I. RAPPEL SUR LA GARANTIE DECENNALE
Toute personne (physique ou morale), dont la responsabilité décennale peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du Code civil à propos de travaux du bâtiment, doit être couverte par une assurance.
La garantie décennale couvre les désordres intervenus après la réception des ouvrages (à l'inverse de l'assurance "tous risques chantiers" concernant les désordres subis par l'ouvrage pendant la construction).
La responsabilité décennale est définie à l'article 1792 du Code civil.
Aux termes de l'article 1792-2 du Code civil, la présomption de responsabilité s'applique aux dommages qui affectent la solidité des éléments d'équipement d'un ouvrage. Mais une condition doit être respectée : les éléments d'équipements doivent faire indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert.
Un élément d'équipement forme indissociablement corps avec l'un des ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert, lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement s'effectue avec détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage.
Conformément à l'article 1792-3, les éléments d'équipement qui ne forment pas indissociablement corps avec l'ouvrage font l'objet d'une garantie de bon fonctionnement d'une durée minimale de deux ans à compter de leur réception.
II. LES FAITS
Un syndicat des copropriétaires confie la réalisation de travaux de ravalement à une société. Les travaux sont réceptionnés, mais des infiltrations d'eau apparaissent dans un appartement.
Le syndicat des copropriétaires assigne alors l’entreprise et son assureur aux fins d’indemnisation.
Un expert attribue la cause des désordres à une non-conformité aux prescriptions imposées par l'enduit, à l'absence de grillage ou armature Toll-otherm indispensable contre la fissuration du support, les fissures constatées étant infiltrantes, et à un défaut de surveillance.
III. POSITION DE LA COUR D'APPEL D'AIX EN PROVENCE
Devant la cour d'appel, l'assureur soutient que le ravalement échapperait à l'application de l'article 1792 du code civil en ce qu'il ne serait pas un ouvrage.
Par un arrêt du 2 juillet 2020 (RG n° 18/14801), La cour d'appel conteste cette appréciation, au motif que la prestation commandée consistait en l'élimination des enduits existants et la réfection des enduits au mortier de chaux.
Les travaux de réfection totale d'un enduit de façade ont une fonction esthétique et d'étanchéité, ce qui implique qu'il constitue un ouvrage soumis à la garantie décennale.
L’assureur se pourvoie en cassation, maintenant que les travaux de ravalement ne sont pas constitutifs d’un ouvrage et que l’assurance décennale n'est pas obligatoire pour les ouvrages existants avant l'ouverture du chantier, à l'exception de ceux qui, totalement incorporés dans l'ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles.
IV. POSITION DE LA COUR DE CASSATION
La Cour de cassation rappelle que l’appréciation de la qualification d’ouvrage est une question de fait qui relève de la libre appréciation des juges du fond.
En effet, la Cour de cassation contrôle uniquement si le droit a été correctement appliqué.
De fait, selon la Cour, les juges d'appel ayant constaté que les travaux de ravalement avaient une fonction d’étanchéité, ces derniers participent donc à la réalisation d’un ouvrage au sens de l’article 1792 du Code civil.
Rien de nouveau.
En revanche, sur l’obligation d’assurance, la Cour de cassation censure les juges juges d'appel.
La cour de cassation rappelle que selon l’article L. 243-1-1-II du Code des assurances, l'obligation d'assurance décennale ne s'applique pas aux ouvrages existants avant l'ouverture du chantier, à l'exception de ceux qui, totalement incorporés dans l'ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles.
Or, un enduit de façade est techniquement divisible de l’ouvrage existant sur lequel il est posé.
De fait, l'assureur décennal n'avait pas à apporter sa garantie.
V. BREF PRINCIPE A RETENIR
La garantie de l'assureur en responsabilité décennale ne s'étend pas aux existants qui ne sont pas les ouvrages à la réalisation desquels l'entrepreneur a contribué, sauf si l'ouvrage de l'entrepreneur devient indissociable de l'existant.
En l'espèce la face intérieure des murs périphériques de l'immeuble a été touchée suite à des travaux d'enduit réalisés dans l'irrespect des règles de l'art.
Si l'enduit avait fait bloc avec la façade, au point que lors de la réfection de celle-ci, elle aurait été arrachée, la décennale aurait joué.
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Me Grégory ROULAND - avocat au Barreau de PARIS
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