Introduction
La signature à Port-Louis le 17 octobre 1993 du Traité instituant l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) a donné corps à une vision jusque-là méconnue de l’intégration communautaire par le droit. Par cet instrument juridique, les États signataires ont manifesté leur volonté de contribuer en Afrique noire francophone à l’instauration d’un espace économique unifié et apte à répondre aux attentes exigeantes des investisseurs. Toutefois, au-delà des soucis de rationalisation du système juridique africain, le Traité de l’OHADA s’inscrit dans un vaste mouvement de régulation des relations juridiques supervisé par les institutions financières internationales et ressortissant de la logique de fonctionnement du marché. À l’évidence, la philosophie économique dominante aujourd’hui balance en faveur du libéralisme et place la prise en compte des exigences du marché comme indicateur de la performance d’un ordre juridique donné.
Le droit de l’harmonisation des affaires en Afrique, est un jeune nouvel ordre juridique régional dont, a donné très tôt l’idée d’une création d’institutions communes destinées d’une part, à élaborer les textes supranationaux et d’autre part, contrôler l’application de ces textes.
C’est à cet égard, que l’entrée en vigueur du traité OHADA, le 15 septembre 1995 a donné un ordre juridique et judiciaire commun afin d’assurer une marche sûre, solide, et assurer vers l'intégration juridique, sur tout le territoire des Etats membres. Ce nouvel ordre juridique vient mettre sur pied depuis sa création une juridiction communautaire suprême dont, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), à coté des juridictions suprêmes nationales. Elle est l’organe juridictionnel chargé à titre principal d’interpréter le droit communautaire et, à titre subsidiaire, de veiller au respect des actes uniformes et au droit dérivé de ces derniers.
Enfin, dernier critère de la supranationalité de la CCCJ, ses pouvoirs effectifs doivent être exercés de manière autonome. Plus précisément, ils doivent être distincts du pouvoir des juridictions suprêmes nationales de manière à être placés exclusivement au service de la finalité reconnue comme commune.
Si bien que la supranationalité politique étant l’un des objectifs premier de l’OHADA, étant de régler les problèmes de disparité des normes juridiques en matière de droit des affaires, la logique appelle ainsi à une institution d’une CCJA répondant aux soucis de sauvegarder le droit uniforme.
La CCJA : Une juridiction suprême sur les juridictions nationales.
Si bien que le traité OHADA est un projet conçu par des pays Africains et pour l’Afrique, il est certes, un outil qui pourra servir la politique choisie par les autorités compétentes qui ont compris que la sécurité juridique et judiciaire inspire la confiance, l’esprit d’entreprise et de conquête et la croissance.
Bien que sa structure soit semblablement identique à celle des autres accords internationaux, le traité OHADA s’en distingue à plusieurs égards, notamment son originalité qui réside son objectif fondamental qui est de réaliser une unification progressive et générale des législations afin de favoriser le développement harmonieux de tous les Etats parties (article 1er et 2). Pour réaliser cet objectif de sécurité, l’OHADA a eu recours à deux instruments : l’un concerne les normes et l’autre les institutions chargées de les appliquer.
Par ailleurs, un système juridique n’est pas constitué que des normes d’action, de comportement, organisant et régulant divers aspects de la vie sociale et économique. Nous savons ainsi, qu’un ordre juridique présente une caractéristique propre d’être constitué de l’intersection de deux types de normes : des normes que certains appellent primaires ou normatives et des normes secondaires ou constructives. Les premières sont des règles de comportement qui imposent des obligations ou des abstentions et les secondes attribuent des compétences, organisent des procédures, de manière à rendre effective les normes primaires.
Toutefois, les initiateurs du projet OHADA devaient en conséquence, non seulement d’agir sur les normes de comportement mais également sur les institutions chargées d’en assurer l’efficacité. Tel est le sens profond des aspects institutionnels du traité dans ses aspects concernant la CCJA. En principe les ordres juridiques internes, les principales institutions chargées d’assurer l’efficacité des normes de droit, sont les juridictions. Afin de contrôler l’exacte application du droit, il est soutenable qu’une juridiction de degré supérieur soit reconnue comme responsable de contrôle.
C’est dans ce schéma que l’OHADA reproduit dans l’ordre juridique créé par les Etats parties : juridiction du fond chargée de sanctionner l’application des normes communes et juridiction de cassation commune chargée de contrôler l’exacte application du droit commun et l’unification de ce droit.
La création d’un nouvel ordre juridique institué par un traité, est nécessaire pour qu’un mécanisme permette de garantir l’homogénéité de la jurisprudence des tribunaux dotés d’une compétence limitée. Le plus souvent, cette fonction est assurée dans les ordres juridiques étatiques par une juridiction suprême placée dans la hiérarchie juridictionnelle de chaque ordre de juridiction et plus souvent par le moyen du recours en cassation.
