LES POINTS CLÉS DE L’ÉTUDE
- Une diffamation est une allégation attentatoire à l’honneur et à la considération d’une personne
- En copropriété, la diffamation est soumise à la loi de 1881 sur la presse (et non au droit commun)
- Quelles sont les difficultés pour que la diffamation soit reconnue en copropriété ?
o La loi de 1881 est difficile à mettre en œuvre : délai de prescription de 3 mois, obligation de choisir entre l’injure et la diffamation, élection de domicile dans la ville où siège la juridiction saisie…
o Les correspondances privées ont, en principe, un caractère confidentiel : les imputations diffamatoires contenues dans ces correspondances et concernant une autre personne que le destinataire ne sont pas punissables comme diffamation.
o Même lorsque des propos portent atteinte à l’honneur et à la considération d’une personne, son auteur peut échapper à la condamnation s’il peut prouver la vérité des faits incriminés et démontrer sa bonne foi
- Une fois ces obstacles franchis, la définition de la diffamation est assez large en copropriété et la réparation du préjudice conséquente :
o La diffamation publique est punie de 12.000 € d’amende et la diffamation privée de 38 €. En principe, les propos tenus en assemblée générale sont privés tandis que des affichages dans le hall de l’immeuble ou des courriers adressés aux résidents, y compris locataires, sont considérés des diffamations publiques ;
o Affirmer qu’un voisin a commis des actes illégaux est diffamatoire. Il en est de même s’il lui est reproché des agissements réguliers mais contraires au vivre-ensemble ou au fonctionnement de la copropriété
o le juge examine attentivement le contexte dans lequel les propos ont été tenus et regarde en particulier s’ils ne s’inscrivent pas dans un climat hostile ou malveillant à l’encontre du copropriétaire diffamé
o Les membres du Conseil syndical n’ont aucune immunité en matière de liberté d’expression ; ils doivent répondr des propos infamants comme n’importe quel autre copropriétaire
o Lorsque la diffamation est reconnue, le juge accorde la réparation intégrale du préjudice causé par les allégations diffamatoires : dommages et intérêts + éventuellement publication d’un communiqué judiciaire prenant la forme d’un courrier à diffuser
=> Cela étant dit, la médiation devra toujours être préférée à l'action en justice, laquelle fait toujours un vainqueur épuisé et un vaincu revanchard...
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L'ETUDE COMPLETE
Faire le choix d’acquérir son logement en copropriété, c’est accepter la « cogestion de son territoire » et s’engager à subir des « interactions sociales » bien plus importantes qu’en maison individuelle : il n’est donc guère surprenant que la copropriété constitue un terreau fertile au développement des tensions et donc des litiges, lesquels peuvent aller jusqu’à la diffusion d’allégations blessantes et vexatoires, voire stigmatisantes.
Certes, la liberté d’expression doit toujours être protégée, en particulier dans une copropriété car elle conditionne le jeu « démocratique » auquel elle doit se soumettre. Pour autant, cette liberté doit être conciliée avec le droit à l’honneur et à la considération des résidents.
Si ce principe de la limite de la liberté d’expression n’était pas contestable, il restait à savoir quel régime juridique appliquer au sein de la copropriété : droit commun de la responsabilité (article 1240 du code civil) ou droit spécifique de la loi du 29 juillet 1881 ? Cette célèbre loi sur l’interdiction d’affichage et sur les délits de presse a également défini la diffamation comme des allégations attentatoires à l’honneur et à la considération d’une personne.
Ainsi, les abus de la liberté d’expression en copropriété peuvent être réparés sur le seul fondement de la loi du 29 juillet 1881 (TGI Toulouse, 4e ch. civ., 12 nov. 2013, n° 11/03554 et Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 3 novembre 2016, 15-17.150), laquelle prévoit un régime juridique très spécifique, dont le mécanisme particulièrement complexe s’est révélé en pratique très protecteur de la liberté de la presse.
Les conséquences de ce choix jurisprudentiel sont de taille car l’application de ce droit spécifique entraîne de sérieuses difficultés de mise en œuvre (I). Pour autant, une fois les obstacles franchis, la définition de la diffamation est assez large en copropriété et la réparation du préjudice conséquente (II).
I) LE DROIT DE LA PRESSE : UN CADRE JURIDIQUE COMPLEXE QUI REND PERILLEUSE L'ACTION EN DIFFAMATION EN COPROPRIETE
Le « droit de la presse » étant considéré comme l’un des plus difficiles à mettre en œuvre judiciairement, il serait présomptueux et imprudent d’en exposer les contours précis au présent article. Nombreuses sont les difficultés procédurales qui se dressent devant le courageux plaignant qui voudrait laver son honneur en justice : délai de prescription exceptionnellement court de 3 mois, obligation de choisir entre l’injure et la diffamation, obligation d’élire domicile dans la ville où siège la juridiction saisie... Cette dernière procédure parait d'ailleurs conditionner l'accès au juge de la diffamation à des règles de recevabilité d'un formalisme excessif et porter ainsi une atteinte disproportionnée au droit au recours effectif, comme vient de le souligner le Sénateur Yves Détraigne dans une question écrite adressée au Ministère de la Justice.
Sur le fond, les difficultés ne sont pas moins nombreuses. Une d’entre elles tient à la notion de confidentialité qui fait échec à la qualification de diffamation (1.1).
Il y a lieu d’analyser aussi la notion de publicité (1.2) qui est un élément essentiel de la diffamation, disposition logique lorsque l’on se souvient que cette infraction est prévue par une loi sur la presse, mais qui peut dérouter lorsqu’on l’utilise dans le cadre de la vie quotidienne en copropriété.
Enfin, une troisième difficulté sera soulignée même si elle est commune à tous les cas de diffamation : la bonne foi peut faire obstacle à une condamnation même en présence de faits attentatoires à l’honneur (1.3).
1.1 Correspondances privées et diffamation
Les correspondances privées ont, en principe, un caractère confidentiel ; en conséquence, les imputations diffamatoires contenues dans ces correspondances et concernant une autre personne que le destinataire ne sont pas punissables comme diffamation.
Toutefois, le caractère confidentiel de la correspondance ne pourra être invoqué s’il est établi que l’auteur a lui-même souhaité que le destinataire la porte à la connaissance de tiers (Cass. crim., 25 juin 1963, n° 61-93.778, Bull. crim., 1963 N° 227). Dans le cas contraire, le destinataire est soumis à une obligation de discrétion, de sorte que, s’il divulgue son contenu de sa propre initiative, l’auteur échappe à toute incrimination (Cour de cassation, Chambre criminelle, 12 avril 2016, 14-86.176).
1.2 Communauté d’intérêts, une notion au cœur de la distinction « diffamation publique et non publique »
Comment trace-t-on en copropriété la frontière entre diffamation publique et diffamation non publique ? De jurisprudence constante, le caractère public est constitué lorsque les allégations sont diffusées à des tiers au groupement de personnes liées par une communauté d’intérêts que constituent les copropriétaires
Le choix des destinataires est donc essentiel et généralement la publicité est caractérisée par le fait d’avoir distribué un écrit diffamatoire à des locataires, étrangers à la communauté des copropriétaires (voir l’arrêt de la cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 7, 18 décembre 2019, n° 17/12690 à propos d’un « tract » distribué dans l’ensemble des boîtes aux lettres des résidents).
De même, un affichage visible de tous dans le hall d’une résidence ou dans le local des boites aux lettres entrainera la qualification de diffamation publique. À l’inverse, des propos tenus au sein d’une assemblée générale de copropriétaires relèvent de la diffamation « non publique », car, par définition, ils restent cantonnés au « groupe fermé » des copropriétaires (ou de leurs mandataires).
Cette distinction a une incidence majeure sur la procédure pénale applicable.
En effet :
- dans un cas de diffamation considérée comme « non publique », la victime devra saisir le tribunal de police et le prévenu encourra une contravention de première classe de 38 € (articles R 621-1 et 131-13 du Code pénal) ;
- dans le cas d’une diffamation reconnue publique, l’auteur s’expose à une sanction pénale délictuelle, bien plus lourde de 12.000 € (article 32 de la loi du 29 juillet 1881).
Tableau récapitulatif des différentes hypothèses
|
Correspondances |
Allégations au sein du |
Allégations diffusées à |
Exemple de |
Courriers ou courriels |
Prises de parole en |
Affichage dans le hall |
Qualification |
Pas de diffamation |
Diffamation non publique |
Diffamation publique |
Peines |
Aucune |
38 € |
12.000 € |
1.3 Atteinte à l’honneur et bonne foi
L’article 29, alinéa 1er, de la loi de 1881 définit la diffamation comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ».
En vertu d’une jurisprudence constante, la diffamation doit, pour être caractérisée, réunir plusieurs conditions cumulatives :
- il doit s’agir d’un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité ;
- l’honneur et la considération de la personne doivent s’apprécier en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse ;
- la diffamation, qui peut se présenter sous forme d’allusion ou d’insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause.
Mais lorsque ces éléments constitutifs des faits de diffamations sont réunis, l’auteur de la diffamation peut échapper à la condamnation s’il peut prouver la vérité des faits incriminés et démontrer sa bonne foi.
En effet, l’article 35 bis de la loi de 1881 dispose que : « Toute reproduction d’une imputation qui a été jugée diffamatoire sera réputée faite de mauvaise foi, sauf preuve contraire par son auteur ». L’auteur de la diffamation peut combattre cette présomption de mauvaise foi en prouvant l’absence d’animosité personnelle et la réalisation d’une enquête préalable sérieuse (Cass. Crim., 26 nov. 2019, n° 18-86.335). Ces deux conditions sont particulièrement importantes en copropriété. À titre d’exemple, si l’auteur présumé de diffamation est en conflit avec le copropriétaire concerné sur des sujets de voisinage, il lui sera plus difficile de combattre la présomption de mauvaise foi. De même, s’il donne crédit à des rumeurs sans avoir entendu la version du copropriétaire visé, sa bonne foi pourra difficilement être reconnue par les juges (voir par exemple Cour de Cassation, Chambre criminelle, du 27 avril 2004, 03-83.535).
Il reste que l’action en diffamation demeure périlleuse même s’il est possible de relever certaines applications de la loi de 1881 en faveur des plaignants...
II) A QUELLES CONDITIONS LA DIFFAMATION POURRA ETRE RETENUE EN COPROPRIETE ET QUELLE SERA LA REPARATION ?
En matière de diffamation au sein d’une copropriété, plusieurs points méritent d’être donc signalés.
2.1 Quels types d'imputation sont diffamatoires ?
En premier lieu, une diffamation pourra bien sûr être reconnue lorsqu’un copropriétaire se voit imputer des faits juridiquement répréhensibles mais aussi des agissements réguliers mais contraires à l’intérêt collectif de la copropriété. C’est le sens que peut revêtir l’arrêt du 14 janvier 2003 de la Cour de Cassation. Dans cette espèce, le prévenu, condamné en appel pour diffamation non publique, faisait notamment valoir en cassation que « l'imputation de faits que la loi autorise, comme celui d'être à l'origine d'une nouvelle convocation d'une assemblée générale de copropriétaires, pour des motifs personnels, ne saurait caractériser une atteinte à l'honneur de celui auquel ce fait est imputé ». La Cour de Cassation rejette le pourvoi (Cass. crim., 14 janv. 2003, n° 02-82.480). La circonstance que les agissements imputés ne sont pas illégaux est donc insuffisante à écarter la reconnaissance de la diffamation.
2.2 La question essentielle du contexte
En deuxième lieu, il y a lieu d’indiquer qu’il appartient aux juges du fond de relever toutes les circonstances extrinsèques qui donnent une portée diffamatoire aux propos poursuivis, même si ceux-ci ne présentent pas par eux-mêmes ce caractère, et qui sont de nature à révéler leur véritable sens (Cour de cassation - Chambre criminelle, 16 octobre 2012 / n° 11-82.866).
En matière de copropriété, le juge examinera donc attentivement le contexte dans lequel les propos ont été tenus et regardera en particulier s’ils ne s’inscrivent pas dans un climat hostile ou malveillant à l’encontre du copropriétaire diffamé.
