L'étude des économies d'échelle (ci-après « EE ») a été, ces deux dernières décennies, au cœur du développement des théories libérales, micro et macro économiques, dans le domaine de l’organisation industrielle. Ce domaine est une branche de l'économie qui étudie l'ensemble des arrangements institutionnels permettant la mise en œuvre de la production et l'échange de biens et de services . Dans un sens plus restreint, l'économie des organisations consiste dans l'étude de l'organisation comme entité économique spécifique, l'entreprise étant l'organisation analysée de manière privilégiée.
L’analyse des EE connaît aujourd’hui un renouveau dans un tout autre contexte, celui de la modélisation des structures de marchés dits complexes, autrement dit des marchés anciennement monopolistiques ouverts au libre jeu de la concurrence, en l’occurrence les secteurs d’industrie de réseaux (télécommunications, gaz, électricité, transport, audiovisuel, etc.). Dans ce nouveau contexte économique, les EE constituent un paramètre déterminant sur l’évolution structurelle d’un secteur. Elles ont une influence déterminante sur le nombre des entreprises présentes, sur leurs comportements opportunistes ou prédateurs, et donc sur l’équilibre concurrentiel. Elles ont aussi une influence directe et indirecte sur la performance du secteur entier car elles touchent à l’analyse de la concentration sectorielle.
Il convient à cet égard de montrer que l’existence d’une diminution des coûts unitaires et l’existence d’une taille optimale influence largement les stratégies et participent à l’explication des structures industrielles. Selon l’auteur, les stratégies de concentration des entreprises et leurs développements sur les marchés concurrentiels, sont justifiés par les EE qui constituent une barrière à l’entrée pour les concurrents potentiels, notamment par la protection de la position des entreprises existantes. Les EE permettent également de comprendre les phénomènes liés à l’organisation des systèmes de production et donc à la structure même des entreprises. Il s'agit ainsi de faire un rapprochement entre la taille de l’entreprise (celle-ci pouvant s’agrandir par le biais d’une fusion/acquisition) et la concentration du marché.
Mais il faut faire attention à ne pas tout expliquer par les EE, d’autant plus que les données empiriques sur les EE demeurent difficilement saisissables. Leur impact sur la structure des marchés est pourtant indéniable. C’est pourquoi le présent document est le résultat d’une enquête sur l’évaluation empirique des phénomènes du monde économique réel. Ce travail s’articule autour de plusieurs points : la classification des différents types de EE (I) et leurs implications pratiques (II).
I.- La classification des EE :.
Les EE ont un impact sur les agissements d’une entreprise dans un secteur donné et sur la concurrence au sein d’un marché. Elles interviennent à divers niveaux, au niveau de l’entreprise (EE internes) et au niveau du secteur et de la région (EE externes).
A) Les économies d’échelle internes :
Les économies d’échelles internes (ci-après « EEI ») résultent des avantages procurés par la taille de l’entreprise au niveau de la gestion de son activité et de sa production. Elles découlent de l’action d’un seul agent économique et ont plusieurs sources :
1) La division du travail permet à l’entreprise de réaliser des EEI avec notamment la mise en place de chaînes de production automatisées (qui permettent d’augmenter le volume de fabrication tout en diminuant les coûts unitaires de production).
2) L’amélioration de la planification (partage du temps de travail, informatisation, etc…) permet également la réalisation de telles économies.
3) La réalisation de EEI peut également être faite au niveau de l’apprentissage et du marketing où une équipe plus importante permettra d’avoir plus d’idées originales et de bénéficier d’un champ d’expérience plus grand, limitant ainsi les erreurs qui pourraient être faites au cours de l’exécution d’une tâche.
4) Les avantages liés à la recherche et au développement produiront à terme des EEI, car une entreprise dotée de plusieurs chercheurs avancera certainement plus rapidement qu’une entreprise ne disposant que d’un seul chercheur.
Partant de ce constat, Karsten Junius fait remarquer que les EEI répondent à deux logiques, une logique statique et une logique dynamique.
Les EEI statiques permettent une réduction des coûts unitaires par une augmentation de la production à un moment t donné : l’élasticité des coûts par rapport à la production est alors inférieure à un. Les coûts unitaires diminuent au moment t à cause d’une baisse des coûts marginaux ou à cause de l’existence des coûts fixes de production.
