Visant à garantir les droits et obligations des membres de l'OMC, ce nouveau mécanisme est venu corriger les défauts majeurs qui affectaient le bon fonctionnement du système du GATT, à savoir la fragmentation excessive des règles résultant de la coexistence de diverses procédures de règlement des différends, les retards dans la procédure provoqués par la partie mise en cause ou encore le non-respect des recommandations et décisions des groupes spéciaux. Cependant, élaborer un mécanisme juridiquement parfait, mais techniquement ou politiquement inapplicable, ne présentait aucun intérêt, et c'est pour cette raison qu'un équilibre devait être trouvé. Le nouveau mécanisme instauré par le MRD reflète cette volonté de trouver un équilibre ainsi que la frontière entre le politique et le juridique.
C'est donc ce nouveau système particulièrement atypique qu'il convient de présenter dans ses caractéristiques principales et différentes phases. Présenter ce système comporte donc un intérêt particulier en ce sens qu’il convient de se demander dans quelle mesure l’effectivité du système de règlement des différends de l’OMC s’inscrit-il en nette rupture avec le système du GATT ?
Il conviendra à cet effet d’étudier dans un premier axe en quoi le système de règlement des différends de l’OMC a été à la recherche d’un impératif d’efficacité dans sa mise en œuvre et dans un second axe, il conviendra d’étudier en quoi l’effectivité du système de règlement de l’OMC peut être limité en ce sens qu’il comporte encore des lacunes et n’a pas vraiment résolu les problèmes juridiques posés par le système de règlement des différends du GATT (II) .
I. A la recherche d’un mode efficace de règlement des différends
A. Le renouveau d’un système épars gouverné et encadré par un principe d’unicité
Les articles 22 et 23 du GATT de 1947 traitaient du règlement des différends. Ces articles mettaient sur la recherche d’une solution mutuellement satisfaisante, par voie de négociation et de consultations (le professeur RUIZ FABRI parle de conciliation quasi-judiciaire). En cas d’échec, l’ensemble des membres du GATT devait examiner la question et statuer ou formuler des recommandations selon le cas, et autoriser des sanctions, si nécessaire. Un groupe spécial de trois (ou parfois cinq) experts était généralement désigné. La recommandation du groupe spécial devenait contraignante à dater de son adoption par le Conseil des représentants du GATT. Plus de 120 groupes spéciaux de ce type ont été institués entre 1948 et 1994. Mais le problème était que les recommandations des groupes spéciaux n’étaient pas toujours adoptées par les parties perdantes du fait de l’existence du concensus : l’adoption se faisait par ce procédé, il suffisait d’une voix contre pour y faire obstacle. Ça a été la pratique de certains Etats puissants (USA, Japon, Union Européenne)
De fait, le système mis en place parle GATT démontrait certaines lacunes et difficultés de mise en œuvre en termes d’effectivité. Il était possible de dénoter que le système du GATT n’avait pas vraiment de procédure contentieuse : elle était principalement non contentieuse. La conciliation interétatique et la diplomatie étaient prédominantes. Des blocages progressifs étaient fréquents du fait que les rapports adoptés par les groupes spéciaux n’étaient pas suivis d’effets par les Etats membres, ou même du fait que les rapports n’étaient pas du tout adoptés du fait qu’un Etat puisse objecter son refus dans la phase de vote par consensus.
Conscient de ces problèmes, le GATT dans une décision « amélioration de règles et procédures de règlement des différends du GATT » du 12 avril 1989 a préparé et anticipé le Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends qui constitue l’annexe 2 de la charte de l’OMC. Cette dernière est venue poser les prémices d’un mécanisme de règlement des différends ordonné grâce au principe de l’accord unique. En effet, le problème majeur que soulevait le système du GATT était le caractère fragmentaire qui s’en dégageait.
B. l’instrumentalisation des outils juridiques du GATT par l’OMC dans l’émergence d’un mécanisme cohérent de règlement des différends.
L’OMC va à partir des outils juridiques posés par le GATT, essayer de faire émerger un mécanisme de règlement des différends en remaniant les conséquences « néfastes » que pouvaient avoir la mise en œuvre de ces outils. Par ailleurs, l’OMC va manifester un comportement créatif dans l’instauration de ce mécanisme.
1) La constatation d’un échec dans la juridicisation du règlement des différends par le GATT
Le système de règlement des différends du GATT posait donc deux problèmes : d’une part, le système reposait sur le consensus. Il s’ensuit que n’importe quel Membre pouvait bloquer le processus en opposant une sorte de veto, d’autre part, la situation a empiré après 1979 en terme d’incohérence avec l’entrée en vigueur d’un certain nombre d’accords sur des mesures non tarifaires, («codes», négociés durant le Cycle de Tokyo, sept d’entre eux avaient leur propre procédure de règlement des différends et des obligations de codes distinctes de celles du GATT, d’où un risque réel d’incompatibilité entre les différents verdicts.
