L’URGENCE D’UNE REFORME POUR PALLIER AU DENI DE JUSTICE EN MATIERE DE CONTENTIEUX MARITIME DANS LA ZONE CEMAC : CAS DU CAMEROUN
Sophie De Sylvie DJOUFA TIEMAGNI
Avocate
Le déni de justice est le refus que fait un juge de statuer, de trancher suivant les règles de droit, un litige qui existe en fait, alors qu’il a été régulièrement saisi. Ce refus survient alors même que la juridiction saisie est habileté à le faire. Le droit à la justice est un droit sacré, constitutionnellement[1] protégé et garanti par l’Etat[2]. A ce titre, le juge qui refuse délibérément de rendre la justice tombe sous le coup du « déni de justice[3] » et pourrait subir les affres de la sanction[4]. Vu sous cet angle, toutes les conditions de fait et de droit sont réunies pour que le juge accomplisse sa mission, mais ce dernier s’y abstient. Or, dans le cas qui retient notre attention, la juridiction saisie n’est pas justement habileté à connaitre du litige qui oppose les parties au procès du fait de l’existence et de la coexistence de deux (02) ordres de juridiction. Il s’agit de l’ordre interne et de l’ordre communautaire avec cette précision que les deux ordres sont régis par des textes contradictoires pour ce qui est de la juridiction compétente pour connaître du contentieux maritime ainsi que des voies de recours envisageables.
L’Ordonnance N°62-OF-30 du 31 Mars 1962 portant Code de la Marine Marchande en son Livre IV, article 200 intitulé « Règlement des litiges » dispose que : « Les actions principales et récursoires seront portées devant les tribunaux désignés par les règles de compétence du droit commun. Toutefois, si le port de destination est situé au Cameroun, le chargeur, le réceptionnaire ou leur ayant-droit pourront assigner le transporteur devant le tribunal de ce port ». Les règles de compétence de droit commun sont déterminées par la Loi N°2006/015 du 29 Décembre 2006 modifiée et complétée par la Loi N°2011/027 du 14 Décembre 2011 portant Organisation Judiciaire, la Loi N°2006/16 du 29 décembre 2006 modifiée et complétée par la Loi N°2017/014 du 12 Juillet 2017 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême, ainsi que le Code de Procédure Civile et Commerciale. Le Tribunal de Première Instance[5] est compétent pour connaître en matière commerciale des contestations dont le taux évalué en argent est inférieur à FCFA 10.000.000 (dix millions). Lorsque le taux évalué en argent de ces contestations est supérieur à FCFA 10.000.000 (dix millions) alors c’est le Tribunal de Grande Instance[6] qui sera habilité pour en connaître. Les tribunaux d’instance sont saisis sauf quelques exceptions[7] par assignation dans le respect des délais[8] de procédure. Les appels interjetés à l’encontre des décisions rendues par ces juridictions dites inférieures seront portés par requête[9] devant la Cour d’Appel[10] dont les Chambres sont respectivement compétentes pour connaître des décisions rendues par les Chambres correspondantes des tribunaux de Première et Grande Instance. La Chambre Judiciaire de la Cour Suprême[11], la plus haute juridiction de l’Etat, connaît quant à elle des décisions rendues en dernier ressort par les cours et tribunaux ainsi que de toutes autres matières qui lui est expressément attribuée par la loi.
Le Nouveau Code de la Marine Marchande, texte applicable dans l’espace CEMAC[12], dispose en son Livre IX, Titre I, article 796 que :
«1. Dans chaque Etat membre, il est institué un tribunal commercial maritime ou une chambre maritime au sein des tribunaux de commerce ou des tribunaux d’instance, pour connaître du contentieux maritime.
2. Dans chaque Etat membre, il est également institué une chambre maritime au sein de la Cour d’appel compétente pour connaître des décisions rendues en premier ressort par les juridictions visées au paragraphe précédent.
3. Les modalités de fonctionnement et la composition de ces juridictions spécialisées sont fixées par la législation de chaque Etat membre dans le cadre de son organisation judiciaire.
4. Les arrêts rendus par la chambre maritime de la Cour d’appel sont susceptibles de recours devant la Cour de justice communautaire.
5. Les délais de recours devant la Cour de justice communautaire sont ceux fixés par le règlement de ladite cour. »
A la lecture de ce texte aussi clair que l’eau de roche, chaque Etat membre est tenu[13] d’arrimer sa législation nationale à celle communautaire et de procéder à la création des juridictions maritimes. Or en l’état actuel du droit positif camerounais, il n’existe ni de Tribunal commercial maritime ou de chambre maritime au sein des tribunaux d’instance, ni de chambre maritime au sein de la Cour d’appel. Au surplus, les arrêts rendus par la chambre commerciale de la Cour d’appel dans le domaine maritime font toujours l’objet de pourvoi devant la Cour Suprême en lieu et place de la Cour de Justice Communautaire[14]. Les litiges à caractère maritimes continuent donc à être diligenter et régler suivant le droit commun.
Soucieux et déterminés à donner une impulsion nouvelle et décisive au processus d’intégration en Afrique Centrale[15]par une harmonisation des législations applicables dans les différents Etats membres et garantir la mise en place d’une jurisprudence harmonisée, la Communauté CEMAC a mis sur pied sa Cour de Justice.
Instituée par le Traité de la Communauté CEMAC en son article 48, la Cour de Justice Communautaire est chargée d’assurer le respect du droit dans l’interprétation et dans l’application du traité et des conventions subséquentes. Le Nouveau Code de la Marine Marchande CEMAC constitue l’une de ces « conventions subséquentes ». Aussi, la Cour de Justice de la communauté a pour mission d’assurer le respect de son application. Cette mission lui est confirmée par l’article 2 de la Convention[16] régissant la Cour de Justice Communautaire de la CEMAC Révisée à Libreville au Gabon le 30 Janvier 2009 qui dispose que « La Cour de Justice veille au respect du droit quant à l’interprétation et à l’application du Traité de la CEMAC et des textes subséquents ». Or, malgré le pouvoir dévolu à la Cour de Justice de la Communauté pour veiller au respect de l’application des textes subséquents et par ricochet, de connaître du contentieux maritime en dernier ressort[17], tant le Statut de la chambre judiciaire de la Cour de justice de la communauté que son Règlement de procédure sont muets sur cette compétence, de telle sorte qu’il devient difficile voire impossible d’affirmer sans risque de se tromper que la Cour de justice CEMAC est compétent pour en connaître.
