L'affaire qui m'a été confiée était la suivante :
Un dirigeant d'une société de démolition prêtait les véhicules de la société à ses employés en dehors des heures de travail, à des fins personnelles, telles que déménagements, transports divers...
Or, un samedi, des employés ont transporté des déchets avec un camion de la société et les ont déposés dans la nature.
Un témoin signale les faits aux gendarmes qui identifient le véhicule comme appartenant à la société de démolition, mais ni le conducteur ni aucun des passagers ne sont identifiés.
Le dirigeant de la société est donc convoqué par la Gendarmerie (4 mois après les faits).
Ce dernier ne pouvant que constater l'infraction et se croyant responsable de plein droit, reconnaît les faits et est renvoyé en CRPC.
Le délai écoulé ne lui permet pas d’identifier le ou les employés ayant emprunté le véhicule.
En droit de l’environnement, la considération de l’élément moral occupe une place minuscule.
Un seul texte requiert expressément l’intention du prévenu lorsque du moins il est dans la position d’un chef d’entreprise :
L’article L 541-48 du Code de l’environnement, relatif aux déchets, selon lequel l’article L 541-46 qui définit les infractions "est applicable à tous ceux qui, chargés à un titre quelconque de la direction, de la gestion ou de l’administration de toute entreprise ou établissement, ont sciemment laissé méconnaître par toute personne relevant de leur autorité ou de leur contrôle les disposition mentionnées audit article".
Cette disposition, qui remonte à la loi du 15 juillet 1975, fait un sort moins favorable aux auteurs qui ont directement et matériellement réalisé l’infraction, et elle s’explique par la crainte que nourrissait alors le législateur à l’égard de l’extension de la responsabilité des chefs d’entreprise.
Appliquer un élément intentionnel moins strictement, soit par une présomption de mauvaise foi ou une responsabilité de plein droit, apparaîtrait pour le moins injuste envers le dirigeant de société de bonne foi et qui ignore tout des infractions commises par ses employés.
La Cour de cassation rappelle systématiquement qu'elle prend bien soin de respecter cette condition d’imputabilité.
Ainsi, les infractions à la réglementation en matière de déchets ont un caractère intentionnel et non d'imprudence :
- Relaxe d'un récupérateur de déchets industriels qui ignorait que, mêlées aux matières qu'il enlevait chez ses clients, se trouvaient des huiles usagées, opération pour laquelle il faut être titulaire d'un agrément (Cass. crim., 12 janv. 1994 : Dr. env. avr.-mai 1994, n° 24, p. 26, note J.-H. Robert ; Dr. pén. 1994, comm. n° 114, obs. J.-H. Robert) ;
– La responsabilité pénale du prévenu est établie car il “était parfaitement au courant et intervenait dans les activités et l'entrepôt de déchets industriels ou d'élimination de déchets industriels”. (Cass. crim., 25 mai 1994 : Dr. env. oct.-nov. 1994, n° 27, p. 75, note J.-H. Robert ; Dr. pén. 1994, comm. n° 115, obs. J.-H. Robert) ;
– Relaxe du chef d'importation sans autorisation de déchets de soins médicaux cachés dans des balles de plastiques, dès lors qu'il n'est pas établi que la personne en connaissait l'existence (Cass. crim., 1er mars 2000 : Dr. env. 2000, n° 79, p. 6 note J.-H. Robert) ;
– La Cour de cassation a également confirmé la relaxe de deux dirigeants de sociétés : leur bonne foi est attestée par l'analyse des processus mis en œuvre par ces sociétés pour collecter et trier les verres usagés, dont le sérieux est attesté par la délivrance de certificats ISO 9002, qui démontre que la présence de déchets médicaux, évalués par l'expert à 1,49 % de la quantité prélevée, ne peut être qu'accidentelle. En outre, les différents témoins entendus lors de l'enquête ont d'ailleurs affirmé qu'ils n'avaient jamais constaté la présence de déchets hospitaliers parmi les verres ménagers et la perquisition effectuée dans les locaux des sociétés n'a pas permis de dévoiler un mélange illégal de déchets hospitaliers (Cass. crim., 15 juin 2005, n° 04-84.180, M. et A. : JurisData n° 2005-029728 : Environnement 2005, comm. 71, obs. Ph. Billet).
Ainsi, dans l'affaire qui m'occupait, aucun élément ne permettait d'affirmer que le dirigeant de la société avait lui-même participé aux faits reprochés, en était informé ou les avait ordonnés.
Il était simplement établi qu'il avait laissé des employés (non identifiables) utiliser le véhicule un samedi, en dehors des heures de travail et à des fins personnelles.
Il était également établi l'investissement financier de la société de démolition dans le recyclage des déchets et l'implication personnelle du dirigeant dans ce domaine.
L'élément intentionnel ne pouvait donc être démontré.
Il convenait donc de refuser la CRPC et de solliciter la relaxe devant le Tribunal correctionnel.
Dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation, le Tribunal correctionnel de Senlis a appliqué strictement la loi et relaxé le dirigeant de société.
Ainsi, les dirigeants de société ne peuvent que se satisfaire de la sécurité juridique qui encadre leur responsabilité pénale dans ce domaine, alors que l’environnement est devenu une préoccupation majeure et que les contrôles et les poursuites se multiplient.
D'un autre côté, on ne peut que déplorer la légèreté avec laquelle les Parquets peuvent qualifier l’infraction et renvoyer des dirigeants de sociétés devant les Tribunaux correctionnels, sans que la preuve de l'élément intentionnel ne soit établie.
Le dirigeant de société doit alors faire face à un parcours compliqué, long et stressant : être auditionné par les Services de Police ou la Gendarmerie (de préférence assisté d’un Avocat), refuser toute mesure alternative aux poursuites et plaider la relaxe devant le Tribunal correctionnel.
Sans oublier qu'il faut également faire face aux associations de défense de la nature qui se constituent partie civile et qui, malgré la noblesse incontestable de leur combat, ne montrent malheureusement que peu d'intérêt pour les principes rappelés dans cet article.