Une reconstitution de recettes est la technique mise en œuvre par l’inspecteur lors d’un contrôle fiscal si la comptabilité de votre entreprise est irrégulière ou « non probante ». Ces qualifications lui permettent en effet de procéder au rejet de votre comptabilité, première étape de vos ennuis. Inutile de vous jeter au cou de votre comptable puisqu’à de rares exceptions près, il n’y est pour rien, celui-ci enregistrant avant toute chose les chiffres que vous lui donnez.
Dans le secteur HCR (et commerces de détail), 99 % des rejets de comptabilité sont fondés sur l’absence ou le caractère non probant des justificatifs de recettes (données des caisses informatisées, Z récapitulatif, bandes journalières, double des notes clients,…).
Pour la première possibilité, l’énoncé se suffit à lui-même. Pour schématiser les enjeux de la seconde, retenez que :
- si j’ai 500 produits en stock au 01/01,
- que j’en achète 3 500 durant l’exercice comptable,
- que mes justificatifs de recettes indiquent 3 000 ventes.
Il est difficile de concevoir que le stock final au 31/12 puisse mentionner autre chose que 1 000 (à quelques unités près bien entendu). Vous me suivez ?
Hors, d’expérience, il est assez courant de constater des valeurs telles que :
- 200, la question est donc « mais où sont passés les 800 manquants ? »
- voire 1 500, et la question devient : « comment peut-on réussir à vendre un produit que l’on a pas acheté ? »
Si ce genre d’anomalies gagne en densité, l’inspecteur ne cherchera pas de réponse à ces questions car il sera parvenu à son objectif : rejeter votre comptabilité. Elle est, au cas d’espèce, insincère au fond, donc « non probante ».
Vous savez maintenant, chers lecteurs, ce qu’est une comptabilité matière et les incohérences qu’elle peut révéler… passons aux chiffres.
Afin de bien comprendre les conséquences financières d’une reconstitution de recettes pour la société vérifiée et ses dirigeants, un exemple chiffré est nécessaire : Partons de l’hypothèse d’un bar restaurant exploité sous forme d’une SARL réalisant 400 000 € de chiffre d’affaires hors taxes (CAHT) par an faisant l’objet d’un contrôle fiscal.
La société est soumise à l’impôt sur les sociétés (IS) au taux normal et est assujettie au taux unique de TVA de 10 % (taux retenu pour simplifier l’exemple. On négligera donc les ventes soumises au taux normal de TVA : vins et autres alcools).
Les justificatifs de recettes n’ont pas convaincu le vérificateur, ce qui l’amène à rejeter la comptabilité. Celui-ci procède donc à une reconstitution sur les 3 années qu’il vérifie pour confirmer (ou infirmer, ce qui est plus rare) ses doutes. Il aura recours pour cela à une méthode de reconstitution de son choix. Nous y reviendrons dans un prochain article.
A l’issue de cette besogne qui l’occupera quelques journées dans vos locaux (une bonne dizaine au bas mot), le chiffre d’affaires théorique reconstitué tombe et ressort à 480 000 € HT pour chaque année, seconde étape de vos ennuis.
Pour rappel, le nouveau chiffre d’affaires déterminé par le vérificateur se substitue à celui que l’entreprise a déclaré. Comme indiqué dans mon précédent article, il est théorique. Il n’est pas nécessairement lié à une quelconque pratique frauduleuse, mais ce sera pourtant à partir de ce nouveau chiffre que seront tirées les conséquences fiscales du contrôle. Dans notre cas, il est tout à fait possible que cette entreprise qui se voit opposer une dissimulation de recettes de 88 000 € TTC par an, n’en ait éludé en réalité que 30 000.
Voyons maintenant ce que cette histoire peut coûter …
Etape 1 : Montant des rappels d’impôt sur les sociétés (IS) : 80 000 €
CA théorique non déclaré HT : 480 000 – 400 000 = 80 000 € par an Rappel d’IS : 80 000 € X 1/3 (taux de l’IS) X 3 années.
Etape 2 : Montant des rappels de TVA : 24 000 €
CA théorique non déclaré HT : 480 000 – 400 000 = 80 000 € par an TVA sur les ventes non déclarées = 80 000 X 10 % X 3 années.