En droit OHADA, cette fonction est assumée par la CCJA. Suivant l’article 14 (3), « la CCJA assure dans les Etats parties l’interprétation et l’application communes du présent traité des règlements pris pour son application et des actes uniformes (...). » suivant les termes de cette disposition, la CCJA, se substitue aux cours nationales de cassation afin d’unifier l’interprétation du droit uniforme par les juridictions nationales du fond, et évite un renvoi devant une juridiction du dernier ressort en cas de cassation.
La compétence de la CCJA s’étant par ailleurs, quasiment à l’ensemble des matières relevant du droit des affaires comme en témoigne l’article 2 du traité. Nous constatons alors qu’a priori, le législateur OHADA a pratiquement dépouillé les juridictions nationales à cause de l’étendue de la compétence d’attribution de la CCJA due à un caractère fluide de la notion de droit des affaires de l’article 2 in fine du traité.
Dans ce sens, le caractère original de la CCJA n’est pas seulement dû au fait qu’elle est la seconde juridiction judiciaire suprême dans l’espace OHADA mais, aussi parce qu’elle donne l’impression d’être supérieure aux juridictions suprêmes nationales.
A l’instar à des nombreuses cours similaires à celle de l’OHADA, la CCJA connait des règles structurelles et une organisation formelle. Les règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage résultent des dispositions du Traité OHADA et du Règlement de Procédure de la Cour.
En effet, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage dont le siège est à Abidjan en Côte d’Ivoire , est composée de sept juges élus par le Conseil des Ministres pour une durée de sept ans renouvelables une fois, sur une liste présentée par les Etats parties, chaque Etat ne pouvant présenter que deux candidats au plus (articles 31 et 32 du Traité). La Cour, qui ne peut comprendre plus d’un ressortissant d’un même Etat, élit en son sein, pour une durée de trois ans et demi non renouvelable, son Président et ses deux vice-présidents (article 37 du Traité). Le Président de la Cour qui n’est pas rééligible, dirige les travaux et contrôle les services de la Cour. Il en préside les séances, la représente dans tous les actes de la vie civile et exerce toute mission qui lui est confiée.
Mais quel que soit le type de ses formations, il existe une seule CCJA statuant sur tous les litiges qui lui sont soumis : c’est le caractère d’unicité. Aux termes de l’article 9 du traité OHADA, le CCJA en Assemblée plénière, les chambres de trois ou de cinq juges n’étant qu’exceptionnellement compétentes.
Bien que prévu par le traité de l’OHADA, la CCJA joue un rôle fondamental dans les décisions litigieuses rendues dans les juridictions nationales des Etats parties. Sa fonction semble dérogatoire au droit commun puisqu’elle est en principe, conforme à la notion classique d’une juridiction de cassation.
Donc l’idée d’attribuer à la CCJA comme une juridiction de cassation, s’explique par le fait que cette Cour statue normalement en droit et non en fait et juge, généralement les arrêts et non les affaires. Sa fonction consiste uniquement à vérifier si, dans le cas d’espèce, la règle de droit découlant des actes uniformes a été correctement interprétée et appliquée par la juridiction dont émane la décision attaquée. C’est ainsi que nous témoignons l’idée que la CCJA est de nature d’une haute juridiction de cassation puisqu’elle est juge de droit et non de fait.
Les Compétences de la cour commune de justice et d’arbitrage
La CCJA composée de sept juges élus par le conseil des ministres de l’OHADA a pour missions fondamentales le règlement du différend né de l’interprétation du traité de l’OHADA ou de l’application des actes uniformes. Elle assure dans ce sens dans les Etats parties, l’interprétation et l’application commune du traité, des règlements pris pour son application et des actes uniformes.
Il ne fait aucun doute qu’aujourd’hui, dans l’espace OHADA, la CCJA reste au sommet de l’appareil judiciaire au même ordre juridictionnel que les juridictions nationales, mais avec de domaines de compétences différents. De ces attributions, tiendra particulièrement notre attention dans le cadre de cette analyse portant sur la cadre juridique supranational de cette institution.
A cet égard, pour comprendre la dimension supranationale de la mission de contrôle de l’application du traité, des règlements et des actes uniformes, nous proposons de mettre en exergue la compétence supranationale dans la fonction consultative de la CCJA avant de s’interroger sur sa compétence résiduelle dans la fonction contentieuse.