Ainsi donc, devant les juridictions d’instance, une partie au procès peut et doit même de droit soulever l’incompétence du tribunal saisi ; or, la juridiction qui devrait en connaître (Tribunal commercial maritime ou chambre maritime) n’existe pas dans le contexte juridique camerounais actuel. De même, une partie à un procès dont le pourvoi a été formé devant la chambre judiciaire de la Cour Suprême peut soulever de droit l’incompétence de cette juridiction. De la même manière, la Cour Suprême peut et doit d’ailleurs se déclarer d’office, en application du Nouveau Code de la Marine Marchande en son article 796 (paragraphe 4) incompétente à connaître de ce litige, et renvoyer les parties à mieux se pourvoir. Dans ce cas, les parties peuvent-elles saisir avec succès la Cour de Justice Communautaire de la CEMAC ? A la suite d’un arrêt rendu par la Cour d’appel, la partie au procès qui n’est pas satisfaite peut-elle au lieu de saisir la Cour Suprême comme c’est le cas actuellement, saisir la Cour de Justice de la Communauté sans risque de voir son action déclarée irrecevable parce qu’elle n’a pas qualité pour agir devant celle-ci ? Ces disparités ne risquent-elles pas d’aboutir inévitablement à un déni de justice ? Que faut-il faire pour remédier à ces obstacles ?
Il ne fait l’ombre d’aucun doute que l’incohérence, l’incompatibilité de la législation nationale à celle communautaire (I), ainsi que le mutisme entretenu par les textes de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (II), comme nous le verrons, pourront donner lieu à un déni de justice. D’où l’urgence d’une reforme textuelle (III).
I- LE DENI DE JUSTICE RESULTANT DE L’INCOMPATIBILITE DE LA LEGISLATION NATIONALE A LA LEGISLATION COMMUNAUTAIRE.
L’inexistence des juridictions nationales habilitées à connaître des litiges relevant du domaine maritime (A) découle de la violation du principe sacro-saint de la primauté du droit communautaire sur le droit national (B). Toutefois, bien que ces manquements soient justifiés (C), cela ne peut point constituer une excuse.
A) L’inexistence des juridictions nationales compétentes pour connaître des litiges relevant du domaine maritime.
En l’état actuel du droit positif camerounais, le contentieux maritime est régi par le droit commun en vertu de l’article 200 de l’ordonnance N°62-OF-30 du 31 Mars 1962 portant Code de la Marine Marchande. Il pourrait s’agir du Tribunal de Première Instance ou du Tribunal de Grande Instance suivant que le montant de la demande est inférieur ou supérieure à FCFA 10.000.000 (dix millions). Mais généralement, le contentieux maritime étant une affaire de gros sous, c’est le Tribunal de Grande Instance qui est saisi. Or l’article 796 du Nouveau Code de la Marine Marchande dispose clairement et sans aléa ou option possible que la juridiction qui doit connaître du contentieux maritime est le Tribunal Commercial Maritime ou la Chambre Maritime instituée au sein des tribunaux d’instance et de la Cour d’appel.
Face à l’inexistence de ces juridictions, la justice continue à être rendue dans le domaine maritime par les juridictions de droit commun tout en faisant applications du droit communautaire en la matière. En toute logique, ces juridictions sont incompétentes. Le système fonctionne ainsi sans que personne n’y trouve d’objection ni au niveau national, ni au niveau régional. Je pense que les Etats membres de la Communauté ne doivent pas seulement se contenter de signer et de ratifier des textes qui les obligent tous, mais ils se doivent de s’y soumettre, d’y apporter leurs concours pour la réalisation des objectifs communs. Ils doivent éviter de prendre quelques mesures que ce soient, susceptibles de faire obstacle à l’application des conventions. Ainsi donc, ne pas prendre des dispositions pour arrimer la loi nationale à celle communautaire est non seulement anticonstitutionnelle, mais constitue une violation grave du principe de la primauté du droit communautaire sur le droit national. Le droit communautaire dans son entièreté doit être intégré dans le droit national.
B) La violation du principe sacro-saint de la primauté du droit communautaire sur le droit national.
Ce principe consacre la suprématie du droit communautaire sur le droit national. Ainsi donc, en cas de conflit entre le droit communautaire et le droit national, c’est le premier qui l’emporte sur le second. Ce principe est affermi par la Constitution camerounaise en son article 45 qui dispose que : « Les traités ou accords internationaux régulièrement approuvés ou ratifiés ont, dès leur publication une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque accord ou traité de son application par l’autre partie ». Dans le même sens, l’article 44 du Traité[18] instituant la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale et révisé à Libreville au Gabon le 30 Janvier 2009 stipule avec beaucoup de précision que : «Sous réserve des dispositions de l’article 43[19]du présent Traité, les actes adoptés par les Institutions, Organes et Institutions spécialisées de la Communauté pour la réalisation des objectifs du présent Traité sont appliqués dans chaque Etat membre nonobstant toute législation nationale contraire, antérieure ou postérieure ». Ainsi donc, « Une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité », article 27 de la Convention de Vienne du 23 Mai 1969. La force obligatoire du droit internationale s’impose au juge interne.
La législation nationale actuelle, qui plus est contraire à la législation communautaire, est obsolète et ne doit plus s’appliquer au motif qu’une disposition interne le prévoit expressément. En lieu et place de la Loi N°2006/015 du 29 Décembre 2006 modifiée et complétée par la Loi N°2011/027 du 14 Décembre 2011 portant Organisation Judiciaire, la Loi N°2006/16 du 29 décembre 2006 modifiée et complétée par la Loi N°2017/014 du 12 Juillet 2017 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême, doit être appliqué le Nouveau Code Communautaire de la Marine Marchande CEMAC. Ce principe est d’autant plus fort de sens que saisi en cassation pour connaître des questions relatives à l’application des Actes Uniformes de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), le juge de la Cour Suprême du Cameroun[20] s’est dans l’affaire OMAÏS KASSIM du 15 Juillet 2010 déclarée tout simplement incompétente et renvoyé la cause et les parties devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage d’Abidjan en Côte d’Ivoire. Par cette jurisprudence, le juge de la Cour Suprême a fait une juste et saine application du droit en se refusant de faire application de la loi nationale en lieu et place de l’Accord international. Pour parachever son œuvre et contribuer ainsi à l’édification d’une jurisprudence communautaire harmonisée, le juge de la Cour Suprême doit également se déclarer incompétent pour connaître des litiges relevant du droit maritime dont il est saisi et renvoyer la cause et les parties devant la Cour de Justice Communautaire de N’Djamena au Tchad.
Le mépris du principe de la primauté des Traités et Accords internationaux rend inefficace voire impossible l’objectif de la Communauté qui est celui de l’harmonisation des jurisprudences dans les matières dont ils relèvent. Toutefois, il faut relever que ce mépris résulte généralement de la méconnaissance du droit communautaire.
C) Les justifications possibles de la mauvaise application du droit communautaire.