Etape 3 : Montant des pénalités : 51 600 €
Les rappels d’IS et de TVA seront assortis :
- d’une pénalité de 40 % pour manquements délibérés soit 41 600 €.
- de l’intérêt de retard égal à 4,8 % par an évalué (à la louche) à 10 000 € dans notre exemple.
Ces 3 étapes qui engendrent un coût global de plus de 150 000 € sont assez connues du public et très prévisibles … la suite, un peu moins …
Etape 4 : Distribution à l’impôt sur le revenu du bénéficiaire.
La logique des distributions tient au fait que la société et son dirigeant sont deux personnes juridiquement distinctes. La personne morale est donc sanctionnée pour ne pas avoir enregistré certaines ventes en comptabilité et la personne physique pour avoir appréhendé le produit de ces ventes sans bien entendu le déclarer (référence au billet de 100 € dont je parle dans mon précédent article).
Ainsi, et au regard d’une jurisprudence bien établie concernant « le maître de l’affaire », c’est souvent le dirigeant qui va supporter le fardeau. Le montant global de « l’ardoise » qui dépend pour partie de sa situation à l’impôt sur le revenu approche souvent le montant de la distribution elle-même (264 000 € dans l’exemple).
Les recettes TTC théoriquement omises seront donc imposées :
- à son impôt sur le revenu (en général dans les tranches de 30 à 45 % selon sa situation initiale, soit entre 80 000 € et 120 000 € pour les 3 années) ;
- aux prélèvements sociaux (au taux de 15,5 %, soit plus de 40 000 €).
En outre, le montant de ces rappels servira également de base à la pénalité de 40 % pour manquement délibéré et à l’intérêt de retard (il faudra donc rajouter près de 70 000 €).
Variante : si l’administration n’a pas de bénéficiaire avéré à imposer, elle invitera aimablement la société à le lui désigner, en application de l’article 117 du Code général des impôts (CGI). A défaut de lui fournir une réponse exploitable, l’administration mettra à sa charge une amende égale à 100 % des montants TTC (article 1759 du CGI) soit 264 000 €.
A ce stade, vous pouvez constater que les conséquences financières prises dans leur globalité dépassent le montant des recettes TTC censées avoir été dissimulées. Est-ce tout ? Il est probable que non ...
Etape 5 : Poursuites pénales
Si le montant des impôts et taxes éludé est important (ce qui est le cas dans cet exemple), l’administration pourra, après avoir obtenu un avis favorable de la commission des infractions fiscales, déposer plainte pour fraude fiscale contre le représentant légal de la société auprès du procureur de la république.
La procédure pénale est complètement indépendante de la procédure administrative relatée ci-dessus. Celle-ci peut être menée alors même que les recours offerts pour la vérification fiscale ne sont pas épuisés. Par ailleurs, qu’elle conduise à une condamnation ou à une relaxe du prévenu, cela ne fera pas obstacle à ce que la procédure fiscale aille à son terme (poursuites en recouvrement en cas de défaut de paiement des débiteurs de l’impôt).
Enfin, remarque d’importance, l’administration se constituant la plupart du temps partie civile, le dirigeant, s’il est condamné pénalement, pourra également être tenu solidairement au paiement des impôts, taxes et pénalités mis à charge de la société en application de l’article 1745 du CGI. Ces biens personnels deviendront donc potentiellement saisissables.
En conclusion…
Après avoir exposé un tel marasme, il serait dommage de ne pas évoquer la partie défense dans ce genre de procédure. Cette défense, je le martèle, doit s’organiser de préférence comme le prélèvement de vos futurs impôts : à la source … comprenez, dès les interventions du vérificateur dans votre société. C’est à ce stade que vous allez donner la plupart des informations venant nourrir le rejet de comptabilité et la reconstitution ... en général sans le savoir. Ces informations conditionnent largement la solidité ou la légèreté de ce travail ... et donc corrélativement, l’efficience de la défense mise en œuvre par votre conseil à la suite ... Il est donc dans votre intérêt de vous faire assister en amont.
En tout état de cause, dans ce genre de procédure, si la défense peut s’organiser à tout moment, les chances d’inverser la tendance s’amenuisent drastiquement avec son degré d’avancement.
Me David PHILIPPE
Avocat au barreau de Châlons-en-Champagne
Ancien inspecteur des impôts
Mail : avocat.dp@gmail.com
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