Quel avenir pour la Défense pénale ?
Voici le titre prometteur de la conférence à laquelle j'ai pu assister samedi 14 octobre, à la Maison du Barreau, avec quatre étudiants de mon équipe : May, Emilie, Francesca et Robin. Disons-le d'emblée, c'était fantastique ! Non, mieux pour reprendre l'expression de l'un d'entre eux c'était oufissime !!!
Sur les colloques, je n'ai pas le compliment facile. En effet, j'ai assisté et participé à de nombreuses conférences. Il y a les conférenciers qui s'écoutent, ceux qui endorment l'auditoire et parfois quelques bonnes surprises. Mais là, je dois dire que j'étais ravi de me lever samedi matin.
C'est Me Christian Saint-Palais qui a adressé quelques mots de bienvenue au public présent en son nom et en celui de l'ADAP. Il a bien évidemment rendu hommage aux pénalistes disparus ces dernières années et a rappelé le rôle essentiel de la Défense pénale et a glissé non sans malice qu'avant s'il devait se présenter, il disait "je défends les voyous", désormais, il doit dire "je fais le même métier qu'Henri Leclerc".
Ensuite, Me Henri Leclerc, auteur de l'ouvrage "la parole et l'action" a pris la parole et son intervention a été absolument impressionnante. Il a rappelé de quoi se composait la plaidoirie : inquisition, disposition et élocution et son profil d'avocat et de militant. En quelques phrases, il a simplement rappelé les effets des différentes réformes sur la Défense pénale, qu'il s'agisse de la première décision du Conseil constitutionnel fondée sur la défense et du déplacement du centre de gravité de la phase préliminaire en amont suite à l'adoption de la réforme de 1897 qui a fait entrer l'avocat dans les cabinets d'instruction et a ainsi favorisé le développement de la garde à vue. Les références aux grands auteurs (Pascal, Ripert) se sont succédées et certaines des phrases prononcées resteront en mémoire "la force doit être juste, car la justice n'a pas réussi à être forte" - "nous défendons le criminel, non le crime". Il a notamment évoqué le "statisme judiciaire", la justice restant parfois immuable, malgré les réformes. A l'issue de cette prise de parole, les applaudissements nourris se sont vite transformés en une standing ovation...
Le premier thème de la journée était "défendre les libertés dans un monde terrorisé". La pratique de la Défense pénale a été rappelée par une secrétaire de la conférence avant que le projet de loi de lutte contre le terrorisme ne soit présenté par la présidente de la Commission des lois et critiqué par l'intervention d'une universitaire spécialisée dans l'analyse des juridictions d'exception. Vanessa Codaccioni a ainsi mis en évidence que lorsque des dispositions exceptionnelles étaient adoptées pour lutter contre telle ou telle nouvelle forme de criminalité, elles étaient ensuite utilisées pour lutter contre le crime sous toutes ses formes. L'effet est finalement d'exceptionnaliser le droit commun. Les échanges avec le public ont ensuite été vifs et passionnants. Au-delà même de ces échanges, ils ont suscité une vive discussion au sein de notre petit groupe composé de pénalistes, d'une processualiste et d'un publiciste (oui je sais, mais il est quand même sympathique). En effet, le souci essentiel n'est peut-être pas cette loi même qui a le mérite de faire sortir la France de l'état d'urgence, mais sa combinaison avec toutes celles qui l'ont précédées qui ont conduit à une criminalisation croissante d'agissements préparatoires, à l'adoption d'une procédure totalement dérogatoire et à une confusion croissante entre répression et prévention. Ce thème a été conclu par Me Leclerc qui s'est exprimé non en tant qu'avocat mais que militant. Splendide !!!
Le second thème était "défendre les hommes dans un monde technologisé". Après une présentation des différents moyens techniques pour faciliter la tenue des audiences grâce à la technologie et notamment la visioconférence, Maître Mô avec tout l'humour et la profondeur qu'on lui connaît est revenu sur quelques avatars et quelques effets pervers de l'utilisation de ces moyens technologiques qui, notamment, en raison de la vision globale limitée qu'ils offrent, conduisent à une déconnexion totale entre le témoin ou l'expert auditionné sous visioconférence et la réception de celle-ci par la juridiction. Plus encore, les justiciables ne se rendent pas nécessairement compte de l'effectivité de tels dispositifs; Il faut savoir renoncer à ce type d'évolution technologique. Finalement, "l'humain ça ne se négocie pas". La conclusion de Me Leclerc a été poignante, vibrante et toute son émotion s'est propagée à l'auditorium qui l'a acclamé, debout, pendant de longues minutes !
Après ce moment inoubliable, j'ai longuement discuté avec mes étudiants. Ils étaient ravis. Ils m'ont confié avoir beaucoup appris lors de cette journée, eux qui vont devoir prochainement rédiger un mémoire sur des thématiques proches ou passer le GrandO du CRFPA. Pour ma part, outre le plaisir intellectuel de cette journée et le bonheur de voir ou de revoir des parrains et des marraines du Penal Trophy, je dois avouer être rentré chez moi, mi-énervé mi-agacé. Comment est-il possible que nos universités n'accueillent pas davantage de tels évènements ? Les échanges sur le terrorisme, par exemple. Comment traiter de cette question sans inclure toute la dimension pratique de la lutte contre celui-ci ? Pourquoi, tous ces brillants orateurs ne sont-ils pas présents plus fréquemment dans nos enceintes académiques ? Et enfin, dernière remarque : pour les quelques misogynes qui continuent d'estimer que les bons pénalistes ne sont que des hommes : venez voir comment Me Corinne Dreyfus-Schmidt mène un débat consacré au terrorisme... vous serez ébahis !!!
Pour conclure, je reprendrai fièrement la formule de Me Delphine Boesel, sur twitter, j'y étais !!!