Les EEI dynamiques mettent en rapport la diminution des coûts unitaires avec l’augmentation de la production cumulée : l’auteur parle des « effets d’apprentissage ». L’accroissement de la production d’une entreprise conduit à une hausse de la productivité par un apprentissage de qualité, tel que par exemple l’apprentissage des méthodes de productions plus rapides pour un même temps de travail. Les autres sources sont liées à la répartition d’autres coûts (coûts des brevets, de recherche et de développement, de construction d’usines, etc..). Les EEI dynamiques peuvent également provenir d’améliorations des structures organisationnelles, d’améliorations technologiques, de la capacité des employés à mieux travailler. Elles sont indépendantes des coûts fixes de production.
B) Les économies d’échelle externes :
Les économies d’échelle externes (ci-après « EEE ») sont constituées par tous les avantages qu’une entreprise tire du pouvoir de marché qu’elle exerce sur son environnement concurrentiel. Elles découlent, de ce fait, de l’action de plusieurs agents économiques. Ainsi par exemple, si la concurrence est mal organisée, une entreprise de grande taille qui serait en position dominante ou qui aurait une situation de monopole ou de leader pourrait jouir du pouvoir de fixer abusivement les prix sur le marché, portant ainsi atteinte à la concurrence. La notion d’EEE lie ainsi fortement la référence à la taille de l’entreprise et la référence au « pouvoir de monopole ». Les EEE sont encore plus présentes au niveau de la publicité. Les campagnes promotionnelles demandent un budget assez important qui pourra être mieux absorbé par de grandes entreprises que par des petites. La distribution des produits promus pourra également être faite en utilisant un réseau commercialisant déjà d’autres produits de l’entreprise (de même gamme ou d’une autre gamme). Enfin, une entreprise de grande taille pourra être un interlocuteur privilégié dans ses relations avec les pouvoirs publics et bénéficier ainsi d’une aide d’État que les autres n’auront pas forcément. Elle pourra aussi attirer une main d’œuvre qualifiée ou hautement qualifiée, réduisant ainsi à terme ses coûts de formation.
Sur la base de ce qui précède, il convient de distinguer deux types d’EEE : les économies statiques et les économies dynamiques.
Les EEE statiques prévalent lorsque le coût unitaire d'une entreprise se réduit suite à une augmentation de la production des autres entreprises (l'élasticité du coût unitaire d'une entreprise par rapport à ceux du secteur ou d'une région est inférieure à un). Si l'origine de ces externalités se trouve au niveau du secteur, les économies externes portent le nom d'« économies de localisation ». Ce sont par exemple la mise à disposition de fournisseurs plus spécialisés, de main d'oeuvre mieux formée sur le marché du travail, etc… Si les origines des économies externes se trouvent au niveau de la région géographique dans laquelle se situe l'entreprise, on parle alors d'« externalisations urbaines ». Le coût unitaire d'une entreprise diminue avec la production de toutes les entreprises de la région, c'est par exemple la proximité des consommateurs (qui réduit les coûts de transports, les coûts de marketing,…).
Les EEE dynamiques dépendent du taux de croissance d'un secteur. Karsten Junius rappelle, à ce sujet, l’existence d’une divergence d’appréciation au sein de la doctrine économique. Ainsi, Marshall (1961) pense que la plupart des échanges de savoirs et d'apprentissages se font à l'intérieur du secteur dans lequel évolue l'entreprise alors que Jacobs (1984) pense qu'elles proviennent plutôt de l'extérieur du secteur. Si les économies d'échelle externes sont internes à un secteur, on les nomme externalités marshalliennes (EExMAR) et si elles sont externes au secteur, on les nomme externalités jacobiennes (EExJAC).
Souvent, la littérature ne distingue pas clairement les EEE statiques des EEE dynamiques, alors même que les EExMAR correspondent aux économies de localisation et que les EExJAC aux économies d'urbanisation. Or il semble fondamental de faire une différence entre ces deux types d’économies. Les EEE statiques permettent d'expliquer la structure et l'existence d'un secteur industriel alors que les EEE dynamiques expliquent pourquoi les secteurs ont différents taux de croissance.
II.- L’analyse empirique des EE :
L’analyse empirique des EE ne fut pas concluante pendant plusieurs décennies en l’absence de consensus. La méthodologie appliquée pour estimer les économies d’échelle est devenue de plus en plus complexe. Au début des années 1980, la tendance était à l’utilisation de la fonction translogarithme (Benston - 1982), qui céda la place aux approches non paramétriques dans le début des années 1990 (Rangan - 1988).
A) Les approches paramétriques dans l’évaluation des EE :
Les études empiriques sur les EE dans font apparaître quatre groupes distincts d'estimations de courbes de coûts.
