La société Le Figaro, qui édite des journaux pour le compte de clients, leur a proposé de réviser leur contrat en raison de la forte hause du prix du papier durant l’année 2022 causée par la crise sanitaire du Covid-19 et la guerre en Ukraine.
La clause de révision annuelle du prix de leurs contrats prévoyait que le prix révisé, qui comprenait pour 50 % l’indice de coût du papier sur une année complète, s’appliquait pour l’année suivante.
L’indice de coût du papier en augmentation en 2022 devait ainsi s’appliquer au prix révisé pour l’année 2023 et non aux prestations facturées au cours de l’année 2022.
Cependant, les clients ont résilié les contrats avec effet fin 2022, de sorte que Le Figaro ne pouvait plus leur répercuter en 2023 le prix de la hausse du papier de 2022.
Les clients ont refusé la proposition de révision des prix mais Le Figaro leur a néanmoins adressé au cours de l’année 2022 des factures établies à partir de l’indice du coût du papier à la hausse en 2022.
N’ayant pas été payé de ses factures, Le Figaro a assigné en paiement ses clients.
Cette demande a été rejetée par le Tribunal de commerce au motif que Le Figaro a accepté de supporter le risque que l’exécution du contrat devienne excessivement onéreuse en raison de la forte hausse du prix du papier.
Le Tribunal de commerce constate que le contrat proposé par Le Figaro a ses clients ne prévoyait pas que l’intégralité des surcouts causés par la hausse du prix du papier serait répercutée sur ses clients lors de la dernière année d’exécution du contrat.
Seule était prévue la clause de révision annuelle du prix mais elle ne permettait pas de facturer au cours de l’année 2022 le prix révisé comprenant l’indice à la hausse de coût du papier de cette même année 2022 ; cet indice ne pouvant être pris en compte que pour l’année 2023.
Les clients ayant résilié leur contrat avec effet fin 2022, Le Figaro n’avait aucun moyen de leur facturer en 2022 la hausse du prix du papier.
Le Tribunal de commerce juge que Le Figaro a librement choisi de ne pas prévoir de clause permettant de répercuter la hausse du prix du papier en 2022 sur ses clients et doit en conséquence supporter le coût élevé d’édition des journaux.
Points-Clés :
- Le contrat peut être révisé pour imprévision si trois conditions prévues à l’article 1195 du Code civil sont réunies : (1) le changement de circonstances était imprévisible lors de la conclusion du contrat, (2) le changement de circonstance a rendu l’exécution du contrat excessivement onéreuse, (3) le contractant n’a pas accepté le risque que l’exécution du contrat devienne excessivement onéreuse en raison du changement de circonstances.
- Le Tribunal de commerce considère que la résiliation du contrat n’empêche pas d’examiner la demande de révision pour imprévision dans la mesure où cette demande concerne le prix facturé lors de l’année pendant laquelle le contrat était en vigueur.
- Si un événement n’est pas par nature imprévisible, il peut l’être dans son ampleur. L’augmentation du prix du papier au cours de l’exécution du contrat était prévisible mais l’ampleur de cette augmentation, résultant de la crise sanitaire du Covid-19 et la guerre en Ukraine, ne l’était pas.
- La liberté contractuelle signifie que les parties déterminent librement le contenu de leur contrat et son corollaire la force obligatoire du contrat implique que le contractant doit assumer les choix faits lors de la rédaction du contrat.
- Le Figaro avait fait le choix d’inclure dans son contrat une clause de révision annuelle du prix qui permettait d’appliquer l’indice plus élevé du prix du papier pour l’année 2023 et non pour l’année 2022, qui s’est avéré être la dernière année d’exécution du contrat, et n’avait pas prévu de clause permettant de répercuter les surcouts lors de la dernière année d’exécution du contrat.
- Le Tribunal en déduit que Le Figaro doit assumer ce choix et supporter le coût élevé d’exécution du contrat pour l’année 2022.
- L’application ferme de la force obligatoire du contrat interroge néanmoins en présence d’une circonstance imprévisible qui rend l’exécution du contrat excessivement onéreuse.
- Est-ce que la révision du contrat pour imprévision n’a pas justement pour objet de revenir sur les termes du contrat qui, bien qu’ayant force obligatoire, n’est plus adapté ?
- Ensuite, est-ce que le fait de ne pas se prémunir du risque d’augmentation du coût d’exécution du contrat vaut acceptation de ce risque ?
- L’article 1195 du Code civil est supplétif de la volonté des parties. Les parties peuvent donc aménager contractuellement les conditions et modalités de la révision pour imprévision (clause de révision pour imprévision ou clause de hardship). Les parties peuvent également exclure totalement l’application de l’article 1195 du Code civil (clause de renonciation à l'application de l'article 1195 du Code civil).