L'évaluation des biens et services en droit fiscal
Editions L'Harmattan, Collection Logiques juridiques
de Soufiane JEMMAR, Avocat fiscaliste, Docteur en droit
Préface de Daniel GUTMANN
Avant-propos de Laurent CHATEL & Cathy GOARANT-MORAGLIA
Avant-propos
L’évaluation fiscale, qui résulte de l’appréhension de la valeur par le droit, est nécessairement caractérisée par une complexité structurelle qui s’explique, comme l’indique l’auteur du présent ouvrage, par le postulat selon lequel « la notion de valeur est incompatible avec toute idée de codification ».
Dès lors, il n’est pas surprenant de constater que le législateur se garde bien, pour la généralité des contributions assises sur la notion de « valeur », d’en fixer le mode détermination. Ainsi, se limite t-il à indiquer, à l’article 666 du CGI que « les droits proportionnels ou progressifs d'enregistrement et la taxe proportionnelle de publicité foncière sont assis sur les valeurs ».
Lorsqu’il arrive, exceptionnellement, que le législateur succombe à la tentation de codification en matière d’évaluation des biens, il prend le soin de réserver aux contribuables et à l’Administration la possibilité de démontrer que la valeur réelle des biens en cause diffère de celle qui résulte des dispositions législatives. Il en est ainsi des dispositions de l’article 764 qui dispose que « pour la liquidation des droits de mutation par décès, la valeur de la propriété des biens meubles est déterminée, sauf preuve contraire (…) ».
La réserve et la prudence du législateur en la matière tendent à éviter l’écueil d’une paralysie ou d’une désuétude d’une méthode figée de détermination d’une valeur, par nature, fluctuante. Et c’est bien à chaque fois que le législateur sort de sa réserve que le système de détermination des valeurs imposables se trouve de facto grippé. Soufiane JEMMAR a démontré, dans ce cadre, la fragilité des dispositions des articles 759 et 885 T bis du CGI qui imposent, pour l’évaluation des titres cotés, la référence au cours de bourse en imposant une « présomption irréfragable d’efficience des marchés financiers » ou encore celles de l’article 669 du CGI fixant la valeur de la nue-propriété et de l’usufruit.
A cet égard, le système fiscal local demeure un précieux observatoire des effets négatifs de l’intrusion législative dans le domaine de la détermination des valeurs taxables. Nous savons que les valeurs locatives foncières, pierre angulaire de toute évaluation relative aux impôts directs locaux, contraignent aujourd’hui le juge administratif, du fait de leur obsolescence, à jouer à l’équilibriste voire à l’alchimiste afin d’en assurer l’application ou, du moins, l’ « applicabilité ».
Rappelons que les valeurs locatives sur lesquelles sont assis les impôts directs locaux sont actuellement déterminées en fonction de valeurs fixées en 1961 pour le foncier non bâti et en 1970 pour le foncier bâti. Des actualisations sont, certes, intervenues en 1970 pour le non bâti et en 1980 pour l’ensemble des propriétés, mais depuis 1981, seuls des coefficients nationaux annuels de revalorisation forfaitaire ont été appliqués sans que ces derniers ne puissent véritablement refléter l’évolution des loyers de sorte que les valeurs locatives se sont irrémédiablement éloignées de la réalité du marché locatif.
Certes plusieurs tentatives de modernisation se sont succédées, mais en vain. Certaines tentatives, telle que la révision des valeurs locatives engagée en 1990 n’ont pas été mises en œuvre, alors même que le Parlement en avait voté le principe et les modalités. Ce fut, notamment, la conséquence de l’ampleur du transfert de charges entre contribuables qui en résultait. Dès 1989, le Conseil des Impôts avait pointé les défauts grevant les valeurs locatives foncières qui se caractérisent, à son sens, par l’absence de prise en compte des réalités économiques et de la valeur réelle des biens. D’où la proposition du Conseil des Impôts de voir la « valeur vénale » se substituer à la « valeur locative ».
L’idée d’une modernisation des valeurs locatives foncières par le biais d’une référence à la notion de « valeur vénale », actuellement soulevée par les autorités fiscales en charge de cette question, est, de prime abord, séduisante. En effet, la valeur vénale renvoie à la notion de prix de marché et présente, par là même, l’avantage de l’objectivité et de l’absence de tout risque de désuétude. Cependant, la référence à la valeur vénale en fiscalité locale présente, au moins deux inconvénients majeurs ; d’une part, un inconvénient conceptuel, dans la mesure où, comme l’indique l’auteur lors de son analyse du système d’imposition au titre de l’ISF, la valeur vénale en tant que valeur d’ « échange » est fondamentalement inadéquate pour évaluer un bien en « détention ». D’autre part, un inconvénient fonctionnel, dans la mesure où la transposition de la valeur vénale dans le cadre de la fiscalité locale rendra, inéluctablement, l’assiette d’imposition des taxes concernées et par là, la charge des contribuables et les recettes attendues par les collectivités locales, perméables aux fluctuations du marché, alors même que les biens imposables ne font l’objet d’aucun échange. On risque donc de passer d’un système « obsolète » à un système « artificiel ».
Soufiane JEMMAR propose, pour les besoins de la liquidation de l’ISF, la substitution à la notion de valeur vénale de celle du prix de revient actualisé pour tenir compte de l’érosion monétaire, afin de mieux tenir compte de la capacité contributive du redevable et d’éviter la variation artificielle de la base d’imposition d’un bien « en état de détention ». Un système semblable est déjà usité en fiscalité locale pour la détermination de la valeur locative des établissements industriels. C’est là, peut-être une piste de réflexion qui mériterait d’être prise en compte dans les tractations actuelles autour de la modernisation des valeurs locatives pressée par l’aboutissement de la réforme de la taxe professionnelle et son remplacement par une « Contribution Economique Territoriale » dont l’une des deux composantes, à savoir la « Cotisation Foncière des entreprises » est assise sur la valeur locative des biens fonciers.
Au final, le lecteur constatera que la question de l’évaluation telle que traitée dans le présent ouvrage est particulièrement d’actualité et comporte des appréciations dont on devrait s’inspirer aussi bien au Ministère des finances qu’au parlement pour établir les nouvelles règles sur lesquelles reposera, notamment, la détermination de la valeur locative foncière servant d’assiette aux nouveaux impôts locaux.
Laurent CHATEL et Cathy GOARANT-MORAGLIA
Avocats associés
CMS Bureau Francis Lefebvre