Le premier groupe est celui des courbes de coûts en U. On retrouve cette forme chez Benston (1982), Gilligan (1984), Kilbride (1986), Kolari et Zardkoohi (1990), Elliehausen et Kurtz, (1988) et Cebenoyan, (1988), Pavlopoulos et Kouzelis (1989), Noulas (1990), Gathon et Grosjean, (1991), Berger (1993) et Conigliani (1991). L'accord des différents auteurs se situent uniquement au niveau de la forme générale de la courbe mais peu sur les résultats relatifs à la taille optimale.
Le second groupe d'études montre l'existence d'une courbe de coûts décroissante, sans précision d'une contrainte de taille particulière. C'est ce que l'on retrouve chez Benston (1982) pour les banques en réseaux, chez Gilbert (1983), Clark (1984), Shaffer (1985), Lawrence et Shay (1986), Lanciotti et Raganelli (1988), Muldur et Sassenou (1989), Dietsch (1990), Evanoff (1990), Landi (1990) et Conigliani (1991).
Le troisième groupe fait apparaître une courbe de coûts croissants pour les grandes entreprises (Rangan - 1988, Bauer - 1991), et des coûts constants ou décroissants pour les petites et moyennes entreprises (Muldur et Sassenou – 1989, Kim et Ben-Zion - 1989).
Face à ce manque de consensus sur l'existence ou non d'EE, les économistes ont employés une fonction de coût translogarithme pour mesurer les économies d’échelle car elle permet de tenir compte d’une courbe en U, non uniforme pour toutes les tailles d’entreprises, et permet l’abandon de l’hypothèse d’égalité de l’élasticité des facteurs à l’unité (condition d’une Cobb-Douglas). La seconde méthode, développée par Zellner, est la Seemingly Unrelated Regression. C'est la technique la plus utilisée. La troisième méthode est le maximum de vraisemblance (maximum likelihood) : cette technique suppose que les erreurs sont distribuées selon une loi normale et estime les coefficients itérativement en recherchant les valeurs les plus plausibles statistiquement pour chacun.
Enfin, les EE seront estimées par le coefficient SE qui est calculé en prenant la valeur moyenne pour chaque extrant (selon chaque classe définie) et en utilisant les coefficients estimés pour chaque fonction de coût. Ainsi, Si SE1, il y a absence d’EE (ou « déséconomies d'échelle »).
B) Les approches non paramétriques dans l’évaluation des EE :
La littérature économique utilise les EE comme support d’évaluation de l’efficience économique d’une entreprise, quelque soit sa taille, en prenant en compte notamment deux coûts : les coûts de l’activité en main d’œuvre (ratio bénéfice brut par employé ou efficience allocative) et les coûts de l’activité en infrastructure (ratio bénéfice brut par actif ou efficience technique). La combinaison de ces deux indicateurs permet de savoir si les entreprises sont proches de leur taille optimale et s’il existe des changements de performance. Après regroupement des évolutions par rapport aux actifs et aux employés, le caractère positif des données indique qu’elles sont, a priori, efficientes.
Plus précisément, Karsen Junius indique qu’il est possible de savoir si les entreprises ont gagné en efficience allocative plus qu’en efficience technique, ou vice versa. Pour le savoir, l’auteur met en comparaison deux mesures que les entreprises prendront lorsqu’elles cherchent à augmenter ou diminuer leur taille. La première mesure est une « mesure organisationnelle » (réorganiser des départements, transférer ou se séparer de collaborateurs, acheter de nouveaux matériels, vendre des bureaux, etc.). Elle donne l’indication d’une modification « actuelle » de la taille de l’entreprise concernée. La seconde mesure est une « mesure structurelle » montrant les résultats des divers choix organisationnels (recentrage de l’activité, réorganisation de l’activité en fonction des équipes modifiées, etc.). En somme, on s’aperçoit que la question de l’efficience demande un niveau d’analyse élevé qui ne peut être obtenu en se contentant d’analyser un seul paramètre, celui-ci ne reflétant pas à lui seul la réalité de la situation dans laquelle l’entreprise se trouve.
En conclusion, le calcul des EE ou l’évaluation de la performance des entreprises exigent de prendre en compte divers paramètres. L’important est moins de savoir laquelle des différentes bases d’analyse est la plus pertinente que de comprendre que les EE sont vues comme des fonctions particulières et multiples. Par ailleurs, l’évolution à la hausse des niveaux d’économies d’échelle dans les secteurs d’industries de réseaux à forte valeur ajoutée technologique, à l’instar de l’audiovisuel, des communications électroniques ou de l’énergie, depuis ces dix dernières années, indique à la fois que l’entreprises opérant sur ces marchés sont devenues plus efficientes à travers la multiplication des opérations de fusion-acquisition et que les structures desdits marchés s’orientent vers une concentration structurelle.