A la suite d’une enquête menée par la DGCCRF entre 2013 et 2016 auprès des franchisés du réseau de restaurants Pizza Sprint, le ministre de l’Économie a saisi le tribunal de commerce en nullité de la clause d’intuitu personae des contrats types de franchise.
La clause d’intuitu personae prévoyait l'obligation pour le franchisé d'informer le franchiseur de tout projet ayant une incidence sur la répartition actuelle de son capital ou de celui de son principal actionnaire, ou dans l'identité de ses dirigeants effectifs, au minimum deux mois avant la réalisation de l'opération projetée et conférait au franchiseur, en ce cas, la possibilité de constater la rupture anticipée en manifestant son intention par lettre recommandée au franchisé, adressée au minimum un mois avant l'opération projetée.
Le ministre de l'Economie soutenait que, par cette clause, le franchiseur soumettait ou tentait de soumettre les franchisés à des obligations créant un déséquilibre significatif entre leurs droits et obligations.
Il en demandait donc la nullité sur le fondement de l’ancien article L.442-6 I 2° du Code de commerce qui sanctionne les pratiques restrictives de concurrence.
La Cour de cassation approuve la Cour d’appel de prononcer la nullité de la clause d’intuitu personae.
La Cour de cassation juge que les deux éléments constitutifs de la pratique restrictive de concurrence sont caractérisés en l’espèce. D’une part, la soumission ou la tentative de soumission, et d’autre part, l’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations du franchiseur et des franchisés.
D’abord, la soumission ou tentative de soumission implique la caractérisation de l’absence de négociation effective.
Celle-ci nécessite une analyse concrète de la situation des parties qui doit permettre au magistrat de déterminer si les candidats à la franchise avaient ou non un pouvoir réel, concret, de négociation.
Le franchiseur soutenait que si les trente contrats de franchise versés aux débats n’avaient pas été négociés, ce n’est pas pour autant qu’ils n’étaient pas négociables.
En d’autres termes, le franchiseur prétendait que si les contrats n’avaient pas été négociés c’est parce que les candidats à la franchise avaient choisi de ne pas les négocier alors même qu’ils le pouvaient. Cet argument fut inopérant.
La Cour d’appel a en effet procédé à une analyse globale des relations entre le franchiseur et ses franchisés, ce dont il ressortait que les candidats à la franchise ne disposaient d’aucune marge de négociation du contrat de franchise.
La position prépondérante du franchiseur, qui bénéficie d’une notoriété importante dans un marché dynamique et qui propose un concept simple attirant ainsi des candidats entrepreneurs individuels inexpérimentés dans le secteur, et les contrats types de franchise produits aux débats, imposés aux franchisés qui n’a pas réellement le choix que d’accepter les conditions proposés par le franchiseur s’il veut intégrer le réseau, démontraient que les candidats à la franchise ne disposaient pas d’un pouvoir effectif de négociation.
La Cour de cassation approuve ensuite la Cour d’appel d’avoir jugé que la clause d’intuitu personae créait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
La présence d’une clause d’intuitu personae dans le contrat de franchise n’est pas contestée. Une telle clause est en effet justifiée par la volonté du franchiseur de préserver la réputation de son réseau et de favoriser son développement.
Cependant, la Cour d’appel relève que le terme « incidence » prévu par la clause reproduite ci-avant n’est pas suffisamment précis et ne permet donc pas au franchisé d’appréhender la nature et le degré de l’effet du projet sur l’actionnariat ou la personne du franchisé susceptible de motiver la résiliation anticipée du contrat par le franchiseur.
En effet, aux termes de cette clause, l’obligation d’information du franchisé sur les projets ayant une incidence sur son actionnariat ou sa personne est corrélée au droit du franchiseur de résilier par anticipation le contrat.
Or, l’imprécision du terme « incidence » place le franchisé dans une situation d’insécurité car il ne peut pas clairement prévoir quel projet est susceptible d’entraîner la rupture anticipée du contrat de franchise par le franchiseur.
Cette clause qui créait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations du franchiseur et des franchisés a donc été annulée sur le fondement de l’ancien article L.442-6 I 2° du Code de commerce qui sanctionne les pratiques restrictives de concurrence.
Points-clés :
- Le franchiseur a le droit de protéger l’homogénéité de sa franchise et son savoir-faire en imposant aux franchisés des contrats types.
- Cette pratique pourra être qualifiée de soumission ou tentative de soumission du partenaire commercial.
- Mais si les obligations prévues par le contrat de franchise ne créent pas de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, elle ne sera pas sanctionnée au titre des pratiques restrictives de concurrence.
- Pour caractériser la soumission ou tentative de soumission du franchisé, la Cour a pris en considération les pratiques du réseau de franchise non stipulées dans le contrat.
- Une obligation d’approvisionnement exclusif auprès d’une des sociétés du réseau et l’existence d’une société animatrice de réseau chargé de contrôler l’approvisionnement des achats n’étaient pas prévues par le contrat type de franchise.
- Les candidats à la franchise n’étaient donc pas informés du fonctionnement réel du réseau de franchise au moment de leur adhésion au réseau.
- La Cour a considéré que ces obligations non dévoilées par le contrat de franchise participaient à la soumission ou tentative de soumission du franchisé.
- L’imprécision de la clause d’intuitu personae permettait au franchiseur de motiver la résiliation anticipée du contrat par n’importe quel projet ayant une incidence sur la répartition du capital du franchisé ou de son principal actionnaire.
- En annulant la clause, la Cour prévient tout risque d’usage déloyal par le franchiseur de sa prérogative de résiliation anticipée du contrat.
- En substance, le contrat de franchise doit demeurer un acte de prévision pour le candidat à la franchise.
- Ce n’est pas le cas s'il ne peut pas prévoir les causes de rupture anticipée du contrat de franchise ou si la présentation du réseau par le contrat, qui détermine son consentement à y adhérer, ne correspond pas à la réalité.
- L’action en nullité des clauses ou contrats illicites n’est plus seulement réservée au ministre de l’Économie mais peut également être exercée par la partie victime des pratiques conformément à l’article L.442-4 du Code de commerce introduit par l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 réformant les articles relatifs aux pratiques restrictives de concurrence.