Le défaut ou la mauvaise appropriation des textes, le faible ancrage du droit maritime au niveau national, découle de la méconnaissance, de l’ignorance du droit communautaire du fait du défaut de formation des différents acteurs, principalement les magistrats chargés de dire le droit, les avocats qui conseillent, assurent la défense et représentent les parties au procès. Le juge, spécialiste dans l’art de juger doit pouvoir disposer de vastes aptitudes pour apprécier les faits et dire le droit. Il doit pouvoir disposer d’une vaste connaissance des grands principes généraux ainsi que dans divers domaines du droit. Mais pour se faire, une spécialisation s’impose, faute de quoi le droit risquerait d’être biaisé.
Cette ignorance du droit communautaire est un obstacle majeur à son application saine et à sa vulgarisation. Les parties et leurs conseils trainent encore les pas pour invoquer la disposition communautaire dans leurs conclusions ou au cours des débats dans l’optique de voir invalider une disposition du droit interne lorsque celle-ci est contraire à cette norme communautaire. Au surplus, les parties saisissent le plus souvent, à tort le juge national pour des questions communautaires sans que ce dernier ne puisse élever d’office son incompétence[21].
La complexité et le coût de la procédure devant la Cour de Justice Communautaire de la CEMAC peut également justifier la difficulté d’appropriation du droit communautaire. Suivant les termes de l’article 13 de l’Acte additionnel N°04/00/CEMAC-041-CCE-CJ-02 du 14 Décembre 2000 portant règles de procédure de la Chambre Judiciaire de la CEMAC, « La Chambre est saisie, soit par requête d’un Etat membre, du Secrétaire Exécutif, d’une Institution, d’un Organe, de la CEMAC et de toute personne physique ou morale justifiant d’un intérêt certain et légitime, soit par notification d’un compromis, soit par renvoi des juridictions nationales ou des organismes à fonction juridictionnelle ». Les parties sont tenues en outre de se soumettre aux dispositions des articles 13 et suivants[22] de l’Acte additionnel sus-énoncé. Les parties sont tenues d’élire domicile à N’Djamena au Tchad, siège de la Cour de Justice de la CEMAC. A ce titre, elles doivent de leur propre initiative trouver un contact à N’Djamena (généralement un Cabinet d’avocat) pour y loger leur domicile à peine d’irrecevabilité de leur requête. S’il est vrai que l’élection de domicile permet de rapprocher les parties de la Cour et de facilité la notification des éléments du dossier et actes de procédure, elle n’est pas du tout gratuite. Les parties doivent adresser leur requête à la Cour de Justice de la Communauté ou la déposer à son Greffe. Ceci revient à dire que la partie demanderesse devra délier bourse pour y faire parvenir sa requête ainsi que les pièces qui l’accompagnent soit en se rendant sur place à N’Djamena avec tout ce que cela comporte comme frais de transports, de séjours, etc. ; ou faire parvenir ces documents par voie postale ou tout autre moyen lui permettant de le faire à son domicile élu à N’Djamena pour dépôt au Greffe de la Cour. Au-delà de toutes ces tracasseries financières, la partie demanderesse est tenue de verser à peine d’irrecevabilité une caution[23] de 100 000 (cent mille) Francs CFA pour garantir les frais de procédure. A défaut de provision suffisante, aucune suite ne peut être donnée à sa requête.
Il n’est pas absurde d’ajouter que l’usage de plusieurs langues officielles dans la CEMAC ne contribue pas à alléger les procédures. L’article 21 de la Convention régissant la Cour de Justice Communautaire dispose que : « Le français est la langue officielle de travail de la Cour de Justice de la CEMAC. Toutefois, il est admis au sein de la Cour, l’usage de l’anglais, de l’arabe, de l’espagnole ». Ainsi, lorsque les parties pratiquent les langues différentes, il faudra débourser des sommes supplémentaires pour effectuer des traductions et pallier aux risques de communications de sourds-muets. Au regard de toutes ces difficultés, et par les temps qui courent, les justiciables préfèrent se cantonner sur les règles de procédure civile nationale encore et surtout que ni les parties, ni le juge ni même l’Etat n’y trouvent d’objection.
La mauvaise application du droit communautaire peut aussi se justifier par le caractère très peu contraignant des dispositions qu’il contient. La violation des accords n’a pas de conséquences sérieuses voire douloureuses, un Etat ne disposant pas de pouvoir de sanctionner un autre Etat ou alors de l’obliger à exécuter une quelconque décision. Tout est question de bonne foi et de réciprocité. De même, en cas de manquement par un Etat membre aux obligations qui lui incombent, il résulte de l’article 4 du Traité Révisée de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale que, la Cour de Justice peut être saisie à l’effet de prononcer des sanctions dont le régime sera défini par des textes spécifiques. Cette saisine de la Cour de la Communauté relève d’une probabilité, laquelle probabilité à l’état actuel du droit communautaire est de zéro parce que le texte spécifique portant règlementation de la procédure de recours en manquement n’est pas encore adopté encore moins disponible. Par voie de conséquence, il n’y a lieu à aucune sanction possible.
Aux dispositions souples des textes de la CEMAC, il faut relever celles qui sont vagues et donnent lieu de craindre un déni de justice.
II- LE DENI DE JUSTICE RESULTANT DU MUTISME ENTRETENU PAR LES TEXTES DE LA CEMAC SUR LA COMPETENCE DE LA COUR DE JUSTICE COMMUNAUTAIRE EN MATIERE DE CONTENTIEUX MARITIME.
A la lecture des dispositions de l’article 48 du Traité instituant la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale, ensemble celles de l’article 2 de la Convention régissant la Cour de Justice de la CEMAC, desquelles il résulte que la Cour de Justice de la Communauté a pour mission d’assurer et de veiller au « respect du droit dans l’interprétation et dans l’application du Traité et des Conventions subséquentes par les Etats membres, les Institutions et les Organes de la CEMAC», il est certain que cette Cour est compétente pour connaître de toutes les questions relevant du droit maritime dans la zone CEMAC encore et surtout que le Nouveau Code de la Marine Marchande CEMAC en son article 796 la lui confirme. Mais malheureusement, les législateurs CEMAC ont sans doute involontairement omis de consacrer celle-ci tant dans les dispositions qui détaillent les missions et compétences[24] juridictionnelles de la Cour que celles relatives à la procédure de saisine.
A) Les missions et compétence de la Cour de Justice de la Communauté CEMAC.
