales » puisqu’il y faut à la fois préserver l’intimité des parties privatives et assurer le respect des parties communes, ménager tant l’obligation de sécurité que le respect de la vie privée.
La question de la vidéosurveillance constitue une illustration emblématique de ces contradictions.
En effet, avec les progrès techniques et la baisse des coûts d’installation, son recours s’est considérablement développé depuis dix ans si bien que la protection des personnes et des biens au moyen de surveillance visuelle n’est plus réservée aux bâtiments publics, ambassades ou établissements bancaires.
S’il est significatif que la terminologie officielle soit, depuis 2011, celui de la « vidéoprotection », il n’en demeure pas moins que le recours à cette technologie intrusive doit être encadré. Comme le législateur l’avait écrit en 1978, non sans une certaine préscience : « l’informatique est au service de chaque citoyen (…). Elle ne doit porter atteinte ni à l'identité humaine, ni aux droits de l'homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques ». Ces dispositions, toujours inscrites à l’article premier de la loi « informatique et libertés », ont traversé les décennies, preuve du caractère intemporel des grands principes qu’elles énoncent.
La vidéosurveillance est au cœur de ce nécessaire équilibre entre progrès humain et protection des droits.
Aborder l’enjeu de la vidéosurveillance suppose de distinguer plusieurs cas de figure, selon que l’initiative de l’installation du système revient aux copropriétaires pris individuellement (1) ou au syndicat, représenté par son syndic (2).
Enfin, il y a lieu de réserver un traitement particulier aux « parties communes à jouissance privative » (3).
1. La vidéosurveillance de parties communes à l’initiative d’un résident
Dans cette hypothèse, assez simple mais apparemment assez fréquente, les résidents ont directement installé un système de surveillance des parties communes. Sans surprise, ils sont systématiquement condamnés à déposer leur dispositif de vidéosurveillance, qu’il ait été installé dans le hall d’entrée de l’immeuble, sur le palier ou encore dans une cour.
En effet, ces installations portent une atteinte disproportionnée à la vie privée des autres résidents.
Il est toutefois intéressant de relever la Cour d’appel de Paris vient de juger possible d’installer, sans autorisation, un œilleton électronique en lieu et place du judas optique, dans la porte de l’appartement : « L’œilleton litigieux est muni d’un système électronique installé dans l’épaisseur de la porte ; il est relié à un écran de contrôle de contrôle [qui] donne vue sur le palier (…) ainsi que sur la périphérie, porte de gauche et de droite en sortant de l’ascenseur. (…) L’activation de la vidéosurveillance n’est pas reliée à un détecteur de présence et fonctionne donc en continu avec ou sans mouvement sur le palier et il n’existe aucun système d’enregistrement apparent. Ainsi, au vu de ces constatations et, notamment, de l’absence d’enregistrement, il n’est pas démontré en quoi l’installation de cet œilleton électronique est de nature à différer d’un simple judas optique et à occasionner à la SCI Maria une quelconque gêne. » (CA Paris, pôle 1 - ch. 8, 12 févr. 2021, n° 20/01428).
Le judas électronique constitue donc une forme de « réalité augmentée ». Il ne fait que prolonger la surveillance des parties communes permise par le judas optique.
2. Cas d’un système de vidéosurveillance à l’initiative de la copropriété
Pour lutter contre les vols ou les dégradations dans les parkings ou les halls d’entrée, de plus en plus d’immeubles sont équipés de caméras de vidéosurveillance.
Cette évolution a été favorisée par l’assouplissement des conditions de vote : en effet, depuis la loi dite ALUR, adoptée le 24 mars 2014, « les travaux nécessaires à la conservation de l'immeuble et à la préservation de la santé et de la sécurité physique des occupants » relèvent de la majorité simple de l’article 24 de la loi du 10 juillet 1965.
Plusieurs précisions importantes méritent d’être apportées ici.
1°) En premier lieu, la compétence d’installer un système de vidéosurveillance appartient à l’assemblée générale des copropriétaires et non au syndic, sauf si ce dernier se prévaut d’une urgence imposant cette mesure pour la sauvegarde de l’immeuble, sur le fondement de l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965. Tel pourrait être le cas si des cambriolages venaient à se multiplier (TGI Paris, 1re ch. sect. urgences, 15 sept. 2014, n° 14/02676 ; en l’occurrence, les juges estiment toutefois que l’urgence n’est pas caractérisée, dès lors que le syndic ne fait état que d’un seul cambriolage).
