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LA SECURITE ET LA SURETE DES INSTALLATIONS PORTUAIRES A L'EPREUVE DES MATIERES DANGEREUSES

Publié le 22/08/2020 Vu 2 819 fois 0
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La catastrophe survenue au port de Beyrouth le 04 août 2020 vient remettre au jour l'épineux problème de la sécurité et de la sûreté des installations portuaires ainsi que celui du stockage des matières dangereuses.

La catastrophe survenue au port de Beyrouth le 04 août 2020 vient remettre au jour l'épineux problème de la

LA SECURITE ET LA SURETE DES INSTALLATIONS PORTUAIRES A L'EPREUVE DES MATIERES DANGEREUSES

 

LA SECURITE ET LA SURETE DES INSTALLATIONS PORTUAIRES A L’EPREUVE DES MATIERES DANGEREUSES : CAS DE BEYROUTH

 

Sophie De Sylvie DJOUFA TIEMAGNI

Avocate.

                       

Nous sommes le mardi 04 Août 2020 aux environs de 18 heures lorsqu’un incendie suivi d’une double gigantesque explosion dévastent le port de Beyrouth au Liban, avec comme bilan provisoire au 11 août 2020, plus de 170 morts, 6 000 blessés et de lourds dégâts matériels. Au regard de l’instabilité permanente de l’Etat libanais marqué par la présence du Hezbollah, un parti libanais disposant d’une branche paramilitaire légalement armée ou encore de son ennemi historique, Israël avec qui il est toujours officiellement en guerre, l’on aurait été tenté de penser à une main criminelle ou à une attaque terroriste. Mais très vite, les autorités libanaises sont montées aux créneaux pour affirmer que 2 750 (deux mille sept cent cinquante) tonnes de nitrates d’ammonium, stockés « sans mesures de précaution » dans le port est à l’origine de ce drame.

 

En effet, tout commence en 2014 lorsque du fait des défaillances techniques, le cargo moldave M/V Rhosus s’est trouvé contraint de faire une escale forcée au port de Beyrouth. S’en suivra alors la saisie de sa cargaison de 2 750 tonnes de nitrates d’ammonium. Le 27 Juin 2014, le juge des référés de Beyrouth ordonne le stockage et la sécurisation de cette cargaison et constitue le ministère de transport gardien. Dans l’attente de ladite sécurisation, la cargaison est provisoirement stockée dans l’entrepôt N°12 du port. Mais curieusement, jusqu’à la survenue du drame six (06) années plus tard et malgré les multiples avis, rapports et dénonciations du risque trop élevé que présente ce stock dans cet entrepôt, la cargaison était toujours en stockage provisoire.

 

Le nitrate d’ammonium, sel blanc et inodore, sous forme de granulés est un engrais azoté hautement prisé dans l’univers de l’agriculture. Il sert également à la fabrication des explosifs. Suivant une étude du FAO (Food and Agriculture Organisation), plus de vingt millions de tonnes de nitrate d’ammonium sont produits par an pour l’engrais, soit l’équivalent chaque jour de vingt fois la quantité qui a explosé au port de Beyrouth. Pour le Cabinet spécialisé IHS (Information Handling Services, société américaine d’études et de conseil dans le domaine de l’énergie et de l’ingénierie), l’agriculture représente environ les trois quarts (3/4) de la consommation mondiale et le reste pour les explosifs notamment dans le secteur minier et des travaux publics.

 

Le nitrate d’ammonium pur ne brûle pas mais en sa qualité d’oxydant puissant, de comburant redoutable, il favorise et accélère la combustion des matières organiques. Fondu et décomposé, il est très sensible au choc, à la chaleur et à la détonation surtout lorsqu’il est en contact avec les matières combustibles, les liquides inflammables, les acides, les chlorates, les chlorures, du souffre, des métaux, du charbon, etc. Au regard de sa délicatesse et de sa sensibilité, son entreposage nécessite et exige une certaine rigueur.