La Cour de Justice de la Communauté a une fonction juridictionnelle, consultative et d’administration des arbitrages dans les matières relevant du droit de la Communauté[25]. Dans son rôle juridictionnel, l’article 23 de la Convention Révisée dispose en effet que : « la Cour connaît notamment :
- Des recours en manquement des Etats membres, des obligations qui leur incombent en vertu du Traité de la CEMAC et des textes subséquents ;
- Des recours en carence des Institutions, des Organes et Institutions Spécialisées des obligations qui leur incombent en vertu des actes de la Communauté ;
- Des recours en annulation des règlements, directives et décisions des Institutions, Organes et Institutions Spécialisées de la CEMAC ;
- Des litiges relatifs à la réparation des dommages causés par les Institutions, Organes et Institutions Spécialisées de la CEMAC ou par les fonctionnaires ou agents contractuels de celle-ci dans l’exercice de leurs fonctions sans préjudice des dispositions prévues dans le Traité de la CEMAC ;
- Des litiges entre la CEMAC et ses fonctionnaires et/ou agents contractuels ;
- Des recours contre les sanctions prononcées par des organismes à fonction juridictionnelle de la Communauté ».
Bien avant la Convention Révisée, le Statut de la Chambre Judiciaire de la Cour, bien que muet et à dessein[26] bien évidemment sur les recours en manquement et en carence, stipulait déjà en son article 48 que : « La Chambre connaît notamment :
a) En premier et dernier ressort :
1) Des différents entre Etats ayant un lien avec le Traité et les textes subséquents, si ces différends lui sont soumis ;
2) des litiges entre la Communauté et ses agents ;
3) des recours en contrôle de la légalité des actes juridiques déférés à sa censure ;
b) En dernier ressort :
1) des recours directs ou préjudiciels en interprétation des actes juridiques, des traités, conventions et autres textes subséquents de la CEMAC ;
2) des litiges relatifs à la réparation des dommages causés par les Organes et Institutions de la Communauté ou par les agents de celle-ci dans l’exercice de leurs fonctions ;
3) des litiges opposant la Commission Bancaire d’Afrique Centrale (COBAC) aux Etablissements de Crédits assujettis ».
A l’analyse, la Cour peut être saisie d’un recours en annulation[27] pour voir contrôler la légalité des actes communautaires qui doivent produire des effets de droit à l’égard des tiers. Cette illégalité peut résulter de l’incompétence de l’autorité qui a pris l’acte, de la violation des règles de forme substantielle, de la violation du Traité ou de toutes règles de droit qui donne lieu à leur application, au détournement de pouvoir.
La Cour peut également être saisie d’un recours en responsabilité[28]sur initiative des personnes physiques ou morales et Etats membres qui auront subi des dommages des Organes et Institutions de la Communauté[29]. Ce recours vise à engager la responsabilité de la Communauté. La Cour connaît du contentieux de la fonction publique communautaire. A ce titre, elle statue en premier et dernier ressort.
La Cour peut également être saisie par un juge national d’un recours préjudiciel[30] à l’effet de préciser un point d’interprétation du droit communautaire afin de procéder à son application saine[31]. Il en est de même lorsque le juge national fait recours à ladite Cour aux fins de contrôler la validité d’un acte des Organes de la CEMAC[32].
La Cour connaît du recours en manquement[33] exercé par la Commission ou par un Etat membre contre un autre Etat membre lorsque ce dernier n’a pas respecté le droit de la CEMAC. Il en est ainsi lorsque l’Etat concerné a omis ou s’est abstenu de transposer une Directive, ou a procédé à l’adoption d’un texte contraire au droit de la Communauté. De même, l’inaction d’une Institution ou d’un Organe de la Communauté peut donner lieu à un recours en carence.
De la Convention régissant la Cour de Justice de la Communauté et du Statut de la Chambre Judiciaire, il en résulte que celle-ci ne connaît que des litiges opposant les Etats membres entre eux, la Communauté et ses agents, l’appréciation de la légalité des actes qui lui sont soumis, l’action en réparation des dommages causés par les Institutions, Organes et Institutions Spécialisées, ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions ou encore des affaires opposant la COBAC aux établissements de crédits. Nulle part entre les lignes, l’on ne peut lire ni insinuer que la Cour de la Communauté peut connaître des litiges opposant les personnes physiques ou morales entre elles. Ce qui est le cas en contentieux maritime. Pour s’en convaincre, il suffit de voir dans le cadre de la procédure, les personnes habilitées à la saisir.
B) La procédure de saisine de la Cour de Justice Communautaire.
La procédure devant la Cour de la Communauté est règlementée par les articles 7 et suivants de l’Acte additionnel portant règlement de procédure. Elle se déroule en deux phases : l’une écrite et l’autre orale[34]. Elle est contradictoire dans tous les cas. Elle est saisie par requête sur initiative des personnes bien définies. Ainsi donc, toute personne ne peut valablement saisir la Cour de la Communauté.
Aux termes de l’article 13 du texte susvisé, « La Chambre est saisie soit par requête d’un Etat membre, du Secrétaire exécutif, d’une Institution, d’un Organe de la CEMAC et de toute personne physique ou morale justifiant d’un intérêt certain et légitime, soit par notification d’un compromis, soit par renvoi des juridictions nationales ou des organismes à fonction juridictionnelle ». Seules peuvent donc valablement saisir la Cour les Etats membres, les Institutions et Institutions Spécialisées, les Organes de la Communauté et les particuliers personnes physiques ou morales qui justifient ou alors doivent prouver leur intérêt à agir. Il faut comprendre par « intérêt certain et légitime », l’intérêt que le requérant a, pour attaquer un acte communautaire. Pour ce faire, l’acte attaqué doit être la destination du requérant, ou le concerner directement et individuellement. Il en résulte donc que les parties dans un contentieux maritime n’en sont nullement concernées.
Dans la majorité des cas, le contentieux maritime porte sur la responsabilité et partant la réparation d’un préjudice découlant de la mauvaise exécution du contrat de transport maritime. Les parties contractantes sont des particuliers. Or, la Cour ne connaît du recours en responsabilité que dans deux (02) cas : lorsque la responsabilité contractuelle de la Communauté est engagée encore faut-il qu’une clause compromissoire soit prévue à cet effet ; ou lorsque sa responsabilité extracontractuelle est envisagée du fait des dommages causés par ses Institutions, Organes, Institutions Spécialisées ou agents dans l’exercice de leurs fonctions. Dans le cadre d’un contentieux de nature maritime en appel, la partie la plus diligente peut-elle saisir la Cour de la Communauté sans risque de voir déclarer son action irrecevable ? J’en doute que non.
C) Le risque de jeu de ping-pong.