Au-delà des procédures prévues aux articles 22 et 23 de l’accord général, Le système de règlement des différends du GATT posait également un autre problème résultant des compétences et des comportements des personnes qui composaient les groupes spéciaux : ce n’était pas des experts mais des représentants d’administration la plupart du temps, d’où un problème de crédibilité. A partir de 1986, il y a eu tout un travail de redressement et le développement d’une tendance à la juridictionnalisation qui va préparer les évolutions ultérieures.
2) la tentative réussie d’un encadrement du règlement des différends par l’OMC.
Le système antérieur à l’OMC était caractérisé par une fragmentation des règles de droit applicables et des instances de procédures de règlement des différends. Avec l’OMC, c’est différent, tous les litiges issus du système sont canalisés vers un mécanisme de règlement unique devant lequel ils font l’objet d’un traitement uniforme. Ce mécanisme prévoit, en outre, que la méconnaissance d’une règle du système se corrige de manière interne au système. C’est en cela que les accords visés par l’OMC forment un seul système juridique intégré.
a) le souci de pallier les faiblesses du système antérieur
Des impératifs d’efficacité : l’absence de mécanisme efficace de règlement des différends pouvait empêcher non seulement la négociation mais aussi la mise en œuvre de ses résultats. Il y a avait beaucoup de laxisme dans l’application de l’accord général lui-même.
Des impératifs d’équilibre : L’article 3 du mémorandum pose l’idée que le système de règlement des différends a pour objet de préserver les droits et obligations des membres de l’organisation et de clarifier les dispositions existantes des accords. L’objectif est la protection du juste équilibre tel qu’il est issu de la négociation. Le système a habituellement pour objectif d’obtenir le retrait des mesures en cause. Un Etat ne peut acheter ses violations. Le mémorandum va plus loin en interdisant de lier des recours et contre-recours traitant de questions distinctes pour éviter tout tentation de package deal et de Forum Shopping
Des impératifs de crédibilité : cet impératif va essayer de remédier aux dérives que le système avaient connues et notamment dans la lignée de la décision de 1989, de préciser les délais de façon rigoureuse mais aussi de renforcer la crédibilité de la procédure en terme d’expertise, de compétence et d’impartialité. Les délais sont stricts et courts. L’article 8 prévoit le recours à des personnalités qualifiées.
b) L’affirmation d’un règlement atypique des différends commerciaux.
Le principe d’exclusivité : L’objectif de l’article 23.1 du mémorandum est d’écarter les règles du droit international général relatives aux contre-mesures et d’exclure tout recours à des modes de règlement des différends extérieurs à l’OMC en vertu d’un particularisme du règlement des différends. On ne recourra aux règles de droit international uniquement dans l’hypothèse d’une clarification du sens d’une règle de la charte de l’OMC.
les innovations institutionnelles : la création de L’ORD et d’un appel : Pour administrer le mécanisme de règlement des différends, l’Article 2 du Mémorandum a institué un organe de règlement des différends (ORD), dont il a énuméré les fonctions. L’ORD a le pouvoir d’établir des groupes spéciaux, d’adopter les rapports des groupes spéciaux et de l’organe d’appel, d’assurer la surveillance de la mise en œuvre des décisions et recommandations, et d’autoriser la suspension de concessions et d’autres obligations qui résultent des accords visés. L’ORD s’inscrit au sein de l’OMC comme le garant du bon fonctionnement du mécanisme de règlement des différends au sein de l’OMC. On dénote une large place faite au droit avec l’instauration d’un appel. La procédure d’appel démarre lorsqu’une des parties en litige s’oppose aux conclusions. De même, En l’absence d’une solution mutuellement convenue par voie de négociation (accord amiable), une procédure de règlement pourra être actionnée. L’idée de conciliation est prédominante dans la réforme On donne une priorité aux règlements d’intérêts, il y a donc un place faite aux mécanismes politiques de règlement des différends. S’il y a appel, l’affaire est alors portée devant l’Organe d’appel, une des instances permanente de l’ORD. Si on devait comparer l’organe d’appel à un organe français, ce serait plus la cour de cassation puisque l’Organe d’Appel n’examine que les questions de droits soulevées par un litige.
Le caractère contraignant du nouveau mécanisme. L’efficacité passe par la contrainte. Dans la phase d’appel, seuls des arguments juridiques seront pris en compte. Le recours au droit est désormais très contraignant pour le mécanisme du règlement des différends. Afin d’appuyer ce caractère, le nouveau système institué par L’OMC élimine le consensus dans l’adoption des rapports du groupe spécial.
II. Questionnement sur l’effectivité du nouveau mécanisme de règlement des différends dans l’ordre juridique international économique.
A. Le constat d’une difficile affirmation d’un mécanisme de règlement des différends.
Expliquer que le mécanisme a une portée limitée de cette effectivité au regard du développement du droit international économique par :
1) Une portée limitée au regard du développement du droit international économique
a) L’amoindrissement de l’effectivité du système par son caractère interétatique
Le mécanisme de règlement des différends de l’OMC constitue certainement un grand progrès par rapport à ce qu’il existait auparavant à l’échelle mondiale. L’augmentation du nombre de saisine et les suites qui en résultent témoignent largement de son succès indéniable. Cependant, il s’agit d’un mécanisme interétatique qui ne s’adresse qu’aux seuls Etats membres de l’OMC. Cette solution ne va pas dans le sens de l’évolution générale du droit international économique qui consiste à préparer l’accès des particuliers aux mécanismes internationaux de règlement des différends lorsque les droits de ces particuliers et notamment ceux des opérateurs économiques se trouvent lésés par l’action des Etats. En cas de violation, l’Etat membre de l’OMC décidera de mettre ou non en œuvre les procédures de règlement des différends. C’est critiquable : c’est très réducteur pour les personnes privées (sociétés) alors même que la tendance du droit international est de reconnaître la personne privée et plus précisément l’individu comme un sujet de droit international à part entière malgré son caractère dérivé (ex : saisine de la CEDH par un individu). On ne peut pas dire en cela que l’OMC se dresse en nette rupture avec le GATT, qui lui-même n’avait pas trouvé de solution à ce problème.
b) Une effectivité freinée par l’unilatéralisme des Etats membres
Au sein de l’OMC subsistent des rapports de force très puissants. les USA ont clairement montré que leur législation restait empreinte d’unilatéralisme : l’adoption de la loi Helms-Burton en est un exemple frappant de l’unilatéralisme américain. De même pour l’Union Européenne dans l’affaire des « viandes aux hormones » qui persiste à ne pas appliquer les décisions de l’ORD en arguant qu’elle n’est pas membre de l’OMC puisqu’elle n’a pas de personnalité juridique. Dans cette optique, il est donc à noter que l’OMC, malgré une volonté progressiste d’affirmer l’existence et la force contraignante d’un mécanisme de règlements des différends, n’a pas réellement su imposer une rupture entre le système de règlement des différends du GATT et le sien. Certaines lacunes subsistent. Les dispositions au sein de l’OMC visent désormais un renforcement du multilatéralisme et ce notamment par le biais de l’article 23 du Mémorandum. Cet article interdit aux Etats de déterminer de façon unilatérale l’existence d’une infraction et de suspendre eux-mêmes des concessions.
2) Les limites du caractère contraignant du mécanisme.
L’absence de mécanisme contraignant subsiste toujours à l’OMC comme au sein du GATT pour la mise en œuvre des décisions des groupes spéciaux alors que leur importance est considérable et fondamentale. En effet, ces groupes sont l’illustration même de l’idée que le mécanisme de règlement des différends doit faire et favoriser dans la mesure du possible, un règlement plus politique que juridique. L’idée de l’OMC était d’éviter aux Etats d’en arriver à soumettre un litige à une juridiction dans le but d’harmoniser les rapports entre Etats membres. Le problème c’est que si ces décisions ne revêtent aucun caractère contraignant, on voit mal comment leur effectivité peut être constatée si on part du postulat (comme exposé plus haut) que les Etats ont une tendance à unilatéraliser leurs rapports dans l’ordre international économique. En ce sens, l’OMC n’a pas vraiment comblé les lacunes qu’avait posé le système du GATT.
B. l’existence d’un flou juridique latent autour de notions dont la solution n’a pas encore été clairement établie
L’absence de caractère contraignant des décisions des groupes spéciaux n’est qu’une illustration parmi d’autre du constat d’un « mécanisme jeune » de règlement des différends. Certaines lacunes issues du GATT continuent de subsister dans ce mécanisme. Et notamment s’agissant des cas de non violation. L’objectif était de rechercher l’équilibre du système à travers le maintien de la possibilité de soumettre à la procédure de règlement des différends les cas de non violation. La question était restée confuse dans le GATT. Recourir au règlement des différends dans cette hypothèse soulève des problèmes puisque dans la mesure où aucune règle n’est violée, il est difficile de savoir sur quelle règle le litige pourra être tranché. On peut donc faire état d’un certain flottement juridique en la matière, la question n’a pas vraiment été résolue malgré les efforts de clarification de l’OMC et du mémorandum à ce sujet.
Il en va de même pour la procédure de l’arbitrage, le mémorandum entérine une piste explorée par la décision de 1989 : l’arbitrage mais il est conçu comme un moyen marginal de règlement des différends.
Enfin, du point de vue de l’efficacité des sanctions, les sanctions économiques produisent des effets pervers. L’idée est parfois avancée d’un système de sanctions collectives appliquée par toutes les parties car la question de la mise en œuvre effective notamment par les grandes puissances reste en suspens.
par Bubulle