 

Bien qu’étant à l’origine de plusieurs explosions accidentelles, l’on serait fondé de dire, au regard des faits de la tragédie de Beyrouth, que certains Etats n’y ont pas tiré de leçons. Le nitrate d’ammonium a déjà été à l’origine des catastrophes suivantes :

- L’explosion de Faversham au Royaume Uni du 02 avril 1916. Le feu s’était déclaré dans la poudrerie d’une fabrique de manutention et avait fait sauté une réserve TNT (trinitrotoluène) et de nitrate d’ammonium laissant sur les carreaux 115 personnes ;

- Celle de l’usine BASF d’Oppau en Allemagne du 21 septembre 1921 avec plus de 500 morts ;

- Celle de l’usine PCT à Tessenderlo en Belgique en 1942 avec au compteur 189 morts, 900 blessés et d’importants dégâts matériels dans les environs ;

- Celle du cargo français Grandcamp transportant 2 300 tonnes de nitrate d’ammonium à Texas City en avril 1947. Environ 581 morts ont été décomptés ;

- Celle du cargo norvégien Ocean Liberty dans le port de Brest en Juillet 1947 avec sur les carreaux 29 morts et plus de 5 000 maisons détruites ;

- Celle de deux remorques routières chargées chacune de 23 tonnes d’explosifs à base de nitrate d’ammonium sur un chantier routier de Kansas City en novembre 1988. Ces explosifs étaient destinés au dynamitage de rochers pour la construction de l’autoroute Highway 71. Au compteur, 06 morts, tous des pompiers de Kansas City appelés pour épargner un véhicule à proximité des remorques en feu ;

- Celle de l’usine de fabrication Terra Industries à Port Neal au Sud de Sioux City, dans l’Iowa au Etats-Unis en décembre 1994 ;

- Celle de l’usine AZF à Toulouse, le 21 Septembre 2001 avec 31 morts, 2 500 Blessés et d’importants dégâts matériels ;

- Celle de l’usine d’ammoniac West Fertilizer Company près de Waco au Texas aux Etats-Unis en avril 2013 avec 15 morts, 200 blessés et 350 habitations détruites ;

- Celle résultant d’une collision d’un train transportant du nitrate d’ammonium avec un autre chargé de pétrole en 2014 en Corée du Nord. Cette explosion avait détruit 40% de la ville de Ryongchon avec plus de 120 000 habitants.

- L’explosion d’un entrepôt dans le port de Tianji en Chine en 2015. Bilan, 173 personnes tuées et 791 blessés.

 

Toutes ces catastrophes sont très lourdes de conséquences : pertes en vie humaine, des blessés, des dégâts matériels importants avec en prime des détonations entendues et les effets des explosions ressentis à plusieurs dizaines de kilomètres du lieu du drame, sans compter la psychose collective. Toutes ces tragédies posent le problème de manutention, de manipulation, de stockage des matières dangereuses qui sans doute causeraient moins de dommages si des règles y afférentes sont rigoureusement respectées.

 

La sûreté portuaire consiste à prendre des mesures de protection des personnes et des biens face à tout acte de malveillance, de négligence, de terrorisme. A ce titre, elle a pour but de rechercher et déterminer toutes les menaces et actes illicites qui pèsent ou pourraient peser sur le port et ses installations et de prendre les mesures de protection contre ces menaces pour un port plus performant, plus compétitif, plus productif et plus sûr. Pour la cargaison en générale et celle dangereuse en particulier stockée dans le port, le respect des mesures de sûreté dans les ports et ses installations (I) ainsi que le respect des consignes de sécurité s’imposant pour l’emmagasinage des matières dangereuses (II) contribueraient forcément à éviter ces désastres.

 

 

I-              LE RESPECT DES MESURES DE SURETE DES PORTS POUR UNE OPTIMISATION DE LA PERFORMANCE PORTUAIRE.

 

Pour faire face à la montée fulgurante des actes illicites et terroristes marqués par les attentats du 11 septembre 2001, l’Organisation Maritime Internationale (OMI) a adopté en décembre 2002 le Code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires (International Ships and Ports Security Code - ISPS). Pour garantir la sécurité et la sûreté des personnes et des biens, chaque port doit définir la politique de sûreté de ses installations (A), procéder à l’évaluation régulière de la sûreté de ses installations (B) et enfin prendre des mesures correspondantes au niveau de sûreté établie (C).

 

                 A/ définition de la politique de sureté des installations portuaires.

 

La politique de sûreté portuaire doit tenir compte des conventions et codes internationaux, ainsi que des pratiques nationales établies. Cette politique intègre le plan de sûreté portuaire qui doit être établi et comprendre :

- les détails de l’organisation de la sûreté du port ;

- les détails des liens du port avec d’autres autorités ainsi que le système de communication nécessaire pour permettre l’exploitation continue efficace de l’organisation et des liens avec les autres ;

- les détails des mesures de sûreté de niveau 1, à la fois opérationnelles et matérielles qui seront en place ;

- les détails de mesures de sûreté supplémentaires qui permettront au port de passer sans délai au niveau de sûreté 2 et si nécessaire, au niveau 3 ;

- l’identification des zones réglementées et des mesures visant à les protéger à différents niveaux de sûreté ;

- les entraînements et les exercices requis à intervalles appropriés afin de garantir la mise en œuvre efficace du plan de sûreté portuaire ;

- etc.