Dans le cadre d’un contentieux maritime, devant la juridiction nationale, une partie au procès en instance peut se voir opposer d’office par le juge de la Chambre commerciale, son incompétence à connaître de ce litige en application de la loi communautaire invitant ainsi les parties à saisir la juridiction compétente. Cette incompétence peut également être soulevée comme moyen de défense par la partie qui a le plus intérêt (la partie défenderesse). A ce moment, le juge est tenu de statuer sur cette compétence avant tout débat sur le fond. Or, que ce soit le Tribunal commercial maritime ou la Chambre maritime instituée au sein des tribunaux d’instance, ni la Chambre maritime instituée au sein de la Cour d’appel, juridictions qui doivent connaître des affaires relevant du domaine maritime n’ont pas encore été instituées dans la législation nationale. Si au-delà de tout, comme c’est le cas dans la pratique à l’heure actuelle, une décision intervient en instance, puis en appel devant la Chambre commerciale de la Cour d’appel, et que l’arrêt rendu dans ces circonstances fait l’objet de pourvoi devant la Cour Suprême, cette dernière à la latitude et doit d’ailleurs au lieu d’accéder à la demande des parties les renvoyer devant la Cour de Justice de la CEMAC.
Une fois encore devant cette Haute juridiction communautaires, les parties courent indubitablement le risque de voir leur requête rejetée pour défaut de qualité ou même pour incompétence de la Cour du fait de la mission qui lui est consacrée par les textes communautaires plus ou moins mitigés et de la procédure de saisine qui ne s’ouvre pas aux particuliers à moins qu’ils n’aient un intérêt certain et légitime relevant d’un acte qui leur est directement et individuellement applicable. Dans pareille situation que feront donc les parties ? Elles ressembleront fort bien à la chauve-souris qui est mi-oiseau mi-mammifère. Elles risqueraient de se retrouver dans un jeu de ping-pong sans suite favorable, à moins que faisant application de l’article 797[35] du Nouveau Code de la Marine Marchande, elles n’aient opté suivant une clause compromissoire de se référer à la Cour de la Communauté en cas de litige. En l’état actuel, une telle situation ne s’est pas encore présentée, pour la simple raison que depuis son institution, la Cour de la Communauté n’a pas encore été saisi dans ce domaine. Mais dans l’intervalle, je pense que pour rester dans la logique juridique et éviter un déni de justice, des solutions doivent être envisagées.
III- LES PISTES DE SOLUTIONS ENVISAGEABLES : L’URGENCE DE LA REFORME TEXTUELLE.
Au regard des analyses ci-dessus, les particuliers courent le risque d’être baladés de la juridiction nationale, à la Haute Cour de Justice de la Communauté CEMAC, et de cette dernière à la première sans issue. Pour éviter ce jeu de ping-pong qui n’honore pas le droit, des voies de solutions peuvent être explorées tant au niveau national (A) qu’au niveau communautaire (B).
A) Au niveau national.
Il est urgent de procéder à une reforme textuelle au niveau national pour l’arrimage de la législation nationale à la législation communautaire (1) et la formation des juges, avocats et acteurs du secteur maritime (2).
1- L’arrimage de la législation nationale à la législation communautaire.
En respect, en conformité au principe sacrosaint de la primauté du droit communautaire sur le droit national, au nom de la règle « pacta sunt servanda »[36], l’obligation de l’exécution contractuelle de bonne foi, les Etats membres de la CEMAC sont tenus de respecter les termes des différents accords qu’ils ont passé entre eux. Ils en ont pris un engagement ferme sous peine de voir initier contre eux un recours en manquement. Ils ne peuvent par conséquent invoquer les dispositions de leur droit interne pour justifier l’inexécution d’un traité, accord ou convention communautaire. Aussi, tous les Etats membres ont l’obligation de modifier leur législation interne afin de la conformer à la législation communautaire.
Pour revenir au cas du Cameroun, le législateur doit, après la révision de décembre 2011 apporter à nouveau des modifications et compléter la Loi N°2006/015 du 29 Décembre 2006 portant Organisation Judiciaire, pour instituer la Chambre maritime au sein des tribunaux d’instance et des Cours d’appel. Le législateur peut aussi prendre une loi portant création de la juridiction spécialisée qu’est le Tribunal commercial maritime. La création des sections ou juridictions spécialisées nécessitent des coûts énormes. Il faut des moyens humains et matériels considérables. Compte tenu de ce que le domaine maritime est encore restreint et pratiquement opaque, compte tenu de ce que le volume de son contentieux est moins dense et limité, il serait opportun d’instituer la juridiction maritime dans certaines villes uniquement ou au sein de certaines juridictions, pas toutes. Ainsi, au regard de la proximité portuaire, les tribunaux d’instances de Douala et la Cour d’appel du Littoral sont les mieux indiqués pour recevoir cette Chambre. Il faut le dire pour le remarquer, que la ville de Douala, capitale économique du Cameroun est le nœud gordien des affaires en générales et des affaires maritimes en particulier, accentuée par la concentration des entreprises de ce secteur. Ces sections ou juridictions spéciales peuvent être étendues auprès des juridictions d’instance de Kribi, Limbe et les Cours d’appel respectivement du Sud et du Sud-Ouest.
La création des Chambres maritimes ou des tribunaux commerciaux maritimes favorisera à coup sûre une meilleure appropriation du Nouveau Code de la Marine Marchande et partant du droit communautaire. A ces juridictions spécialisées doivent être affectés des magistrats spécialisés. D’où l’épineux problème de la formation des juges et même des différents acteurs qui seront appelés à saisir ces juges.
2- La formation des juges et des différents acteurs.
Avec l’adoption de nouveaux textes nationaux, internationaux et communautaires, avec les développements sociaux, économiques, culturelles, techniques et technologiques ainsi que l’évolution jurisprudentielle, il est constant que la science juridique devient de plus en plus vaste et complexe. Il devient en toute logique très difficile pour le juge et même les avocats de maitriser tous les domaines du droit s’ils ne sont pas formés. Or, Il est dénoté que le juge national, vecteur par essence d’intégration du droit communautaire présente des lacunes dans ce domaine, ce qui ne favorise pas des décisions de bien meilleures qualités, encore moins l’harmonisation de la jurisprudence communautaire. Ceci s’explique tout simplement par une absence de spécialisation dans les domaines un peu pointus et spécifiques du droit en général.
Pour le cas particulier du droit maritime, les magistrats et les avocats ne reçoivent pas d’enseignements de droit maritime dans nos universités et écoles de formation professionnelle. Le droit maritime demeure une discipline très fermée et récente en Afrique. Toutefois, des efforts de vulgarisation sont en train d’être menés dans ce sens. La Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Douala, à travers sa filière Master Professionnel, option Transports Internationaux, Logistique et Douane offre une formation en droit maritime. De même, l’Association Camerounaise de Droit Maritime dont je suis membre organise régulièrement des séminaires, favorisant ainsi la démystification et la proximité de tous les acteurs, magistrats, avocats, entreprises du secteur maritime, juristes et toutes personnes séduites par le droit maritime.
