I. LES FAITS
Une expertise permet de mettre en exergue que :
- l'absence de raccordement des tuyaux d'évents destinés à évacuer les odeurs de la fosse septique de l'immeuble provoque des odeurs insupportables présentant un danger pour la santé des occupants
- et l'absence d'écran sous toiture pouvait provoquer, en cas de vent violent, des chutes de tuiles sur les occupants, ainsi que des entrées d'eau.
L'expert ayant conclu que l'immeuble était rendu impropre à sa destination, le syndicat des copropriétaires assigne alors son assureur dommages-ouvrage en réparation de ses dommages sur le fondement de la garantie décennale.
Se plaignant de désordres affectant les bâtiments d'une résidence réalisée par une société, le syndicat des copropriétaires assigna, après expertise, celle-ci en réparation, ainsi que l’assureur dommages-ouvrage, en indemnisation.
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II. PROCEDURE
Le syndicat des copropriétaires obtient gain de cause devant le tribunal
La Cour d'appel infirme le jugement, au motif que la réception étant intervenue le 31 juillet 2004, le risque pour la santé et la sécurité des occupants résultant de l'absence de raccordement des évents ne s'était pas concrétisé à la date de l'expertise.
Le syndicat des copropriétaires se pourvoit en cassation, arguant que l'ouvrage était affecté de désordres apparus dans les 10 ans de la réception lesquels, faisant courir des risques aux occupants, le rendaient nécessairement impropre à sa destination, peu importe que ces risques ne se soient pas encore concrétisés.
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III. PROBLEMATIQUE
Il est demandé à la Cour de cassation de savoir si constitue un dommage décennal le risque sanitaire provoqué par un défaut de raccordement des évents dans une résidence, alors même qu’il ne s’est pas concrétisé dans le délai décennal.
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IV. RAPPEL DE LA REGLE DE DROIT
Donne lieu à responsabilité décennale, les dommages même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination (art. 1792 du Code civil).
Les hypothèses relatives à l’atteinte à la destination sont variées et la présente affaire vient ajouter un exemple supplémentaire.
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V. DECISION DE LAÂ COUR DE CASSATION
La Cour de cassation infirme l'arrêt d'appel au motif que :
- l'assurance dommages-ouvrage garantit notamment les dommages qui, affectant l'ouvrage dans un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination dans le délai d'épreuve de 10 ans courant à compter de la réception (art. 1792 du Code civil et art. L. 242-1 du Code des assurances) ;
- l'expert ayant relevé que l'absence de raccordement des évents provoquait des odeurs nauséabondes présentant un danger pour la santé des personnes, le risque sanitaire lié aux nuisances olfactives rendait, en lui-même, l'ouvrage impropre à sa destination durant le délai d'épreuve.
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VI. QUE RETENIR DE CETTE AFFAIRE ?
La solution n'est pas nouvelle, car la Cour de cassation a déjà considéré que les odeurs pestilentielles relèvent de la garantie décennale (Civ. 3e, 29 oct. 2015, n° 14-20.133).
En revanche, la Cour de cassation ajoute un élément : les odeurs pestilentielles portant atteinte à la santé des personnes relèvent de la garantie décennale.
Pour débouter le syndicat des copropriétaires de leur demande d’indemnisation formée à l’encontre de leur assureur dommages-ouvrage, la cour d’appel avait retenu que l’absence de raccordement des évents était apparente à la date de la réception.
Autrement dit, les juges d'appel ont écarté la garantie décennale en en s'appuyant sur la théorie des dommages futurs, selon laquelle un dommage de gravité insuffisante, dénoncé dans le délai décennal et dont on peut techniquement certifier qu’il atteindra inéluctablement le degré de gravité décennal avant l’expiration des dix ans (Civ. 3e, 29 janv. 2003, n° 00-21091).
De fait, la Cour de cassation a sanctionné les juges d'appel pour mauvaise application des articles 1792 et 1792-6 du Code civil et L. 242-1 du Code des assurances. Les juges d'appel auraient dû rechercher, comme il le leur était demandé, si les nuisances olfactives provoquées par l’absence de raccordement des colonnes d’eaux usées à des évents extérieurs ne s’étaient pas manifestées que postérieurement à la réception.
Cette solution est conforme à la jurisprudence aux termes de laquelle pour qu’un désordre soit considéré comme apparent, il faut qu’il ait été connu par le maitre de l’ouvrage lors de la réception des travaux (Cass. 3e civ., 19 mars 1986, n° 84-13.201), notamment dans son ampleur et ses conséquences (Cass. 3e civ., 24 févr. 2009, n° 07-20.619).
Effectivement, l'assurance dommages-ouvrage garantit les dommages qui, affectant l'ouvrage dans un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination dans le délai de 10 ans courant à compter de la réception.
En l’espèce, le défaut de raccordement des évents, provoquant des nuisances olfactives importantes, constituait un risque avéré pour la santé des occupants de la copropriété. Dès lors, l’impropriété à la destination était caractérisée dans le délai de 10 ans, la garantie de l’assureur devait jouer.
Finalement, là où il y a danger pour la santé, il y a lieu à garantie à décennale.