Pour ce qui est de la compétence consultative, cette dernière constitue un mécanisme juridique très important dans l’architecture judiciaire de l’OHADA. Elle permet de saisir la CCJA pour prévenir les divergences d’interprétation des Actes uniformes par les diverses professions juridiques de l’Etat concerné, tout comme elle assure une meilleure mise en conformité des législations nationales avec les textes OHADA. Mais semble-t-il qu’une telle saisine peut se faire, en dehors de tout contentieux pendant devant une juridiction puisque l’alinéa 2 de l’article 14 qui la prévoit renvoie à l’alinéa 1er du même article qui ne prévoit l’existence d’aucun contentieux.
La procédure de saisine est réglementée par les articles 54 et 55 du Règlement de Procédure de la Cour. De façon succincte, la requête écrite de l’Etat partie doit formuler en termes précis, la question sur laquelle l’avis est sollicité et être accompagnée de tout document pouvant servir à éclairer la question. Les autres Etats parties sont invités par le Greffier en Chef de la Cour à faire connaître leurs observations par écrit à la Cour, dans le délai fixé par le Président qui décide, en outre, s’il y a lieu à audience.
La procédure consultative voulue par le législateur OHADA, s’inscrit à notre avis dans la modernisation du droit qui constitue l’une des missions les plus importantes de toute instance suprême. Il a voulu adapter quotidiennement le droit des affaires aux nouvelles conditions des investissements et aux aspirations contemporaines. A tant vouloir se conformer aux exigences des opérateurs du commerce international, le droit OHADA encourt le reproche, régulièrement entendu, de ne pas tenir compte des spécificités africaines.
Affirmons par là, que la CCJA se distingue aux juridictions suprêmes nationales en matière de saisine, dans la mesure où cette procédure n’a été envisagée que pour la CCJA. Donc, suite aux observations déposées devant la haute juridiction communautaire, cette dernière donne son avis consultatif dont, les Etats parties sont invités, d’une certaine façon, à la préparation de cet avis. Cette procédure de notification et d’observations (articles 55.1, 2, 3) n’est prévue que pour le cas où l’avis est sollicité par un Etat partie.
Enfin pour ce qui est de la compétence contentieuse, Dans le domaine juridique uniformisé, la CCJA est seule compétente en cassation à l’exclusion des juridictions suprêmes nationales. Saisie d’un recours en cassation, la CCJA se prononce sur toutes les décisions rendues en dernier ressort sur le plan national dans toutes les affaires relevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des Règlements (article 14 (3)). Les dispositions du traité et du Règlement de procédure de ka CCJA concernent la fonction juridictionnelle de la Cour posent ainsi un principe de supranationalité judiciaire opérant un transfert de compétence des juridictions nationales de cassation vers la haute juridiction communautaire.
En effet, la fonction contentieuse de la CCJA suscite de discutions en raison des difficultés de délimitation des compétences entre la CCJA et les juridictions suprêmes des Etats parties. Cette fonction a pour effet, de suspendre toute procédure de cassation engagée devant une juridiction nationale, à l’exception en ce qui concerne les procédures d’exécution (art. 16). Mais n’a-t-elle pas des inconvénients ? Affirmer que cette fonction contentieuse revête des inconvénients, c’est oui puisqu’elle est rigoureuse. Elle est rigoureuse parce qu’elle est accompagnée du pouvoir de la CCJA de statuer, après cassation, sur le fond, sans renvoyer à une juridiction d’appel nationale de l’Etat concerné. Sur ce, en évoquant l’affaire, ce pourvoir entraine la substitution de la CCJA aux juridictions nationales de dernier ressort, en cas de cassation, ce qui fait l’originalité de la CCJA.
Dans cette dernière théorie, toute partie peut saisir la Cour à condition qu’elle ait soulevé l’incompétence de la juridiction nationale avant que celle-ci n’ait rendu sa décision. Dans ce cas, la supranationalité de la CCJA se trouve renforcée en ce que si la Haute Juridiction Communautaire décide que la juridiction de cassation nationale s’est déclarée compétente à tort, la décision rendue par cette Cour Suprême ou Cour de cassation d’un Etat partie est réputée nulle et non avenue. L’article 20 du Traité précise à ce sujet que « dans une même affaire, aucune décision contraire à un arrêt de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ne peut faire l’objet d’une exécution forcée sur le territoire d’un Etat partie ».
Conclusion
Conçue comme une pièce maitresse de l’uniformisation du droit des affaires, la CCJA ne manque pas de moyens originaux et appropriés pour atteindre ses buts, notamment la création d’un espace juridique et judiciaire unique. C’est précisément le but poursuivi par l’OHADA, dont les missions d’uniformisation de l’interprétation et de l’application des Actes uniformes confiées à la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage sont déterminantes pour que les investisseurs internationaux s’engagent plus nombreux en Afrique et favorisent enfin le développement de ce continent.
Néanmoins, nous regrettons que les textes conçus organiser sa fonction contentieuse n’aient été jusqu’au bout de la logique et de l’efficacité de l’intégration.
Par ISSA SAID