Il est impérieux que les textes portant sur l’organisation de l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature (ENAM), Grande école qui assure la formation initiale et continue des fonctionnaires des services civils et financiers de l’Etat, des magistrats et des personnels des services judiciaires soit réaménagés. Ainsi, un décret portant par exemple création d’une section de formation spécialisée au sein de l’ENAM doit être envisagé dans l’optique de concevoir et mettre en œuvre la formation des juges dans les domaines spécifiques tels le droit maritime, le droit international et communautaire, le droit de la propriété intellectuelle, le droit de la consommation, le droit d’auteur, etc. La concentration des dossiers entre les mains d’un cercle restreint de juges spécialisés est de nature à favoriser la constance dans les décisions, contribuant ainsi à accroître l’efficacité du tribunal, améliorer la gestion des affaires et par conséquent assurer la sécurité juridique.
Le réaménagement textuel s’impose également au niveau communautaire pour l’atteinte des objectifs de la Cour de Justice de la Communauté à savoir le respect des dispositions de textes de la communauté, l’harmonisation des jurisprudences et contribution par ses avis aux législations nationales des Etats membres.
B) Au niveau communautaire.
Je pense qu’au-delà de la vulgarisation du droit communautaire, une nouvelle révision de la Convention régissant la Cour de Justice de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) (1) contribuera sans doute, à la saisine de cette Cour pour une jurisprudence harmonisée (2).
1- Le réaménagement de la Convention régissant la Cour de Justice communautaire.
L’un des objectifs de l’institution de la Cour de Justice de la Communauté CEMAC est d’assurer le respect du droit communautaire. Ce respect dans son intégralité passe par l’élaboration et la mise en œuvre des textes garantissant sa saisine et la justice. Or, comme analysé plus haut, les missions de la Cour de Justice de la Communauté bien que vastes sont loin de s’étendre au contentieux maritime alors et surtout que le texte communautaire en l’occurrence le Nouveau Code de la Marine Marchande énonce en son article 796 que les arrêts rendus par la chambre maritime de la Cour d’appel pourront faire l’objet de recours devant cette Cour de Justice communautaire.
En effet, la Cour de la Communauté connait dans sa fonction juridictionnelle : des recours en manquement contre un autre Etat membre lorsque celui-ci n’aura pas respecté le droit de la Communauté ; des recours en carence en cas d’inaction d’une Institution ou d’un Organe ; des recours en annulation pour le contrôle de la légalité des actes communautaires ; des recours en responsabilité pour la réparation des dommages causés par les Institutions, Organes, Institutions Spécialisées et Agents de la Communauté ; des recours préjudiciels pour la clarification et l’interprétation d’une question de droit communautaire, de contrôle de la validité d’un acte des Organes de la Communauté.
Il en résulte que la Cour de Justice de la Communauté ne connaît que des litiges opposant les Etats membres entre eux, les Institutions, Organes de la Communauté et ses Agents. Les particuliers et personnes morales ne peuvent la saisir que s’ils ont un intérêt certain et légitime à la suite d’un acte de la Communauté qui les concerne directement et individuellement. A moins d’une clause compromissoire, la Cour de la CEMAC ne peut sans que sa compétence ne soit mitigée, connaître des litiges opposants les personnes physiques ou morales entre elles comme c’est le cas dans le contentieux maritime. Pour dissiper tout doute, les Etats membres ou le Conseil des Ministres doivent conformément aux dispositions de l’article 41 de la Convention régissant la Cour de Justice CEMAC, soumettre à la Conférence des Chefs d’Etat un projet portant révision de cette Convention, lequel projet devra intégrer expressément et clairement cette mission.
Je crois qu’en modifiant les textes de la CEMAC dans cette logique et en la rendant beaucoup plus claire et précis, il serait plus aisé pour les particuliers d’exercer leur action auprès de cette auguste Cour pour l’harmonisation de la jurisprudence communautaire sans cesse recherchée.
2- La saisine de la Cour de Justice de la CEMAC pour favoriser une jurisprudence communautaire.
Il est essentiel que le droit communautaire découlant du traité et des textes subséquents soit appliqué dans les conditions propres à garantir la mise en place d’une jurisprudence harmonisée. A ce titre, les textes élaborés ou à élaborer par les législateurs communautaires doivent être clairs et précis. En outre, l’implication de tous les acteurs du système est fondamentale pour faire fonctionner activement la Cour de Justice de la Communauté. Cette implication passe forcément par la formation, la spécialisation des juges et avocats, par la vulgarisation du droit communautaire. Des programmes de recrutement de jeunes juristes comme celui lancé tout récemment en Janvier 2020 par l’Union Africaine pour le recrutement des associés juridiques (PAJ) seraient la bienvenue pour la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale. Dans l’intérêt de la Communauté, une solide connaissance acquise du droit de la CEMAC impliquera inévitablement la saisine de la Cour de Justice CEMAC, avec pour conséquence une floraison de la jurisprudence.
[1] Préambule de la Constitution Camerounaise : « La loi assure à tous les hommes le droit de se faire rendre justice ».
[2] Préambule de la Constitution Camerounaise : « L’Etat garantit à tous les citoyens de l’un et l’autre sexes, les droits et libertés énumérés au préambule de la constitution ».
[3] Code Civil, article 4 : « Le juge qui refusera de juger sous prétexte de silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice ».
[4] Article 147 du Code Pénal Camerounais intitulé Déni de justice : « Est puni d’un emprisonnement de trois (03) mois à deux (02) ans tout juge qui dénie, après en avoir été dûment requis, de rendre une décision ».
[5] Loi N°2006/015 du 29 Décembre 2006 modifiée et complétée par la Loi N°2011/027 du 14 Décembre 2011 portant Organisation Judiciaire, article 15.
[6] Loi N°2006 op.cit., article 18.
[7] Il s’agit des cas qui requièrent la célérité. Le Président de la juridiction pourra alors par ordonnance rendue au pied de la requête, autoriser une action ou alors permettre d’assigner à bref délais.
[8] Code de Procédure Civile et Commerciale, articles 14, 15, et 16. Le délai ordinaire d’assignation est de huit (08) jours pour ceux qui sont domiciliés dans le lieu où siège le tribunal ; de trente (30) jours pour ceux qui sont domiciliés dans les autres parties du Cameroun ; de deux (02) mois pour ceux qui demeurent en France métropolitaine, en Europe, en Afrique, à Madagascar, à la Réunion ; de trois (03) mois pour ceux qui demeurent en Amérique et de quatre (04) mois pour ceux qui demeurent dans tous les autres pays. Toutefois, lorsque l’assignation à une partie demeurant hors du territoire camerounais sera donnée à sa propre personne au Cameroun, celle-ci n’emporte que délai ordinaire sauf au tribunal de le proroger s’il y a lieu. Ces délais sont doublés en cas de guerre.
[9] Code de Procédure op.cit., article 19 : « L’appel sera formé par simple requête aux membres de la juridiction d’appel ».
