L’infraction d’offense au chef de l’État est prévue par l’ordonnance-loi n°300 du 16 décembre 1963 relative à la répression des offenses envers le chef de l’État. L’article 1er de cette loi ne définit pas l’offense et ne se limite qu’à formuler la peine applicable à cette incrimination.
L’absence d’une définition légale laisse au juge une libre appréciation des faits pouvant porter atteinte à l’honneur ou à la considération du chef de l’État. La sanction de cette infraction ouvre, dès lors, la voie à des interprétations fluctuante et subjective. La victime, eu égard à sa position particulière au sein de l’État, s’il le souhaite, peut instrumentaliser la répression de cette infraction à des fins politiques voire personnelles.
Lors de la rentrée judiciaire du 3 novembre 2007, le procureur général de la République a exposé la notion de l’offense au Chef de l’État. Il s’agit, a t-il précisé, « des faits, paroles, gestes ou menaces, les calomnies, les diffamations, les actes d’irrévérence, de manque d’égards, les grimaces, les imputations ou allégations de faits de nature à froisser la susceptibilité, la distribution ou la diffusion d’affiches offensantes pour le chef de l’État ou d’un journal, d’une revue, d’un écrit quelconque contenant un article ridiculisant ». L’institution présidentielle paraît donc intouchable et inviolable.
Le tableau sacré et intouchable ci-haut dépeint ne reflète pas fidèlement la réalité politique congolaise. Contrairement au monarque belge ou britannique, le chef de l’État congolais définit la politique de la nation et participe activement à la gestion de la chose publique, Cfr article 91 de la Constitution. En cette qualité, il est redevable. Les citoyens ne peuvent dès lors avoir les yeux bandés sur sa gestion et même au-delà, sur sa personne. Ils jouissent de la liberté d’opinion, d’expression et d’information.
En République démocratique du Congo, comme dans beaucoup des États qui consacrent encore l’infraction d’offense au chef de l’État, tout avis défavorable qui touche à la personne du chef de l’État actionne généralement des poursuites judiciaires. Telle une arme politique redoutable, l’infraction d’offense au chef de l’État reste suspendue sur la tête des opposants comme une épée de Damoclès. L’arrestation récente du député national ne Muanda Nsemi illustre très clairement cette thèse.
Convaincu qu’une courte transition de trois ans était nécessaire, le député national ne Muanda Nsemi a battu campagne pour la tenue d’un dialogue politique et a prôné un glissement collectif. En contrepartie, son parti a obtenu le vice-ministère du Portefeuille. Estimant que sa récompense était ridicule, le Président du parti politique Bundu Dia Mayala s’est attaqué véhémentement à son contractant, le Président Kabila. Il a traité ce dernier de citoyen rwandais et d’autres noms d’oiseaux. Sur ces propos, il a été poursuivi pour offense au chef de l’État ; traqué, arrêté et placé au Centre pénitencier et de rééducation de Kinshasa (ancien Prison centrale de Makala).
D’autres opposants au pouvoir du Président Kabila, à l’instar de Gabriel Mokia, Muhindo Nzangi Butondo, Jean Bertran Ewanga ou le journaliste Daniel Nsafu, ont également été poursuivis et condamnés pour offense au chef de l’État.
Pour avoir déclaré que le « le chef de l’État donne des jeeps et de l’argent aux joueurs de l’équipe nationale qui courent pendant 90 minutes au lieu de s’occuper de la situation à la SNCF », Joseph Kapepule, agent et syndicaliste de la Société nationale de chemins de fer du Congo, a été poursuivi pour offense au chef de l’État.
C’est, aussi, sous cette même incrimination que l’Assemblée provinciale du Haut-Katanga a décidé, à la requête du Procureur général près la Cour d’appel de Lubumbashi, de lever les immunités parlementaires de Gabriel kyungu wa Kumuanza, député provincial membre du G7.
Ainsi, pour parler du Président de la république, il faut réfléchir à deux fois, tourner sept fois ses doigts au-dessus de son clavier, bien choisir ses mots et faire une autocensure. Cette incrimination est une atteinte au droit des citoyens de s’exprimer clairement et librement.
L’infraction d’offense au chef de l’État est une survivance du crime de lèse-majesté, lequel, à l’antiquité, la personne du roi était intouchable et inviolable. Toute atteinte à la majesté du souverain, toute atteinte contre sa personne ou son pouvoir était sévèrement réprimée.
L’existence de cette incrimination en République démocratique du Congo ne peut aujourd’hui se justifier et est surannée.