2°) En deuxième lieu, le système de vidéosurveillance ainsi autorisé doit avoir pour unique objectif de filmer les parties communes, à l’exclusion de toute partie privative, qu’il s’agisse, par exemple, des portes des appartements ou des balcons.
La CNIL l’indique sur son site de manière très explicite.
On comprend aisément le raisonnement : filmer des parties privatives constitue, à l’évidence, une immixtion illégale dans la sphère privée.
3°) Une fois voté par le syndicat des copropriétaires, le système de vidéosurveillance requiert-il certaines formalités administratives ?
Il y a lieu de distinguer selon que les parties communes sont accessibles à toute personne (hall d’entrée avec porte sans digicode ni interphone par exemple) ou non.
Dans le premier cas, les lieux sont considérés comme ouverts au public et le dispositif doit faire l’objet d’une demande d’autorisation auprès du préfet du département et non auprès de la CNIL.
Dans le second cas (présence d’un digicode par exemple), les lieux sont considérés comme fermés au public et aucune formalité n’est nécessaire, ni auprès de la préfecture ni même auprès de la CNIL.
Que les lieux soient ou non publics, le syndicat devra veiller au respect de deux garanties essentielles prévues par la loi « informatique et libertés ».
La première concerne l’information des personnes. En effet, les personnes filmées dans les parties communes de l’immeuble doivent être informées, au moyen de panneaux affichés en permanence et qui doivent être compréhensibles par tous les publics. Le panneau doit être visible avant le champ de la caméra. La CNIL détaille sur son site toutes les mentions obligatoires.
La seconde garantie importante pour éviter tout abus porte sur la durée de conservation des images.
La CNIL estime ainsi que la durée de conservation des images en copropriété ne devrait pas excéder un mois, dans la mesure où « en règle générale, conserver les images quelques jours suffit à effectuer les vérifications nécessaires en cas d’incident, et permet d’enclencher d’éventuelles procédures pénales. »
4°) Enfin, comme l’indique la CNIL sur son site, les images du système mis en place par le syndicat doivent être consultées uniquement en cas d’incident (vandalisme, dégradation, agression...).
Selon nous, la prudence commande de réserver le droit d’accès aux images au seul gestionnaire de l’immeuble afin d’écarter le risque qu’il ne serve au Conseil syndical ou aux gardiens à « surveiller » les résidents ou leurs invités. Dans le cas contraire, les auteurs de cette surveillance pourraient se voir reprocher une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et à l’image des résidents.
Rappelons que les missions du Conseil syndical ont été utilement précisées dans une réponse ministérielle (Réponse du Ministère de la justice à la question du Sénateur Yves Détraigne - publiée dans le JO Sénat du 27/08/2020 - page 3802) : « Le conseil syndical est un organe de contrôle et d'assistance du syndic, non de gestion ou d'administration. Il ne dispose donc d'aucun pouvoir propre au titre de l'administration de la copropriété, à la différence du syndic, et il ne peut se substituer au gestionnaire de l'immeuble ».
3. Vidéosurveillance et parties communes à jouissance exclusive
Qu'en est-il des « parties communes à jouissance privative » (PCJP), notion jurisprudentielle consacrée par la loi ELAN du 23 novembre 2018.
Le titulaire du droit de jouissance privative peut-il installer des caméras de vidéosurveillance sans autorisation de l'assemblée générale ?
Il nous semble que la réponse est positive même si ce point n’a pas été tranché par la jurisprudence.
En effet, ces espaces sont pleinement protégés par le droit à la vie privée, au même titre qu’un appartement. Mutadis mutandis, le titulaire du droit de jouissance se trouve vis-à-vis du syndicat dans la même situation que le locataire vis-à-vis de son bailleur : son logement est inviolable quand bien même il ne serait pas propriétaire des murs.
En conséquence, si l’installation de vidéosurveillance n’abîme pas les parties communes et que les zones filmées se trouvent bien à l'intérieur des PCJP et ne filment donc pas des tiers extérieurs à ces espaces (voisins), une telle installation parait possible sans autorisation.