La règle dite de la décision préalable irrigue la procédure administrative contentieuse.
Encadrée par les dispositions de l’article R.421-1 du Code de justice administrative, elle soumet, sauf en matière de travaux publics, l’introduction des recours des justiciables devant les juridictions administratives, à l’existence d’une décision administrative préalable, que le recours introduit tend à contester.
En application, la jurisprudence considère en principe que l’absence de décision préalable entraîne l’irrecevabilité de la requête.
L’existence de cette décision présente en conséquence un enjeu important pour le requérant, le contraignant, lorsqu'aucune décision administrative n’existe, au moment où il souhaite introduire son recours, de provoquer l’existence d’une décision, en adressant un courrier à l’administration.
L’intervention, alors, de cette décision, soit notifiée de manière expresse à l’administré, soit née du silence gardé pendant plus de deux mois sur sa demande, justifiera l’introduction de son recours.
L’administration est, quant à elle, fondée à soulever en défense que le requérant ne lui a adressé aucune demande préalable de nature à faire naître une décision, afin de faire constater par les juridictions l’irrecevabilité de la requête.
Les juridictions admettent néanmoins que ce défaut de décision préalable puisse être régularisé et rendre le recours recevable, dans deux hypothèses.
Il est tout d’abord possible pour le requérant de régulariser ce défaut de décision préalable en adressant à l’administration, postérieurement à son recours, une demande afin de faire naître la décision. Le recours est alors régularisé par l’intervention de la décision avant que le juge ne statue (CE, 11 avril 2008, Etablissement Français du Sang, n°281374).
Dans une seconde hypothèse, le défaut de décision préalable peut également être régularisé, par le mémoire en défense de l’administration.
Ainsi, lorsque celle-ci se contente d’invoquer dans son mémoire en défense des motifs de fonds pour rejeter la requête, ou lorsqu’elle demande le rejet du recours au fond à titre principal et, seulement à titre subsidiaire, l’irrecevabilité de la requête, en raison du défaut de décision préalable, le fait pour l’administration de donner des motifs de refus au fond fait intervenir une décision de nature à régulariser le recours.
Il en va autrement lorsque l’administration ne soulève, dans son mémoire, qu’une fin de non recevoir tirée du défaut de décision préalable ou lorsque elle évoque à titre principal ce défaut de décision préalable avant seulement à titre subsidiaire de justifier son refus au fond. Dans ce dernier cas aucune décision n’étant intervenue, le recours ne peut être régularisé.
En l’espèce, le requérant, maître de conférence à l’Université Jean Moulin Lyon III avait saisi le Tribunal administratif de Lyon le 15 octobre 2008 de conclusions tendant au versement d’une somme de 15 000 euros en réparation du préjudice qu’il estimait avoir subi dans le cadre de son service, sans toutefois, au préalable, présenter une demande en ce sens devant l’administration.
Bien plus tard, soit le 10 août 2011, le requérant avait adressé une demande préalable à l’université et en avait informé la juridiction le 11 août 2011 afin de régulariser son recours. Statuant sur sa requête, le 27 septembre 2011, le Tribunal rejette ses conclusions comme irrecevables.
Le Conseil d’Etat confirme la décision rendue et rejette le pourvoi. Il constate dans un premier temps que si le requérant avait bien adressé une demande préalable auprès de l’administration le 11 août 2011, aucune décision de l’administration, ni explicite, ni implicite, n’était intervenue à la date du 27 septembre, date à laquelle le Tribunal a statué sur sa requête.
Dans un second temps, le Conseil d’Etat relève que la requête n’avait pas non plus été régularisée par les conclusions en défense de l’université dans la mesure où cette dernière avait conclu, à titre principal, à l’irrecevabilité de la requête faute de décision préalable et, à titre subsidiaire seulement, au rejet au fond.
La solution peut apparaître sévère pour le requérant qui en adressant une demande préalable à l’Université a entrepris les démarches utiles à la régularisation de son recours, et a en définitive pâti de la résistance passive de l’administration qui n’a pas répondu de manière expresse à sa demande. Une décision expresse de l’administration prise entre le 11 août, date à laquelle il a saisi l’administration, et le 27 septembre, date de lecture du jugement, aurait en principe régularisé son recours.
Le Tribunal avait en outre la faculté de « sauver » le recours en statuant à une date postérieure au 12 octobre 2011, date à laquelle une décision de rejet née du silence gardé pendant plus de deux mois sur sa demande serait intervenue.
Néanmoins, les circonstances de l’affaire semblent avoir eu un impact non négligeable dans le choix de la décision rendue par la juridiction de premier ressort. Il apparaît en effet que le requérant n’a entrepris les démarches pour régulariser son recours que le 10 août 2011, soit deux ans et dix mois après avoir introduit son recours, manifestant une certaine indolence.
En dernier lieu, l’arrêt est intéressant au regard de l’office du juge, lorsque celui-ci se trouve saisi de conclusions entachées d’une irrecevabilité susceptible d’être couverte après l’expiration du délai de recours telle que le défaut de décision préalable.
En application de l’article R.612-1 du Code de justice administrative, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d’office cette irrecevabilité qu’après avoir invité leur auteur à les régulariser. Il en va autrement toutefois lorsque l’irrecevabilité est déjà soulevée par la partie adverse, la juridiction n’étant alors pas tenue d’inviter le requérant à régulariser sa requête (CE, 8 janvier 1997, Société des Grands Magasins de l’Ouest, n°171807).
En l’espèce, l’Université ayant conclu dans son mémoire en défense à titre principal à l’irrecevabilité de la requête, la Haute Assemblée a considéré que le Tribunal pouvait« sans méconnaître son office » rejeter la requête comme irrecevable.
(CE, 4 décembre 2013, n°354386)