2.3 La responsabilité du Conseil syndical
Par ailleurs, il convient de rappeler qu’eu égard à leurs fonctions, les membres du Conseil syndical sont susceptibles d’être poursuivis pour abus de leur liberté d’expression au sein de la copropriété. Concernant leur régime de responsabilité, le Conseil syndical étant dépourvu de personnalité morale, le mandat de conseiller syndical est exercé par chacun des membres du conseil à titre individuel.
Si l’exercice de ce mandat peut conduire à engager sa responsabilité, le caractère gratuit du mandat a une incidence sur les conditions d'appréciation de la faute du mandataire : le second alinéa de l'article 1992 du code civil limite en effet l'engagement de sa responsabilité aux seuls manquements contractuels qui revêtent une certaine gravité. Cette limitation de responsabilité est toutefois appliquée dans une hypothèse où le manquement invoqué du conseiller syndical porte sur sa mission « première et centrale d'assistance et de contrôle du syndic » comme vient de le rappeler le Ministère de la Justice dans une réponse ministérielle en date du 27 août 2020.
Mais lorsque le conseiller syndical outrepasse ses fonctions, il n’est plus protégé par son statut de mandataire bénévole et sa responsabilité peut être pleinement engagée, au même titre que n’importe quel autre copropriétaire. Tel est le cas lorsqu’il tient des propos diffamatoires, que ce soit à l’encontre du syndic, d’autres copropriétaires ou du gardien de l’immeuble. (CA Poitiers, 3e ch. civ. 17 janv. 2007, n° 06/01197).
2.4 la réparation du préjudice
Lorsque la diffamation est reconnue et s’il est saisi en ce sens, le juge civil comme pénal accorde la réparation intégrale du préjudice causé par les allégations diffamatoires.
En premier lieu, la réparation pourra naturellement passer par le versement de dommages et intérêts (cf. arrêt précité CA Poitiers, 3e ch. civ. 17 janv. 2007, n° 06/01197 : condamnation du Président du Conseil syndical à verser au gardien 3.800 € de dommages et intérêts).
En second lieu, la réparation du préjudice pourra prendre la forme de mesures de publication. Ainsi pourra être prévue la publication d’un communiqué judiciaire prenant la forme d’un courrier à diffuser dans les mêmes conditions que le courrier reconnu diffamatoire (TGI de Paris, 17e chambre presse - civile, 14 novembre 2012, n° 11/11165).
De même, dans l’affaire de Poitiers susmentionnée, le Président du Conseil syndical est condamné à donner lecture du dispositif du jugement lors de la prochaine assemblée générale. Cette solution mérite d’être approuvée puisque la diffamation avait elle-même été commise lors d’une assemblée générale (CA Poitiers, 3e ch. civ. 17 janv. 2007, n° 06/01197).
Ces mesures correctrices, qui s’inscrivent dans une logique de parallélisme des formes, paraissent appropriées et proportionnées à l’atteinte portée à l’honneur d’autrui, étant précisé que l’article 10.2 de la CEDH dispose que l’exercice de la liberté d’expression peut être soumise à certaines sanctions, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la protection de la réputation d’autrui.
* * *
Vivre en copropriété, c'est accepter de partager son territoire, ce qui amène nécessairement des prises de position et des débats parfois houleux entre voisins.
La liberté d’expression des copropriétaires s’arrête toutefois là où le droit à l’honneur des autres commence… Elle ne doit donc pas dégénérer en abus de droit. Nul n’est intouchable, pas mêmes les membres du Conseil syndical en dépit de leur statut protecteur de mandataire bénévole.
Il n’en demeure pas moins que le droit de la diffamation est d’une grande complexité procédurale. Ces règles, conçues pour s’appliquer aux grands médias, peuvent sembler insurmontables pour des « petits » litiges de diffamation, ce qui peut susciter bien des frustrations et donc cristalliser et pérenniser les conflits en copropriété.
Il est donc surprenant que les Modes Amiables de Règlement des Différends (MARD) ne soient pas davantage mis en avant en ce domaine. Les villages corses, confrontés à la défaillance du système judiciaire génois, l’avaient bien compris en instaurant la pratique des « Paceri », les « faiseurs de paix », qui négociaient les traités de paix de sortie de vendetta…
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