I. RAPPEL
L’article 1792 du Code civil conditionne la mise en jeu de la responsabilité civile décennale des constructeurs et donc la mobilisation de leur assurance décennale, en cas de désordre affectant un ouvrage :
"Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère."
La qualification d’ouvrage des installations photovoltaïques n’est pas évidente. Ces dernières sont souvent des travaux sur existants, non forcément incorporée à une toiture et donc en surimposition, mais on peut trouver des installations photovoltaïques fixées au sol.
Toutes ces hypothèses montrent qu'une installation photovoltaïque ne permet pas de mettre d'office en jeu la responsabilité décennale du maître d'oeuvre.
L’arrêt rapporté en est une preuve supplémentaire, mais la jurisprudence s'adapte aux évolutions constructives.
II. RESUME DES FAITS
Une société confie à un constructeur, désormais en liquidation judiciaire, l’installation, en toiture d’un bâtiment, de panneaux photovoltaïques. Un après la réception des travaux, divers incidents surviennent jusqu'à l’arrêt total de l’installation, provoquée par un défaut sériel affectant les boîtiers de connexion.
III. PROCEDURE ET POSITION DES JUGES D'APPEL
La Cour d’appel de Pau (23 mars 2021, n° 19/02378) applique l’article 1792-7 du Code civil :
"Ne sont pas considérés comme des éléments d'équipement d'un ouvrage au sens des articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 1792-4 les éléments d'équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l'exercice d'une activité professionnelle dans l'ouvrage."
Elle déclare que malgré l’impropriété à la destination de l’installation de production d’électricité, et en l’absence d’atteinte à la fonction d’ouvrage de couverture, la présomption de responsabilité doit être écartée.
En effet, la mise en place d’une nouvelle couverture sur l’immeuble composée de panneaux photovoltaïques (fixés sur des bacs-acier et supportés par les pannes de la charpente) participe de la réalisation de l’ouvrage global : en clair les panneaux font corps avec l'immeuble.
MAIS les panneaux constituent un élément d’équipement dont le vice n’a affecté que la production industrielle d’énergie : la panne n'a donc atteint la solidité et la destination de l’ouvrage.
Plus clairement, les panneaux photovoltaïques constituent un élément d’équipement mais leur panne n’affectant que la production d’énergie sans porter atteinte à la solidité et à la destination de l’ouvrage, la mise en jeu de la garantie décennale doit être exclue :
"Malgré l'impropriété à la destination de l'installation de production d'électricité, et en l'absence d'atteinte à la fonction d'ouvrage de couverture, la présomption de responsabilité décennale doit être écartée par application de l'article 1792-7 du code civil ; l'article 1147 du code civil est seul applicable à la réparation du dommage litigieux.
Le vice caché affectant un ensemble d'éléments d'équipements, dissociables ou non, qui a pour conséquence que ces éléments ne peuvent satisfaire ensemble la destination exclusivement industrielle pour laquelle ils ont été mis en place et pour lequel l'ouvrage qui les supporte a été construit, ne constitue pas un fait générateur de garantie décennale des constructeurs quand cette défaillance n'a pas pour conséquence de porter aussi atteinte à la solidité et à la destination de l'ouvrage immobilier modifié en exécution du même marché pour réaliser l'installation industrielle.
En application de l'article 1792-7 du code civil, l'installation industrielle elle-même échappe à l'application des articles 1792 à 1792-6 du code civil. La réparation n'est pas due au titre de la responsabilité légale décennale mais au titre de la responsabilité contractuelle de droit commun encourue par l'installateur constructeur."
Ainsi, la cour d’appel écarte l’application de la responsabilité décennale des constructeurs au profit du droit commun.
Le raisonnement est osé... mais non partagé par la Cour de cassation.
IV. CENSURE DE LA COUR DE CASSATION
En premier lieu, elle reproche à la Cour d'appel d'avoir opéré une mauvaise application des articles 1792 et 1792-7 du code civil, car elle a retenu que les panneaux photovoltaïques constituaient un élément d’équipement et qu'ils participaient de la réalisation de l’ouvrage de couverture dans son ensemble en assurant une fonction de clos, de couvert et d’étanchéité du bâtiment.
En second lieu, le risque avéré d’incendie de la couverture d’un bâtiment le rendait impropre à sa destination.
De fait, l'application de l'article 1792 s'imposait !
Dès lors que les panneaux photovoltaïques assurent une fonction de clos, de couvert et d’étanchéité du bâtiment (et donc remplacent les tuiles) ils font partie intégrante de la toiture. Ils sont un de ses éléments d'équipement.
La cour de cassation aurait-elle pu statuer autrement si les panneaux avaient été en surimposition de toiture ?
On en doute, car la Cour d’appel de Bordeaux (1er avril 2021, n° 17/06761), validé par la cour de cassation (Cass. civ. 3, 29 juin 2022, n° 21-17.919), a indiqué que l’installation de panneaux photovoltaïques en toiture, destinée à produire de l’électricité, doit être qualifiée d’ouvrage au sens de l’article 1792 du Code civil :
"L'installation de panneaux photovoltaïques en toiture, destinés à produire de l'électricité doit être qualifiée d'ouvrage au sens de l'article 1792 du code civil. Cette installation a fait l'objet d'une réception sans réserve."
Dans cette même affaire, les juges relèvent que l’incendie trouvant son origine dans l’activité du constructeur, ce dernier est présumé responsable et ne peut s’exonérer que par la preuve d’une cause étrangère.
C'est désormais clair : le panneau photovoltaïque est un ouvrage soumis à garantie décennale.
Me Grégory ROULAND - avocat au Barreau de PARIS
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