 

Le plan de sûreté portuaire doit être protégé contre tout accès ou divulgation non autorisé. Il doit être mis en œuvre à l’effet de garantir l’application des mesures nécessaires pour protéger contre les risques d’un incident de sûreté, les installations portuaires et les navires, les personnes, la cargaison, les engins de transport et les provisions de bord à l’intérieur de l’installation portuaire. L’agent de sûreté de l’installation portuaire assure l’établissement, l’exécution, la révision et la maintenance du plan de sûreté de l’installation portuaire. Bref il gère et coordonne la sûreté dans le port.

 

Le plan d’aménagement interne doit définir :

- Les différents terminaux ;

- Les zones réservées au magasinage et entreposage des marchandises ;

- Les zones réservées aux matières dangereuses ;

- La zone réservée à la construction ou à la réparation navale ;

- Les zones et les espaces réservés à la réception, à la collecte et au stockage des déchets résultant des activités maritimes et portuaires ;

- Les zones réservées aux activités commerciales et ou industrielles ;

- Les zones réservées le cas échéant aux installations de la marine marchande ;

- Les limites des voies ferrés et des voiries.

 

Le niveau de sûreté est adopté en fonction du degré, de la gravité de la menace. Ainsi, le niveau de sûreté 1 désigne le niveau auquel des mesures de sûreté minimales appropriées doivent être maintenues en permanence. Il s’agit de :

- veiller à l’exécution de toutes les tâches liées à la sûreté de l’installation portuaire ;

- contrôler l’accès à l’installation portuaire ;

- surveiller l’installation portuaire y compris les zones de mouillage et d’amarrage ;

- surveiller les zones d’accès restreint pour vérifier que seules les personnes autorisées y ont accès ;

- superviser la manutention de la cargaison ;

- superviser la manutention des provisions de bord et veiller à ce que le système de communication de sûreté soit rapidement disponible.

 

Lorsque des mesures de sûreté additionnelles appropriées (telles l’augmentation de la fréquence des contrôles de sûreté, la surveillance plus rigoureuse du port, etc.) doivent être maintenues pendant une période déterminée en raison d’un risque accru d’incident de sûreté, alors le niveau de sûreté 2 est adopté.

 

Lorsque la menace est grande, grave et imminente, de nouvelles mesures de sûreté spéciales (telles le contrôle de sûreté de toutes les personnes,  l’interruption temporaire de certaines activités portuaires, l’imposition des mesures de contrôle du trafic des navires, la limitation de l’accès à certaines zones, un déploiement supplémentaire de personnels de sûreté aux infrastructures, etc.) doivent être maintenues pendant une période limitée. Il s’agit du niveau de sûreté 3.    

 

La garantie de la sécurité et la sûreté des installations portuaires est un pouvoir régalien de l’Etat. Toutefois, il peut déléguer certaines tâches liées à ce pouvoir à un organisme de sûreté reconnu à l’exception des missions tendant à :

- l’établissement du niveau de sûreté applicable ;

- l’approbation de l’évaluation de sûreté d’une installation portuaire ainsi que tout amendement ultérieur ;

- l’approbation du plan de sûreté d’une installation portuaire et tout amendement ultérieur au plan approuvé ;

- l’établissement des prescriptions applicables à une déclaration de sûreté.

 

                 B/ l’évaluation périodique de la sureté des installations portuaires.

 

La politique de sûreté doit pouvoir tenir compte et fournir des ressources adéquates pour la mise en œuvre et le maintien efficace de ladite politique. Elle doit pouvoir tenir compte de l’importance de l’élément humain et promouvoir la sensibilisation à la sécurité et à la sûreté, la formation et le perfectionnement des compétences.

 

L’évaluation de la sûreté portuaire devrait être périodiquement effectuée par des personnes ayant des compétences nécessaires. Elle consiste en :

- l’identification et l’évaluation des biens, des installations, des infrastructures essentiels qu’il est important de protéger ;

- l’identification des menaces aux personnes, aux biens et à l’infrastructure afin de déterminer les mesures de sûretés à prendre et d’en établir l’ordre de priorité ;

- l’identification des lacunes dans l’élément humain, l’infrastructure, la politique et les procédures ;

- l’identification de la protection périphérique, du contrôle de l’accès et des exigences relatives au contrôle sécuritaire du personnel par l’accès aux zones réglementées du port ;

- l’identification du périmètre du port ainsi que l’identification des mesures visant à contrôler l’accès au port à différents niveaux de sûreté ;

- l’identification de la nature du trafic prévu arrivant ou sortant du port (passagers, équipage, type de navire et marchandises).

L’évaluation permet donc d’identifier et évaluer les infrastructures et biens qu’il faut protéger, de détecter les menaces éventuelles, d’identifier tous les scénarios possible d’accident et leur probabilité de survenance afin d’établir et de prendre des mesures de sûreté qui s’imposent en les classant par ordre de priorité. L’Etat doit pouvoir mettre en place une réelle politique de prévention des accidents majeurs, de plan d’urgence interne et externe.

 

Les facteurs suivant sont à prendre en compte pour la détermination du niveau de sûreté :

- la mesure dans laquelle l’information sur la menace est crédible ;

- la mesure dans laquelle l’information sur la menace est corroborée ;

- la mesure dans laquelle l’information sur la menace est spécifique ou imminente ;

- Et enfin les conséquences potentielles de l’incident de sûreté.

La politique de sûreté doit faire l’objet de mises à jour périodiques pour tenir compte de l’évolution des circonstances.

 

                 C/ l’obligation de prendre des mesures correspondantes au niveau de sûreté établie.

                                                                                                                     

Une fois le niveau de sûreté établi, l’Etat à travers l’autorité désignée doit veiller à ce que les renseignements correspondants à ce niveau soient fournis aux installations portuaires situées sur son territoire ainsi qu’aux navires avant leur arrivée ou pendant leurs séjours. Puis il donne des recommandations sur les mesures de protection contre les incidents de sûreté. Les renseignements relatifs au niveau de sûreté doivent être régulièrement mis à jour lorsque les circonstances l’exigent notamment quand il est procédé à des modifications.

 

Une fois la menace déterminée, les hypothèses suivantes sont envisageables pour son évacuation selon que les hommes qui gouvernent l’Etat soient compétents ou non :

- ils gardent le silence et ne prennent aucune mesure de sûreté malgré la menace imminente ou alors les mesures de sûreté existantes sont inefficaces. Dans ce cas, l’on observera alors un libre accès aux cibles potentielles, les cibles potentielles sont sans surveillance, le personnel n’a suivi aucune formation. La réalisation du risque devient évidente et la cibles faciles à endommager. Cette première hypothèse semble être celle observée par l’Etat libanais qui malgré la crédibilité des informations sur la menace, corroborées par des rapports, les mises en garde, notifications et dénonciations, a laissé l’entrepôt de stockage du nitrate d’ammonium sans surveillance ; bien qu’ayant connaissance des conséquences dévastatrices de cette matière.

 

- Ils peuvent adopter des mesures de sûreté minimales : absence d’identification claire des zones réglementées, procédures de contrôle d’accès inadéquates, surveillance sporadique, absence de programme de formation officiel, cibles susceptibles de subir certains dommages

 

- Les mesures de sûreté envisagées peuvent être dites satisfaisantes : zones réglementées clairement identifiées, accès contrôlé, programme officiel de formation sur la sûreté, surveillance adéquate, sensibilisation aux menaces, cibles difficiles à endommager.

 

- Les mesures de sûreté sont entièrement efficaces : en plus de la mise en œuvre de toutes les mesures dites satisfaisantes, l’Etat a la capacité le cas échéant, de passer rapidement à un niveau de sûreté plus élevé. Les cibles sont donc difficilement en-dommageables et le risque maitrisé. Dans ce cas, les consignes de sécurité sont rigoureusement respectées et la probabilité pour la réalisation du risque est très faible.

 

 

II-            LE RESPECT DES CONSIGNES DE SECURITE POUR UNE SIMPLIFICATION DES RISQUES.

 

L’observation stricte et rigoureuse des règles de manipulation, manutention et stockage du nitrate d’ammonium (A) sont fondamentales pour éviter les conséquences désastreuses (B) qui engagent forcément la responsabilité de l’Etat (C).                                                                                                               

 

                 A/ Les consignes de manutention et de stockage du nitrate d’ammonium.

 

Le stockage du nitrate d’ammonium exige que des règles et normes soient respectées pour l’isoler totalement des liquides inflammables ou corrosifs, des solides inflammables  ou encore des substances qui dégagent de la chaleur.

 

En Europe, les règles de stockage des matières et substances dangereuses ont été renforcées à la suite de l’accident de l’usine AZF à Toulouse en France en 2011 et sont désormais encadrés par la directive SEVESO[1]. Il s’agit en fait d’une série de directives européennes (trois en l’état actuel - Seveso 1- Seveso 2 – Seveso 3-) qui imposent aux Etats membres de l’Union européenne d’identifier les sites industriels qui présentent des risques majeurs d’accidents appelés « sites Seveso » et d’y maintenir un haut niveau de prévention. Plus la quantité de substances ou de matières dangereuses stockée est importante, et plus les mesures de conservation sont strictes. A partir de 350 tonnes, un stockage est classé « Seveso bas » et au-delà de 2 500 tonnes, le stockage est classé « Seveso haut ».

 

Selon les normes russes de 2013, le nitrate d’ammonium doit être conservé à part, sans contact avec d’autres matériaux « dans des entrepôts fermés, secs et propres, protégeant le produit de l’humidité. Il peut être conservé dans des endroits ouverts, mais pas plus de six (06) mois après sa fabrication ». En Russie, il est interdit de stocker plus de 2 500 tonnes dans des sacs et pas plus de 5 000 tonnes si c’est en vrac.

 

Aux Etats-Unis, il est interdit d’en entreposer plus de 2 500 tonnes dans un bâtiment non pourvu d’extincteurs automatiques.

 

Il est donc fondamental de stocker le nitrate d’ammonium dans un entrepôt hermétiquement fermé, secs et propre, disposant de détecteurs de fumée et totalement distant et isolé de toutes sources de chaleur et d’humidité, en îlots de tailles réduites et séparés. Le lieu de stockage doit être régulièrement nettoyé et sous surveillance stricte. Il ne doit pas être stocké pendant longtemps afin d’éviter une décomposition quelconque.

 

                 B/ Les conséquences de la violation des consignes de sécurité.

 

Sur le plan humain et matériel, les accidents impliquant le nitrate d’ammonium sont à l’origine de nombreuses pertes en vies humaines, d’une psychose collective, de lourds dégâts matériels. Dans le cas d’espèce, le préjudice matériel est estimé à 15 (quinze) milliards de dollars en pleine crise économique. Plus de 300 000 (trois cent mille) libanais sont sans domicile. Ce drame contribue à désorganiser et à déstabiliser une économie déjà très fragile.

                                       

Le contact du nitrate d’ammonium avec la peau et les muqueuses occasionne de vives irritations. De plus, le nitrate d’ammonium est hyper toxique pour l’homme. Une inhalation des dérivés nitratés conduit à long terme à une toxicité rénale, à plus forte raison le mélange de ce produit aux poussières résultant de l’explosion ou de sa manipulation. Elles conduisent à de sévères irritations des voies respiratoires.

 

Sur le plan environnemental, l’air est fortement pollué, ainsi que l’environnement marin. Le nitrate d’ammonium étant un sel, il est très soluble dans l’eau et facilite donc une dilution rapide et la contamination de l’eau ainsi que des organismes aquatiques du fait des déversements accidentels en mer.

 

Sur le plan politique, le drame de Beyrouth contribue fortement à fragiliser un pouvoir hyper contesté. Le peuple libanais scandait déjà au lendemain  du drame la démission de tout le gouvernement et surtout de leur président. Un gouvernement qui bien plus se refuse d’assumer la responsabilité du drame. La démission du premier ministre ainsi que celle du ministre des affaires étrangères conforte la position du peuple qui exige le changement. Le président français Emmanuel MACRON, premier chef d’Etat à se rendre sur les lieux conseillait déjà aux responsables libanais « de procéder à des réformes (…), de changer le système, d’arrêter la division du Liban, de lutter contre la corruption »

 

                 C/ La responsabilité de l’Etat.

 

La garantie de la sécurité et de la sûreté des ports est un pouvoir régalien de l’Etat qui est tenu de mettre en œuvre toutes les mesures afin d’assurer la sécurité des personnes et des biens. 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium ont été stockés pendant six longues années dans un entrepôt dans lequel se trouvaient également de la poudre à canon, des feux d’artifice et des seaux de peintures, tous des produits hautement inflammables, sans surveillance aucune, en dépit les multiples relances et mises en garde de sa dangerosité et de la menace potentielle et imminente.

 

Suivant un rapport de la sécurité de l’Etat consulté par Reuters, le premier ministre Hassan DIAB et le président de la république Michel AOUN avait été encore prévenus le 20 juillet 2020 du grave danger que présente ladite cargaison ainsi que de la nécessité de sécuriser ce stock loin du port encore et surtout que le port est à proximité du centre-ville. Le président de la république a envoyé ce rapport au Conseil supérieur de la défense qui à son tour s’est adressé au ministre des travaux publics Michel NAJJAR.

 

L’Agence France-Presse du mercredi 12 août 2020 a indiqué que « toute la république du Liban était au courant. Pendant des mois et jusqu’à la veille de la tragique explosion, les messages alertant sur les dangers posés par le stockage d’une énorme quantité de nitrate d’ammonium au port de Beyrouth se sont succédé » sous le silence complice des autorités qui n’ont rien fait pour éviter la tragédie. Le 03 août 2020, c’est-à-dire à la veille du drame, le ministre des travaux public a affirmé à l’AFP avoir reçu une lettre du Conseil supérieur de la défense datée du 24 juillet, soit 10 (dix) jours plus tard et aussitôt, il a demandé à son conseiller de contacter le président du conseil d’administration du port. Et ce n’est qu’à ce moment que la direction du port se décide enfin d’exécuter une directive envoyée trois (03) mois plus tôt par la sûreté de l’Etat et l’invitant à colmater une brèche dans l’entrepôt.

 

Il est constant que le système ou la politique de sécurité et de sûreté a été défaillant. Des rapports ont été présentés au président de la république, au premier ministre, au Conseil supérieur de la défense, au ministre des travaux publics. Mais que devient le ministère de transport, gardien de cette cargaison ? Quelles actions a-t-il mené pour la sécurisation de ce stock dangereux ?

 

Les responsables des douanes dont son directeur général ainsi que ceux du port ont été mis aux arrêts et placés en détention provisoire alors même que ce directeur général des douanes avait demandé par correspondance en 2017 la vente ou l’exportation de ce stock de colis encombrant, abandonné et dangereux que personne ne réclamait. Mais semblerait-il qu’il aurait adressé ces requêtes sans suivre les étapes de la procédure légale. Cette lourdeur et cette défaillance ne ressemble-t-il pas à une absence de dénonciation engageant sa responsabilité ?

 

 

Au regard de tous les accidents et toutes les conséquences désastreuses impliquant le nitrate d’ammonium, je me demande s’il ne serait pas judicieux d’interdire sa production. De nombreux Etats tels l’Afghanistan, la Chine, la Colombie, les Philippines et la Turquie ont d’ailleurs suivant une étude du Cabinet IHS banni sa vente comme engrais. Mais les industriels comme le norvégien Yara, les russes Eurochem et Uralchem, l’américain CF Industries, le chilien Enaex et bien d’autres ténors de ce secteur soutiennent que le risque est minime quand les consignes de sécurité sont respectées. De même, la Professeur de chimie OXLEY Jimmie quant à elle a une position mitigée et souligne que le nitrate d’ammonium est devenu indispensable à l’agriculture et à la construction. Pour elle, « nous n’aurions pas ce monde moderne sans explosifs, et nous ne pourrions pas nourrir la population actuelle sans les engrais au nitrate d’ammonium. Nous en avons besoin, mais il faut vraiment faire attention à ce qu’on fait avec ».

 

Je suis de l’avis de la professeure OXLEY et propose qu’un Comité consultatif sur la sûreté portuaire soit créé pour chaque port (surtout pour les ports qui n’en disposent pas) avec des missions bien précises. Ce comité devra par exemple fournir des conseils sur la mise en œuvre du plan de sûreté portuaire, aider à exécuter l’évaluation de la sûreté portuaire, coordonner, communiquer et faciliter la mise en œuvre des mesures de sûreté applicables prévues dans le plan de sûreté portuaire ; formuler des observations sur la mise en œuvre, les exercices, les essais, la formation en matière de sûreté et les révisions périodiques du plan de sûreté portuaire.



[1] Cette directive tire son origine de la catastrophe de Seveso en Italie en 1976 et qui a déterminé les Etats européens à se doter d’une politique commune en matière de prévention des risques industriels.

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