[10] Loi N°2006 op.cit., article 22 ; article 188 Code de Procédure op.cit., « la Cour d’Appel connaît de l’appel de tous les jugements en premier ressort par les tribunaux de première instance et les justices de paix à compétence étendue ».
[11] Loi N°2006/016 du 29 Décembre 2006 modifiée et complétée par la Loi N°2017/014 du 12 Juillet 2017 fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême, article 37.
[12] La Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale est une organisation internationale créée pour prendre le relais de l’Union Douanière et Economique de l’Afrique Centrale (UDEAC). Elle compte six (06) Etats Membres que sont : le Cameroun, la Centre Afrique, le Congo, le Gabon, la Guinée Equatoriale et le Tchad.
[13] Traité révisé de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale, article 4 : « Les Etats membres apportent leur concours à la réalisation des objectifs de la communauté en adoptant toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution des obligations découlant du présent Traité. A cet effet, ils s’abstiennent de prendre toute mesure susceptible de faire obstacle à l’application du présent Traité et des Actes pris pour son application. En cas de manquement par un Etat aux obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire, la Cour de Justice peut être saisie en vue de prononcer les sanctions dont le régime sera défini par des textes spécifiques. »
[14] Aux termes de l’article 10 du Traité de la Communauté Economique et monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), la Cour de justice communautaire est l’une des cinq (05) Institutions que constitue la Communauté. Ses compétences, son organisation et son fonctionnement sont définis par la Convention, l’Acte additionnel N°006/00/CEMAC-041-CCE-CJ-02 du 14 Décembre 2000 portant statut de la chambre judiciaire et l’Acte additionnel N°04/00/CEMAC-041-CCE-CJ-02 du 14 Décembre 2000 portant Règlement de Procédure.
www.cemac.int « A titre de comparaison avec la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA (CCJA) par exemple, il ressort que contrairement à la CCJA, la Cour de Justice Communautaire de la CEMAC ne constitue pas la Cour Suprême des Etats membres de la CEMAC en matière de Droit CEMAC. Ainsi, les juridictions nationales des Etats de la CEMAC y compris les Cours Suprêmes ou de Cassations nationales sont compétentes pour connaître du contentieux de l’application du Droit Communautaire CEMAC, dont elles sont les véritables juges de droit commun. La Cour de Justice de la CEMAC n’a donc pas vocation à connaître du contentieux de l’application des normes communautaires. »
[15] Préambule du Traité instituant la CEMAC.
[16] La Convention régissant la Cour de Justice Communautaire de la CEMAC, du 05 Juillet 1996 disposait déjà en son article 2 que dans sa mission de contrôle juridictionnel des activités et de l’exécution budgétaire des institutions de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale, la Cour de Justice est chargée « d’assurer le respect des dispositions des traités de la CEMAC et des conventions subséquentes par les Etats membres, les institutions et les organes de la CEMAC (…) ».
[17] Nouveau Code de la Marine Marchande de la CEMAC, article 796 (paragraphe 4).
[18] Le Traité instituant la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale a été signé à N’Djamena au Tchad le 16 Mars 1994 et entré en vigueur en Juin 1999.
[19] Traité Révisé de la CEMAC, article 43 : « Les actes additionnels, les règlements et les règlements cadres sont publiés au Bulletin Officiel de la Communauté. Ils entrent en vigueur à la date qu’ils fixent ou, à défaut, le vingtième jour suivant leur publication. Ils sont également publiés aux Journaux Officiels des Etats membres. »
[20] Cour Suprême, Arrêt N°21/Civ, 15 Juillet 2010, Affaire : Michel ZOUHAIR FADOUL C/ OMAÏS KASSIM et SOCIETE OMAÏS SELECTA SARL
[21] Voir, Marie-Colette KAMWE MOUAFFO, Arrêt N°001/CJ/CEMAC/CJ/10-11 du 25 Novembre 2010 Affaire : Ecole Inter-Etats des Douanes C/ DJEUKAM Michel. Revue ersuma.org. N°1-Juin-2012.
Dans cette éclatante affaire, Monsieur DJEUKAM Michel, Professeur vacataire à l’Ecole Inter-Etats des Douanes (EIED) de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) avait été par Décision N°23/CEMAC/EIED du 30 Avril 2004 du Directeur de l’EIED portant nomination des Chefs de Département promu Chef du département des matières de culture générale. Mais contre toute attente, il fut révoqué de ses fonctions un peu plus de deux (02) années plus tard soit le 09 Novembre 2006. Il poursuit alors son employeur l’EIED en paiement d’une indemnité de fonction et de dommages-intérêts devant le Tribunal de Bangui statuant en matière sociale. Par jugement en date du 07 Juillet 2008, le premier juge condamne l’EIED à verser à Monsieur DJEUKAM les sommes de 8.588.736 Francs aux titres d’indemnité de fonction et celle de 5.000.000 Francs aux titres de dommages-intérêts. L’EIED bien naturellement relève appel dudit jugement devant la chambre sociale de la Cour d’appel de Bangui tout en soulevant une exception préjudicielle. Plus avisé que le premier juge, celui de la Cour d’appel se doute de la légalité de l’acte de nomination des chefs de département du 30 Avril 2004 et statuant par Arrêt avant-dire-droit, il ordonne le sursis à statuer jusqu’à ce que la Cour de Justice de la Communauté donne son avis sur la question. Ainsi donc, le juge de la Cour d’Appel de Bangui saisit d’une question préjudicielle sur la validité de l’acte pris par le Directeur de l’EIED le 30 Avril 2004 en vertu de l’article 17 de la Convention régissant la Cour de Justice Communautaire de la CEMAC. Suivant cette disposition, la Chambre Judiciaire statue à titre préjudiciel sur la légalité des actes pris par les organes de la CEMAC. Mais seulement, la Cour de la Communauté a déclaré la requête du second juge irrecevable pour défaut de motivation. Or, dès l’entame de la procédure, Monsieur DJEUKAM n’aurait pas dû saisir le juge national ou encore, le premier juge n’aurait pas dû connaître de ce litige parce que toute demande ou questions relatives à la fonction publique communautaire relèvent de la compétence exclusive du juge communautaire (articles 2 et 20 de la Convention régissant la Cour de Justice de la CEMAC). Ni les parties, ni les juges nationaux (centrafricains) n’avaient la connaissance de cette question de compétence.
[22] La requête doit être rédigée, datée et signée du demandeur ou de son agent, son conseil ou son avocat. Cette requête est adressée à la Cour et déposée au Greffe en cinq (05) exemplaires, en autant de copies qu’il y a des parties en cause. A peine d’irrecevabilité, elle doit indiquer les noms, profession, adresse des parties, l’objet de la demande, l’exposé sommaire du litige et les moyens invoqués à l’appui de la demande et être accompagnée de l’acte attaqué ou justifier de la date de la saisine préalable de l’Institution mise en cause. Cette requête doit être suivie dans les 45 jours d’un mémoire ampliatif.
