Le 29 juin 2015, plusieurs prévenus étaient poursuivis devant la 12ème Chambre du Tribunal Correctionnel pour l’utilisation du logiciel frauduleux « Blackshades » qui permet de prendre contrôle à distance de l’ordinateur d’un tiers.
Dans le cadre de cette affaire qui faisait suite à une vaste enquête internationale initiée par le FBI, les prévenus, la plupart jeunes et primo délinquants avaient des mobiles différents.
Les chefs de préventions retenaient l’atteinte, l’accès et le maintien frauduleux dans un Système de traitement automatisé de données (STAD pour les intimes – articles 323-1 et suivants du Code pénal), mais également diverses autres infractions (atteinte à la vie privée, usurpation d’identité, vol ...).
De fait, certains prévenus utilisaient le logiciel par curiosité « geek » ou fascination pour l’espionnage, d’autres tentaient de dérober des fichiers de tiers, et enfin certains exploitaient le logiciel pour regarder des jeunes filles nues au travers leur webcam piratée …
La jeune personne dont j’assurais la défense, Monsieur ZZZ, avait subtilisé des gains virtuels (épées et pouvoirs) dans le cadre du jeu vidéo de plateforme DOFUS … .
Notre client était donc poursuivi nottament pour des faits qualifiés par le parquet de vol (article 311-1 et suivants du Code pénal), suite aux gains virtuels dérobés dans le cadre d’un jeu vidéo.
Nous déposions et plaidions des conclusions aux fins de relaxes sur l’infraction de vol.
Suivi par le Tribunal, Monsieur ZZZ, était relaxé, alors même que la tendance prétorienne est d’aller dans le sens d’une interprétation extensive de l’infraction de vol de données (cass 20 mai 2015 - Affaire Bluetouff).
En substance, notre raisonnement démontrait :
Que selon l’article 111-4 du Code pénal « La loi pénale est d'interprétation stricte ».
Que selon l’article L311-1, le vol est « la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui ».
Qu’en l’espèce, il n’y avait eu aucune soustraction frauduleuse de la chose d’autrui.
Qu’en effet, Monsieur ZZZ avait mis au point un programme destiné à faire croire à d’autres joueurs qu’il pouvait générer de la monnaie virtuelle dans le jeu DOFUS afin que ces derniers téléchargent un logiciel lui permettant d’accéder à leur compte de joueur.
Qu’il était ainsi reproché à Monsieur ZZZ d’avoir accédé au compte d’autres joueurs afin de leur soustraire des objets et récompenses virtuels de leurs personnages virtuals (avatars) pour améliorer son propre avatar.
Que la matérialité des objets virtuels appartenant à l’avatar des joueurs n’existe pas au-delà du jeu, de sorte qu’aucune « chose » (bien réel et matériel) n’a été soustraite.
Qu’il n’est d’ailleurs à aucun moment démontré en quoi la « victime » aurait subi un préjudice de dépossession dans la vie réelle.
Qu’en tout état de cause, d’un point de vue juridique, les objets soustraits n’appartiennent pas aux joueurs prétendument victimes au titre de la prévention pour laquelle Monsieur ZZZ était renvoyé devant le tribunal de céans.
Qu’en effet les Conditions Générales du Jeu de Dofus (http://www.dofus.com/fr/cgu) précisent dans l’article 5.4.
« Objets en jeu et Kamas
- 5.4.5 Les droits d’utilisation des Objets en jeu et des Kamas sont associés à votre Compte. Vous reconnaissez que les Objets en jeu et les Kamas sont et restent la propriété exclusive de la Société. La remise de l’Objet en jeu et des Kamas par la Société est strictement personnelle et limitée à l’expérience de jeu dans DOFUS et WAKFU. La Société vous transmet exclusivement un droit d’utilisation sur les Kamas et cet Objet en jeu, il ne s’agit pas d’un transfert de propriété, ce que Vous reconnaissez expressément. […]
- 5.4.6 Vous reconnaissez que les Objets en jeu et les Kamas n’ont aucune valeur financière dans le monde réel. Il est strictement interdit de les échanger contre de l’argent réel. D’une manière générale, le prêt, le partage, l'échange, le don, l'achat, le transfert et la vente d’Objets en jeu et de Kamas, en dehors des Jeux eux-mêmes et de leurs règles, sont strictement interdits et pourront donner lieu à des sanctions sur votre Compte.
- 5.4.7 La Société peut à tout moment modifier les caractéristiques des Objets en jeu, notamment dans un souci d’équilibrage, sans qu’aucun remboursement ne vous soit du. »
Que dès lors, les récompenses et gains n’appartenaient donc en aucun cas aux joueurs prétendument victimes et visés par la prévention. La société Ankama, éditrice du jeu étant l’exclusive et unique propriétaire des objets virtuels qu’elle émet ou peut modifier librement à tout moment dans le jeu.
Que la société restait donc la seule et unique propriétaire quand bien même les participants décideraient de modifier, s’échanger ou se revendre ces récompenses, ce qui a été le cas en l’espèce.
Qu’ainsi, aucune « chose » n’a été soustraite et a fortiori aux participants du jeu, puisque les « objets » et « récompenses » du jeu ne leur appartenaient pas et ces participant n’en avaient pas la propriété au sens juridique.
Le tribunal prononçait donc fort logiquement une relaxe.
Il aurait sans doute été différent si dans la prévention, le parquet avait visé l’article 323-3 du Code pénal modifié, qui depuis la loi n°2014-1353 du 13 novembre 2014, renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme permet de réprimer le fait « d’extraire, de détenir, de reproduire, de transmettre » frauduleusement des données.
Cette question du vol de gains virtuels fera certainement l’objet d’autres décisions, à l’avenir, la virtualité étant amenée à devenir toujours plus réelle (bitcoin).
De surcroît, les frontières sont de plus en plus floues entre l’univers du jeu et la vie réelle ce qui peut accroitre la confusion pour les joueurs et la complexité juridique des cas. En effet, bien souvent les joueurs sont invités à piller, ou tuer, voir même à s’exercer au terrorisme comme dans Counter Strike. Ce comportement virtuel n’est évidemment pas répréhensible. Néanmoins, pour d’autres prévenus poursuivis dans la même affaire, il a été jugé qu’utiliser Blackshades dans le cadre de Counter Strike pour espionner la stratégie des adversaires est un comportement délictuel … la déloyauté de la guerre « ludique » devant rester confinée aux règles du jeu …
Pour contacter Me Henri de la Motte Rouge