Par Sophie De Sylvie DJOUFA TIEMAGNI
Spécialisée en droit et activités maritime / Economie Bleue
Diplômée du Centre de Droit Maritime et Océanique
De l’Université de Nantes – France –
Certifiée IDEP
Certifiée CIArb
Avocate /Barreau du CAMEROUN
Fondatrice & CEO du Cabinet d’Avocats TIEMAGNI
(Douala-Cameroun)
Email sophiedjoufa@yahoo.fr
Tél : 237 699 660 087 / 673 777 878 https://urlz.fr/j51y
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Le moyen le plus efficace et le moins couteux possible pour transporter les marchandises et matières premières en vrac, en grande quantité à travers les divers points du monde est de les faire transiter par les océans, les mers et eaux du littoral. C’est ainsi que le transport maritime constitue à lui tout seul plus de 80% des échanges internationaux. Le domaine maritime, vital pour l’économie d’un Etat se veut sécuriser et sûre. Or, cette sécurité est en permanence en proie à de nombreux actes criminels et illicites qui nuisent terriblement à la liberté de la navigation, à la chaîne logistique, compromettent la sécurité des navires et partant la sûreté des passagers, des membres d’équipage et des biens. Un environnement maritime sûr est essentiel pour le bon fonctionnement du commerce international, le développement économique, le maintien de la paix et de la sécurité nationale et internationale.
La question de sécurité et de sureté de la navigation maritime a toujours été au cœur des préoccupations de l’OMI et des Etats. Ce qui a conduit à l’adoption des stratégies et à la ratification de diverses conventions dans l’optique d’assurer et de préserver la sécurité et la sûreté de la navigation. Il s’agit entre autre de :
-La convention des Nations Unies sur le Droit de la mer du 10 Décembre 1982, pris en ses articles100, 101 et 105, définissant le cadre juridique de lutte contre la piraterie et les vols à main armée contre les navires ;
-La convention SOLAS du 1 Novembre 1974, convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer ;
-la convention MARPOL 73/78, convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires ;
-La convention pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime, adoptée à Rome, le 10 Mars 1988 ainsi que son Protocole du 14 Octobre 2005 ;
-La convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets toxiques et de leurs éliminations du 22 Mars 1989 ;
-La convention de Palerme du 15 Novembre 2000, convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, de même que ses Protocoles additionnels ;
-La convention de l’OUA sur la prévention et la lutte contre le terrorisme du 14 Juillet 1999 et de son Protocole du 1 Juillet 2004 ;
-L’Agenda 2063 de l’Union africaine et du programme de développement des nations Unies à l’horizon 2030 ;
-La Stratégie AIM 2050, Stratégie africaine intégrée pour les mers et les océans à l’horizon 2050, adoptée par la Conférence de l’Union africaine en Janvier 2014 ;
-La Charte africaine des transports maritimes sur le renforcement de la coopération entre les Etats dans les domaines du transport maritime, de la navigation par voies d’eaux intérieures, des services portuaires et des activités connexes.
-Le Mémorandum d’entente d’Abuja encore appelé ‘‘Abuja MOU’’ sur le contrôle des navires par l’Etat du port dans la région de l’Afrique de l’Ouest et du Centre.
-La Déclaration des Chefs d’Etats et de gouvernement pour la mise en place des structures de coordination de l’action de l’Etat en Mer, d’où le Centre Interrégional de la Coordination (CIC) dont le siège est à Yaoundé-Cameroun.
-Le code de conduite de Djibouti pour la répression des actes de piraterie et de vols à main armée à l’encontre des navires dans l’océan Indien occidental et le golfe d’Aden ; ainsi que son amendement dénommé ‘‘Amendement de Djedda au Code de conduite de Djibouti, 2017’’.
-Le Code de conduite dit de ‘‘Yaoundé’’[1] pour la prévention, la répression des actes de pirateries, des vols à main armée à l’encontre des navires et des activités illicites en Afrique de l’Ouest et du Centre.
-La Charte dite de ‘‘Lomé’’ ou Charte africaine sur la sûreté et la sécurité maritime et le développement en Afrique.
-La convention de Bamako, adoptée le 30 Janvier 1991 sur l’interdiction d’importer en Afrique des déchets dangereux et sur le contrôle de leurs mouvements transfrontières et la gestion des déchets dangereux produits en Afrique.
Dans l’optique de faire face au terrorisme, à la piraterie, à tous les actes illicites qui entravent la sécurité et la sureté de la navigation, de même qu’à toute tentative de se livrer à ces actes criminels, les avis font l’unanimité. L’autoprotection reste le moyen idéal pour les éradiquer.
En ce sens, le Comité de la sécurité maritime (MSC) a adopté le 20 Mai 2011, la Résolution 324(89) sur l’application des principes directeurs relatifs aux meilleures pratiques de gestion pour affirmer et confirmer qu’il est urgent que la marine marchande prenne toutes les mesures pour se protéger des attaques de pirates, l’autoprotection constituant la meilleure défense.
Toutes les conventions internationales, régionales et sous régionales relatives à la sécurité et la sûreté maritime laisse toujours le soin à chaque Etat qui s’y engage, de mettre en œuvre des politiques, des stratégies à l’effet de protéger ses territoires maritimes, sécuriser le commerce maritime de toutes les formes d’actes illicites, bref, d’assurer sa sécurité et sa sûreté maritime conformément aux normes et principes internationaux pertinents.
En réaction, le législateur camerounais a adopté, et Son Excellence Monsieur le Président de la République promulgué la Loi N°2022/017 du 27 Décembre 2022, portant répression de la piraterie, du terrorisme et des atteintes contre la sécurité de la navigation maritime et des plateformes.
Par cette loi, le Cameroun se dote enfin d’un cadre juridique pour prévenir et réprimer la criminalité maritime nationale et transnationale, assurer une protection efficace du milieu marin.
Mais comment comprendre cette loi ? Assure-t-elle efficacement et suffisamment la sécurité de la navigation maritime ? Est-elle-à la hauteur de toutes les attentes ? Est-elle suffisamment rude pour dissuader toutes les personnes qui se livrent aux activités et actes criminels dans le domaine maritime ? Cette loi est-elle complète ? Est-elle ambitieuse ?
Dans notre tentative de répondre à ces nombreuses questions, nous constatons et soutenons que la Loi N°2022/017 du 27 Décembre 2022, portant répression de la piraterie, du terrorisme et des atteintes contre la sécurité de la navigation maritime et des plateformes est une loi rigoureuse et dissuasive (I) ; mais pas assez pour dissuader les infracteurs et leurs complices (II).
I- LOI N°2022/017 DU 27 DECEMBRE 2022 : LOI RIGOUREUSE ET DISSUASIVE.
Les caractères, le ton de cette loi démontre à suffire de la volonté du législateur camerounais de réprimer avec la dernière énergie la piraterie, le terrorisme ainsi que des actes qui portent atteinte à la sécurité de la navigation maritime et des plateformes. La répression de la criminalité transnationale est farouche (A), la procédure est rigoureuse et le tribunal militaire est la juridiction compétente pour en connaître (B). Tant l’action publique que la peine sont imprescriptibles (C).
A- Une répression farouche.
Les peines vont d’un emprisonnement de vingt (20) ans, à vie, et / ou d’une amende de dix millions (10.000.000), à deux milliards cinq cent millions (2.500.000.000) de francs CFA contre toute personne qui porte atteinte contre la sécurité de la navigation maritime et des plateformes par : le transport illicite des enfants mineurs (2), la piraterie, le terrorisme (1), la pollution du plan d’eau et des voies navigables (3), des émissions non autorisées (4), ou tout autre acte illicite défini par la présente loi.
1- Piraterie, terrorisme et autres actes illicites qui entravent la sécurité de la navigation maritime et des plateformes.
Ainsi donc, sera punie d’un emprisonnement à vie et/ou d’une amende de vingt millions (20.000.000) à deux cents millions (200.000.000) de francs CFA, toute personne qui commet les actes suivants :
-La piraterie[2] ;
-S’attaque à tout bâtiment de guerre ou à tout navire affecté à un service public mais dont l’équipage mutiné s’est rendu maître ;
-A l’aide de violences ou menaces de violences, s’empare d’un navire ou en exerce le contrôle ;
-Accomplit un acte de violence à l’encontre d’une personne se trouvant à bord d’un navire, si cet acte est de nature à compromettre la sécurité de la navigation ou du navire ;
-Place ou fait placer un navire, par quelques moyens que ce soit, un dispositif ou une substance propre à détruire le navire ou à causer au navire ou à sa cargaison, des dommages qui compromettent ou sont de nature à compromettre la sécurité de la navigation ou du navire ;
-Détruit ou endommage des installations ou des services de navigation maritime ou en perturbe le fonctionnement, si l’un de ces actes est de nature à compromettre la sécurité de la navigation ;
-Communique de faux renseignements de nature à compromettre la sécurité de la navigation d’un navire ;
-Exerce des menaces ou pose des actes d’intervention illicites contre les passagers, l’équipage, le personnel au sol ou le public ;
-Fabrique ou transporte des explosifs non marqués[3] ;
-Commet un acte contraire aux prescriptions de la règlementation relative à la sécurité de la navigation maritime.
Est également punie des mêmes peines[4], c’est-à-dire d’un emprisonnement à vie et /ou d’une amende de vingt millions (20.000.000) à deux cent millions (200.000.000) de francs CFA, toute personne qui :
-A l’aide de violences ou menaces de violences, s’empare d’une plateforme ou en exerce le contrôle ;
-Détruit une plateforme ou lui cause des dommages de nature à compromettre sa sécurité ;
-Accomplit un acte de violence à l’encontre d’une personne se trouvant à bord d’une plateforme, si cet acte est de nature à compromettre la sécurité de la plateforme ;
-Place ou fait placer sur une plateforme par quelque moyen que ce soit, un dispositif ou une substance propre à la détruire ou de nature à compromettre sa sécurité.
-Illicitement et intentionnellement, emploie à bord, contre ou à partir d’un navire, des armes, explosifs ou des substances biologiques, chimiques ou nucléaires dans un but d’intimidation ou de contrainte à l’égard des populations ou des gouvernements ;
-Procède à une prise d’otages dans un but d’intimidation ou de contraintes à l’égard des populations ou des gouvernements ;
-Transporte à bord d’un navire les mêmes armes ou substances dans le même but d’intimidation ou de contraintes ;
-Utilise un navire dans le but de faire des victimes ou de causer de graves dommages ;
-Transporte intentionnellement et en toute connaissance de cause, à bord d’un navire, les armes biologiques, chimiques ou nucléaires, des substances destinées à être intégrés dans un processus de fabrication d’engins nucléaires, des matériels destinés à être utilisés de façon significative dans la production d’armes biologiques, chimiques ou nucléaires.
2) Le transport illicite des enfants mineurs.
Les dispositions de l’article 7 de la présente loi assurent la protection des mineurs embarqués de manière illicite, à bord des navires à des fins d’exploitation. A ce titre, est réprimé d’un emprisonnement de vingt (20) ans et / ou d’une amende de dix (10.000.000) à cent millions (100.000.000) de francs CFA,
-toute personne qui fait embarquer à bord d’un navire, des enfants de moins de dix-huit (18) ans, pour son propre compte ou pour être remis à un tiers, moyennant paiement ou non, en vue de leur exploitation ;
-le capitaine, ou tout autre membre de l’équipage, même à l’insu du capitaine, qui embarque les mineurs à des fins de pédophilie, de prostitution ou d’enrôlement ;
-toute personne qui volontairement et en toute connaissance de cause, embarque ou participe au convoyage des mineurs.
3) La pollution du plan d’eau et des voies navigables.
Le Cameroun tient à assurer et à garantir de manière pérenne, la protection de son environnement marin. Aussi, aux termes des dispositions de l’article 8 de la présente loi, sera punie de l’emprisonnement à perpétuité et / ou d’une amende de cinq cent millions (500.000.000) à deux milliards cinq cents millions (2.500.000.000) de francs CFA, toute personne qui déversera intentionnellement en mer et dans les voies navigables, des substances liquides et nocives des catégories A, B, C et D, telles que définies par la convention internationale pour la prévention de la pollution par des navires (MARPOL 73/78)[5].
Cette disposition s’applique également en cas de transport des substances nocives en colis, conteneurs, citernes mobiles, camions, wagons citernes ou tout autres moyens.
Il faut relever que les peines de l’article 8 de la présente loi sont doublées lorsque malgré la sommation de l’autorité compétente, le mis en cause a persisté dans la commission de l’infraction.
4) Les émissions non autorisées.
Les dispositions de l’article 9 de la présente loi répriment de l’emprisonnement à perpétuité et/ou d’une amende de deux cents millions (200.000.000) à cinq cent millions (500.000.000) de francs CFA, toute personne qui dans le but de porter atteinte à la sureté de l’Etat, émet illégalement par radio, télévision, ou tout autre moyen de diffusion, depuis un navire ou une installation fixe ou mobile en haute mer.
Toute personne reconnu coupable de complicité[6] est punie des mêmes peines que l’auteur ou les auteurs principal (aux).
L’auteur ou le complice qui pour une raison quelconque ou parce qu’il croit pouvoir échapper à la sanction, permet d’interrompre la commission de l’infraction ou d’éviter que celle-ci n’entraîne la mort, les dommages corporels ou matériels sera puni d’un emprisonnement de cinq (5) à quinze (15) ans.
Une fois les infractions à la sécurité de la navigation constatées suivant procès-verbal, ces auteurs sont conduits devant la juridiction compétente pour application et exécution de la sanction.
B- La rigueur de la procédure : le tribunal militaire, la juridiction compétente.
Avant le déferrement devant la juridiction compétente, il faut dire que les officiers de police judiciaire à compétence spéciale que sont les administrateurs des affaires maritimes, les inspecteurs de la navigation maritime, les inspecteurs de l’environnement, les fonctionnaires des douanes, peuvent pour constater les infractions, procéder aux déroutements, à l’arraisonnement, aux saisies éventuelles et à la garde à vue des suspects jusqu’à quai.
A quai, la procédure est transmise aux officiers de police judiciaire à compétence générale, en conformité au Code de Procédure Pénale. Leurs procès-verbaux dument signés sont transmis à l’autorité maritime compétente qui saisit le Commissaire de Gouvernement.
Toutes les infractions visées par la présente loi et qui portent atteinte à la sécurité de la navigation ne relèvent point de la compétence des juridictions civiles, mais uniquement de celle du tribunal militaire, juridiction à compétence spéciale. Elle a été créée pour connaître spécialement des infractions commises par les militaires, les infractions à la législation des armes à feu, les infractions relatives aux actes de terrorisme et à la sûreté de l’Etat, etc.
Toutefois, lorsque les infracteurs sont des mineurs de moins de dix-huit (18) ans, le Commissaire de Gouvernement transmet leur dossier au parquet près la juridiction compétente en matière de délinquance juvénile.
Les actes de piraterie, de terrorisme ainsi que les actes illicites qui portent atteinte à la sécurité de la navigation ne peuvent rester impunis par l’érosion du temps. L’écoulement de celui-ci ne peut suffire pour garantir le pardon judiciaire.
C- L’imprescriptibilité de l’action publique et de la peine.
L’action publique tend à faire prononcer contre l’auteur d’une infraction, une peine ou une mesure de sûreté édictée par la loi. Elle s’éteint par la prescription.
La prescription[7] est l’extinction de l’action publique résultant de l’action du non-exercice de celle-ci avant l’expiration du délai prévu pour agir. Après l’écoulement d’un certain temps, l’action en justice n’est plus possible.
La prescription est un mode général d’extinction du droit de poursuivre et du droit d’exécuter une peine.
En matière de crime, délit et contravention, l’action publique se prescrit respectivement par dix (10), trois (03) et un (01) an à compter du lendemain du jour où le crime a été commis.
En matière d’exécution de la peine, le délai de prescription est de vingt (20) ans en cas de crime, cinq (05) ans pour délit et deux ans (02) pour contravention.
A la lecture de la présente loi, les actes illicites portant atteinte à la sécurité de la navigation sont classés dans la catégorie de crime et partant, le délai de prescription de l’action publique aurait été de dix (10) ans et celui de la peine de vingt (20) ans. Or, que non. Tant l’action publique que celle d’exécution de la peine sont imprescriptible et ne s’écroulent pas par l’écoulement du temps.
Ainsi donc, l’auteur d’une telle infraction ne peut échapper aux poursuites ou à l’exécution de sa peine que par la mort.
Au premier regard, l’on serait tenté de dire que la loi du 27 Décembre 2023 dont nous menons l’étude est suffisamment rude pour dissuader tout infracteur, mais que non.
II- LOI N°2022/017 DU 27 DECEMBRE 2022 : UNE DISSUASION APPROXIMATIVE.
Aucune œuvre humaine n’étant parfaite, cette loi présente certaines faiblesses dont pourraient s’en prévaloir certains criminels véreux. Son champ d’application est assez limité (A), elle n’est pas arrimée au Nouveau code de la marine marchande CEMAC (B), ce qui n’est pas sans conséquence. Toutefois, tout espoir n’est pas perdu avec la suprématie des conventions internationales sur les lois nationale (C)
A- Un champ d’application assez restreint et omission de certaines activités maritimes illicites.
La loi N°2022/017 du 27 Décembre 2022 portant répression de la piraterie, du terrorisme et des atteintes contre la sécurité de la navigation maritime et des plateformes n’est pas ambitieuse et refuse de s’arrimer au temps.
1) La restriction de son champ d’application.
En effet, cette loi définit la ‘‘piraterie’’ comme tout acte illicite de violence commis par l’équipage ou des passagers d’un navire privé, agissant à des fins privées et dirigé contre un autre navire, des personnes ou des biens à leur bord en haute mer, en un lieu ne relevant de la juridiction d’aucun Etat.
Cette définition semble incomplète parce que les pirates peuvent également faire usage des appareils comme l’aéronef ou même le drone pour commettre leur forfaiture.
Quand bien même l’on fait un crochet à l’article 4 qui réprime les atteintes contre la sécurité de la navigation maritime, il n’est nulle part fait mention de l’usage des appareils comme le drone ou l’aéronef alors que nous savons oh combien les terroristes peuvent en faire usage à l’effet de s’emparer d’un navire, d’en exercer le contrôle ou même de le détruire. La technologie évolue, nous sommes à l’ère du numérique, de l’automatisation et il faut s’arrimer au temps.
Quid des pillages commis en haute mer ou dans un lieu ne relevant de la juridiction d’aucun Etat, de l’équipage d’un aéronef contre un autre navire ? Un tel acte criminel ne constitue-t-il pas une atteinte contre la sécurité de la navigation ?
Le législateur camerounais aurait gagner à retranscrire tout simple les dispositions de la convention des Nations Unies sur le Droit de la mer ( Montego Bay) ou même du Code de conduite de Yaoundé relatif à la prévention et à la répression des actes de piraterie, des vols à main armée à l’encontre des navires et des activités maritimes illicites en Afrique de l’Ouest et du Centre qui définissent la ‘‘piraterie’’ comme :
« Tout acte illicite de violence ou de détention ou toute déprédation commis par l’équipage ou des passagers d’un navire ou d’un aéronef privé, agissant à des fins privées, et dirigé :
i) Contre un autre navire ou aéronef, ou contre des personnes ou des biens, à leur bord en haute mer ;
ii) Contre un navire ou aéronef, des personnes ou des biens, dans un lieu ne relevant de la juridiction d’aucun Etat »
2) Omission de certaines activités maritimes illicites.
Le trafic illicite des migrants, la pêche illégale, non déclarée, non règlementée, sont autant de préoccupations d’ordre international qui exigent l’intervention, la collaboration et la coopération de tous les Etas afin de dissuader les contrevenants. Le Code de conduite de Yaoundé les appelle « actes criminels transnationaux organisés dans le domaine maritime ». La Charte de Lomé parle de « Criminalité transnationale organisée ».
Parlant de la criminalité transnationale organisée, la Charte de Lomé la décrit en ces termes : « criminalité organisée coordonnée au-delà des frontières nationales, et impliquant des groupes criminels organisés c’est-à-dire un groupe structuré de trois personnes ou plus, existant depuis un certain temps, agissant de concert, dans le but de commettre une ou plusieurs infractions graves, pour en tirer directement ou indirectement, un avantage financier ou tout autre avantage matériel, ou des réseaux d’individus travaillant dans plus d’un pays pour planifier et mener des activités illicites. Afin d’atteindre leurs objectifs, ces groupes criminels recourent systématiquement à la violence et à la corruption ».
Le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée définit en son article 3 (a) le trafic illicite de migrants comme « le fait d’assurer, afin d’en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, l’entrée illégale dans un Etat Partie d’une personne qui n’est ni un ressortissant, ni un résident permanent de cet Etat »
Les ‘‘passeurs clandestins’’ comme on les appelle, aident moyennant paiement d’une certaines sommes, les personnes à franchir clandestinement des frontières. Parfois, au cours de l’expédition, le clandestin se trouve soumis à des contraintes ou placées de force dans une situation d’exploitation. C’est la traite des humains, une forme de criminalité organisée qui s’apparente à de l’esclavage moderne.
Le législateur camerounais aurait pu également être plus ambitieux en élargissant ce texte qui arrive à point nommé à la répression de la pêche illégale, non déclarée, non règlementée (pêche INN) qui prolifère dans les eaux camerounaises et qui menace dangereusement la durabilité des activités de la pêche, la sécurité alimentaire et des emplois qu’elle procure.
La pêche INN constitue un portail d’entrée à la pauvreté, au chômage, à l’instabilité sociale, à l’insécurité alimentaire et partant à une décadence économique.
La pêche INN[8] porte sérieusement atteinte à la sécurité de la navigation puisqu’elle s’accompagne ou alors facilite la perpétration d’actes criminels tels : piraterie, terrorisme, vols à main armée, trafic d’armes, de stupéfiants, de drogue, d’êtres humains, déversement des déchets en mer, trafic de siphonage de pétrole brut en mer, la contrebande, le trafic de produits divers, l’enlèvement d’équipages à bord de navire contre rançon, l’immigration clandestine, le blanchiment d’argent, l’enlèvement d’équipages, etc.
La pêche INN constitue une véritable menace à l’écosystème aquatique qui doit faire face aux modifications physiques et chimiques. C’est un obstacle à la politique de conservation et de gestion de stocks, portant ainsi atteinte à la préservation de l’écosystème aquatique ;
B- Le non harmonisation avec la convention sous régionale CEMAC : risque énorme de déni de justice.
Une autre lacune que présente cette loi est son non arrimage, son non harmonisation avec le Nouveau code de la marine marchande CEMAC en dépit de l’article 758 dudit code qui dispose en conformité avec les textes internationaux pertinents que « les pénalités sanctionnant les infractions maritimes, telles que définies par le présent Code, sont fixées par la législation de chaque Etat membre ». Or, certaines infractions à la sécurité maritime recensées par le Nouveau Code CEMAC ne sont pas prises en compte par la loi N°2022/017 du 27 Décembre 2022 qui réprime pourtant les infractions à la sécurité maritime. Il s’agit des infractions concernant la police de la navigation prévues par l’article 772 de ce Code qui dispose :
« Relèvent du pouvoir discrétionnaire de l’autorité maritime compétente la constatation et la répression des infractions ci-après concernant la police de la navigation, à savoir :
-fait de ne pas arborer le pavillon ;
-refus par le capitaine de transporter un prévenu ;
-refus de répondre à l’appel d’un bâtiment de guerre ;
-abandon d’un blessé ou d’un malade à terre ;
-infractions aux dispositions sur le travail, la nourriture et le couchage ;
-infractions aux règles sur le commandement ;
-navigation sans titre ;
-infractions à la règlementation sur le rôle d’équipage ;
-fausses pièces professionnelles maritimes ;
-accès à bords non autorisés ;
-embarquement clandestin ;
-défaut de dépôt obligatoire du rôle d’équipage ;
-infraction du capitaine sur rades étrangères ;
-transport et déchargement de déchets industriels toxiques ;
-vol ou recel d’épaves ;
-perte ou destruction volontaire du navire ;
-Infractions aux règlements pour prévenir les abordages ;
-abordage, échouement par négligence du capitaine ou abandon du navire par le capitaine ;
-instigation d’infractions maritimes ;
-infractions aux règles relatives à la navigation réservée ;
-pilotage d’un navire sans commission régulière de pilote maritime ;
-refus de communiquer les documents et informations requis par l’autorité maritime compétente ».
Suivant le principe de la légalité des délits et des peines, garanties essentielles des droits des personnes et principe fondamental en droit pénal, aucun acte ne peut être retenu comme une infraction et une quelconque sanction, peine ou condamnation appliquée s’il n’en est ainsi prévu par la loi.
En gardant le silence sur ces infractions qui touchent à la police de la navigation et partant portent atteinte à la sécurité de la navigation maritime, celles-ci resteront toujours impunies par la loi pénale. Peut-être ne constituent-elles que de simples actes illicites dont les sanctions y relatives suivant les cas relèvent de la pure discrétion de l’autorité maritime qui peut suivant son bon vouloir sévir. Or, même cette discrétion reste encore encadrée par la loi afin d’éviter tout abus.
Il faut dire que les répressions, les réparations pénales, contrairement aux réparations civiles, sont les plus dissuasives. Or, garder un tel silence reviendrait à soutenir que de tels actes ne constituent point d’infractions et partant, les contrevenants s’ils venaient à être présenté en justice seraient purement et simplement relaxé.
De même, l’article 773 du Nouveau Code de la marine marchande CEMAC dispose que « la constatation des infractions relatives à l’organisation générale des transports maritimes et leur répression sont laissées à la discrétion de chaque Etat membre ».
Constituent des infractions relatives aux transports maritimes, conformément aux dispositions des articles 774 et 775 de ce Code :
-Le transport maritime de ligne régulière en provenance ou à destination d’un Etat membre sans l’autorisation requise[9]
-l’importance ou l’exportation par voie maritime de marchandises non couvertes par le document électronique de suivi de cargaison.
Or, la loi N°2022/017 du 27 Décembre 2022 dont nous faisons l’analyse est muette sur de tels actes et partant, ils ne peuvent être efficacement réprimés en l’absence de texte.
C- La suprématie des conventions internationales sur les lois nationales : lueur d’espoir.
En dépit de quelques lacunes que présentent cette loi, une lueur d’espoir, une lumière sombre apparaît tout de même à l’horizon. Espoir parce que conformément à la constitution camerounaise, les conventions légalement formées ont une valeur supérieure à la loi. Aussi, pour ce qui est du contenu d’un acte estimé illicite, ou de la définition de celui-ci, le juge pourra toujours se référer aux conventions internationales et textes pertinents pour pouvoir qualifier d’illicite un acte qui porte atteinte à la sécurité de la navigation et le réprimer conformément à la loi N°2022/017 du 27 Décembre 2022 portant répression de la piraterie, du terrorisme et des atteintes contre la sécurité de la navigation maritime et des plateformes.
Toutefois, cette lueur d’espoir est sombre parce que la répression relevant de la souveraineté d’un Etat, il revient à ce dernier de définir la politique, la stratégie pour protéger ses territoires maritimes, adopter une législation assez sévère, sécuriser le commerce maritime de toutes les formes d’actes illicites, assurer sa sécurité et sa sûreté maritime, prévenir et réprimer la criminalité nationale et transnationale, assurer la préservation et la protection efficace du milieux marin, conformément aux normes et principes internationaux pertinents. Or, la législation nationale est restée un peu évasive, voire même totalement silencieuse sur certains actes, ce qui rend la répression impossible et partant de tels actes qui entravent sérieusement la sécurité de la navigation voire même l’instabilité de l’Etat continueront à être allègrement perpétrés.
En conclusion, La loi N°2022/017 du 27 Décembre 2022 portant répression de la piraterie, du terrorisme et des atteintes contre la sécurité de la navigation maritime et des plateformes était une très belle occasion pour le législateur camerounais de faire un balayage à 180° mais que celui-ci n’a pas su saisir. Il aurait pu saisir cette opportunité pour déceler tous les actes et activités de nature à entraver la sécurité et la sureté de la navigation maritime et des plateformes.
Il est par exemple déplorable de constater le rythme avec lequel les stocks de poissons baissent considérablement dans les eaux camerounaises à cause de la surpêche due à la pêche illégale, non déclarée, non règlementée, activités illicites et criminelles opérées par les pêcheurs nationaux et étrangers, à bord de gros navires de pêche, battant pavillon des Etats, dont la capacité de contrôler efficacement leurs activités est limitée.
Ces entrepreneurs d’un autre genre tirent avantage des lacunes graves que présentent l’Etat de pavillon dans les mécanismes de contrôle, le cadre juridique qui est obsolète, non contraignant et ne s’arrime pas aux obligations régionales et internationales.
Au Cameroun par exemple, il a été relevé que depuis 2018, les navires battants pavillon camerounais sont passés de 14 à 129, parmi lesquels, le TRONDHEIM, navire de type Fish Factory Ship, construit en 1990 qui autrefois sous pavillon Saint-Vincent-et les Grenadines dans les caraïbes, puis de la Géorgie arbore aujourd’hui le pavillon camerounais après avoir changé trois fois de dénomination. D’abord de ZAOSTROVYE en 1990, ensuite à KING FISHER en 2000, enfin à TRONDHEIM depuis 2015. Ces navires, dont les propriétaires sont de grosses entreprises basées à l’étranger, se livrent sans vergogne à de pêches intensives dans les eaux territoriales.
Il est donc plus que jamais important que cette loi soit amendée à l’effet de l’étendre à toutes les activités maritimes illicites, ou alors qu’un autre texte soit adopté afin que disparaissent les navires ‘‘TRONDHEIM’’ dans les eaux camerounaises pour une navigation maritime plus sécurisée, sûre et durable.
[1] S’inspirant du Code de Conduite de Djibouti, les Etats du Golfe de Guinée ont élaboré en 2013 le Code de Yaoundé dans l’optique de coopérer pour éradiquer toutes formes de criminalité maritime. Pour assurer au mieux cette coopération, les Etats sont regroupés en trois (03) zones, dont chacune dispose d’un Centre Régional de Coopération Opérationnel qui assure la coordination entre les zones et les Etats. Ces zones sont les suivantes :
-Le Centre Régional de Sécurité Maritime de l’Afrique Centrale (CRESMAC) ;
-Le Centre Régional de Sécurité Maritime de l’Afrique de l’Ouest (CRESMAO) et
-Le Centre de Coordination Interrégional (CIC) basé à Yaoundé au Cameroun.
[2]Elle est définie par l’article 2 (2) de la présente loi, comme :
a) tout acte illicite de violence commis par l’équipage ou des passagers d’un navire privé, agissant à des fins privées et dirigé :
-Contre un autre navire, des personnes ou des biens à leur bord, en haute mer
-Contre un navire, des personnes ou des biens en un lieu ne relevant de la juridiction d’aucun Etat.
b) tout acte de participation volontaire à l’utilisation d’un navire pirate, en connaissance de cause ;
c) tout acte d’incitation à commettre les actes définis aux alinéas a et b, ci-dessus, ou commis dans l’intention de les faciliter ;
[3] À moins qu’il s’agisse d’engins militaires autorisés au sens de la convention sur le marquage des explosifs plastiques et en feuilles aux fins de détection signée à Montréal le 01 Mars 1991. De même, les affres de la Loi N°2022/017 du 27 Décembre 2022 ne s’appliquent pas :
-aux navires de guerre ;
-aux navires appartenant à un Etat ou exploités par un Etat, lorsqu’ils sont utilisés comme navires de guerre auxiliaires, à des fins de douane, de police ou de recherche ;
-aux navires qui ont été retirés de la navigation ou désarmés. Cf. article 4 (2) de cette loi.
[4] Cf. article 5 (1) et 6, Loi N°2022/017 du 27 Décembre 2022.
[5] Cf. Classement en catégories et liste des substances liquides nocives et autres substances, définis par la Règle 6 de l’Annexe II de la convention MARPOL, laquelle Règle fait un classement des substances liquides nocives en quatre (4) catégories, X, Y, Z et autres substances.
[6] Est complice, toute personne qui par quelque moyen que ce soit, aide, procède ou participe au financement de l’une des infractions prévues par la Loi N°2022/017 du 27 Décembre 2022. Cf. article 10.
[7] Cf. article 65 du Code de Procédure Pénal camerounais
[8] Cf. Sophie De S. DJOUFA TIEMAGNI, «Economie bleue africaine en proie à la pêche illégale, non déclarée, non règlementée » https://www.legavox.fr/blog/sophie-de-sylvie-djoufa-tiemagni/administration/article/edition/index.php?etape=contenu&id_article=32910
[9] L’article 464 du Nouveau Code de la marine marchande CEMAC dispose : « Tout armement de ligne régulière désireux de participer au trafic en provenance ou à destination d’un Etat membre doit solliciter une autorisation de l’autorité maritime compétente ».