[23] La caution n’est pas due, ou mieux, la procédure devant la Cour de Justice de la Communauté est gratuite en matière sociale ou de contentieux de la fonction publique, dans les matières de renvoi préjudiciel. Il en est de même lorsque la Cour est saisie par les Organes ou Institutions communautaires (article 23 de l’Acte additionnel portant règles de procédure de la Chambre Judiciaire de la CEMAC).
[24] La Chambre Judiciaire de la Cour de Justice de la CEMAC a une triple compétence : juridictionnelle, consultative et arbitrale. Dans sa compétence consultative, la Cour donne son avis sur toutes les questions relatives au Traité et textes subséquents de la CEMAC. A ce titre, elle émet son avis sur la conformité aux normes juridiques, sur les projets d’actes communautaires, sur les difficultés rencontrées par les Institutions et Organes de la Communauté dans l’application du droit communautaire et des accords internationaux dont la conclusion est envisagée (article 34 de la Convention Révisée régissant la Cour de Justice de la Communauté). Dans ce rôle consultatif, elle est saisie par l’Etat membre, l’Organe, l’Institution ou l’Institution Spécialisée de la Communauté.
Dans sa compétence arbitrale, la Cour connaît des différends qui lui sont soumis par les Etats membres, les Institutions, Organes et Institutions Spécialisées en vertu d’une clause compromissoire ou d’un compromis d’arbitrage. A ce titre, elle nomme ou confirme les arbitres, examine les projets de sentences. La Cour connaît également de « tout litige qui lui est soumis en vertu d’une clause compromissoire ou d’un compromis » (article 35 Convention suscitée, article 49 du Statut de la Chambre Judiciaire).
[25] Article 22 de la Convention Révisée régissant la Cour de la Communauté.
[26] Depuis le Traité Révisé de la CEMAC et la Convention Révisée à Libreville au Gabon le 30 Janvier 2009, la Chambre Judiciaire a cédé la place à la Cour de Justice de la Communauté.
[27] Article 14 de la Convention régissant la Cour de la Communauté, article 24 de la Convention Révisée : « La Cour connaît, sur recours de tout Etat membre, de toute Institution, Organe ou Institution Spécialisée de la CEMAC ou de toute personne physique ou morale qui justifie d’un intérêt certain et légitime, de tous les cas de violation des dispositions de la CEMAC et des conventions subséquentes.
Toute partie peut, à l’occasion d’un litige, soulever l’exception d’illégalité d’un Acte juridique d’un Etat membre, d’une Institution, d’un Organe ou d’une Institution Spécialisée de la CEMAC.
(…)
La Cour, saisie conformément aux alinéas précédents contrôle la légalité des Actes juridiques déférés à sa censure ».
L’article 25 de la Convention Révisée ajoute en son paragraphe 1 que : « Statuant en matière de contrôle de la légalité des actes juridiques de la CEMAC, et d’actes s’y rapportant, la Cour prononce la nullité totale ou partielle des actes entachés de vice de forme, d’incompétence, de détournement de pouvoir, de violation du Traité et des textes subséquents de la CEMAC ou des actes prix en application de ceux-ci ».
[28] Article 28 de la Convention Révisée : « La Cour connaît des litiges relatifs à la réparation des dommages causés par les Institutions, Organes ou Institutions Spécialisées de la CEMAC ou par les fonctionnaires ou agents contractuels de celle-ci dans l’exercice de leurs fonctions, sans préjudice des dispositions prévues dans le Traité de la CEMAC. Elle statue en tenant compte du droit positif communautaire et des principes généraux de droit communs aux Etats membres ».
[29] Ce recours est possible dans deux hypothèses : celle contractuelle et celle extra contractuelle.
Dans le premier cas, la responsabilité contractuelle de la Communauté est mise en cause pour inexécution ou mauvaise exécution d’un contrat, à condition qu’une clause compromissoire ait été prévu dans celui-ci. En l’absence d’une telle clause, la juridiction nationale est seule compétente pour en connaître.
Dans le second cas, la responsabilité extra contractuelle de la Communauté est engagée pour les dommages causés par ses agents ou Organes dans l’exercice de leurs fonctions. Pour ce faire, trois (03) conditions cumulatives doivent être réunies : la victime (requérant) doit avoir subi un dommage ; l’agent ou l’Organe de la Communauté doit avoir posé un acte illégal et fautif et enfin, il doit avoir un lien de causalité direct entre le dommage subi et l’acte.
[30] Article 26 de la Convention Révisée : « La Cour statue à titre préjudiciel sur l’interprétation du Traité de la CEMAC et des textes subséquents, sur la légalité et l’interprétation des actes des Institutions, Organes et Institutions Spécialisées de la CEMAC, quand une juridiction nationale ou un organisme à fonction juridictionnelle est appelée à en connaître à l’occasion d’un litige.
En outre, chaque fois qu’une juridiction nationale ou un organisme à fonction juridictionnelle saisit de question de droit ci-dessus doit statuer en dernier ressort, il est tenu de saisir préalablement la Cour de Justice. Cette saisine devient facultative lorsque la juridiction nationale ou l’organisme à fonction juridictionnelle doit statuer à charge d’appel.
Les interprétations données par la Cour en cas de recours préjudiciel s’imposent à toutes les autorités administratives et juridictionnelles dans l’ensemble des Etats membres. L’inobservation de ces interprétations donne lieu au recours en manquement ».
[31] C’est ainsi que le juge communautaire contribue à l’intégration de la norme communautaire au niveau nationale.
[32] Affaire DJEUKAM Michel op.cit.
[33] Art 4 du Traité Révisé de la CEMAC, article 26 de la Convention Révisée régissant la Cour de Justice de la Communauté.
[34] Article 7 de l’Acte additionnel N°04/00/CEMAC-041-CCE-CJ-02 du 14 Décembre 2000 portant règles de procédures de la Chambre Judiciaire de la CEMAC.
[35] Article 797 du Nouveau Code de la Marine Marchande de la CEMAC, « Les parties peuvent, au lieu de se pourvoir devant les juridictions mentionnées à l’article 796 ci-dessus, convenir de porter le litige qui les oppose :
- Devant un tribunal arbitral à caractère international ou régional, s’il s’agit d’un contentieux mettant en présence des parties ou des intérêts situés eux-mêmes dans des Etats différents ;
- Devant un ou plusieurs arbitres résidant dans l’Etat où le litige a pris naissance, si ce dernier présente un caractère purement national. »
[36] La Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 Mai 1969, en son article 26 dispose que : « Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi ».